Érogène Jones (si c'est bien lui) est assis sur le sol. Un sol de terre brûlée, de sable et d'herbes éparses jaunies par le soleil. Sauf qu'il n'y a pas de soleil. Qu'il y en a peut-être jamais eut. C'est la lumière du feu de camp qui réchauffe son visage, caresse ses traits d'ombres brûlantes alors que son regard se perd dans les flammes.
Il sait où il se trouve, et pourquoi toutes ces femmes dansent autour du feu. Leurs corps sensuels qui ondulent au rythme de la musique et des chants, alors que les braises montent lentement vers le ciel étoilé. C'est la Danse des Filles, une tradition des indiens navajos dont il a une fois entendu parler, quelque part à Austin. Une de ces nuits où les jeunes hommes du clan viennent se trouver une épouse.
Ses yeux quittent les flammes, et il les regarde danser, impassible. La plupart sont belles, et il réalise soudain qu'il les connait toutes. Toutes sans exception. Il parcoure leurs visages, et se souvient de leurs noms, de la dernière fois qu'il les a vu, de la manière dont il leur a toutes fait l'amour... Il se lève, prit d'une étrange angoisse, et se dit qu'il ferait mieux de partir. Mais il est trop tard : Déjà, l'une d'elle s'est approchée et l'a attrapé par la main. Lorbeer, la docteur au pull mauve. Avec un sourire, elle le capture, l'invite à danser. Il veut refuser, mais il sait qu'il ne peut pas. Pas sans porter le déshonneur sur sa famille et la sienne. Alors, comme le veut la tradition, il la rejoint dans le cercle et accompagne les mouvement de son corps. Musique, chants, percutions... Il danse avec elle tout contre le feu, et elle rit aux éclats.
Lorsqu'il juge le moment opportun, il plonge la main dans une poche de son pantalon et en sort un dollar. Il le tend à Lorbeer, qui l'attrape et le libère, l'autorise à quitter le cercle. Comme le veut la tradition. Il s'éloigne à grand pas, mais pas assez vite. Avant qu'il n'ait pu s'enfuir, une autre fille l'a attrapée. Kimiko, une serveuse quelconque. Un bar, une séduction, et du sexe derrière le comptoir. Prit au piège, il retourne danser. Il danse puis lui donne un dollar. Et une autre main, encore. Kristie, une hôtesse de l'air à l'accent canadien.
Les danses, les dollars et les prises se succèdent. Elles l'attrapent, prennent son argent et le libèrent avec un sourire. Ses muscles lui font mal, et le feu est toujours plus brûlant. Il ne sait pas si elle le laisseront partir un jour. Il y en a tellement...
Soudain, l'inévitable se produit. Il plonge sa main dans sa poche, et la trouve vide. Il n'a plus d'argent, plus un dollar pour se soustraire à la danse. Alors il relève la tête avec un sourire désolé. Et se retrouve face à Effy. Effy et son regard froid, désapprobateur. Et il réalise qu'elle ne danse pas.
Tu m'as abandonnée, Jones
Elle ne l'a pas dit. Elle n'en a pas besoin. Il recule d'un pas, prit de terreur. Il réalise que les filles ont disparues, et qu'il ne sait pas d'où vient la lumière sur le visage d'Effy, car le feu de camp s'est éteint. Elle est droite, elle le domine de son œil glacial. Tu m'as abandonnée, Jones.
Il tente de contrôler le tremblement qui s'est emparé de son corps, et de soutenir son regard. Je n'avais pas le choix, Effy. Je voulais vivre. Récupérer un peu de ce que tu m'avais volé. Je n'aurais pas pu rester, jamais. Mais même si j'avais pu, Effy? Tu sais très bien que je ne pouvais pas te sauver. Personne ne le pouvait... Je serais seulement mort avec toi.
Elle le contemple sans broncher, et il doit détourner le regard. Comme brûlé au fond de sa poitrine par sa simple désapprobation, son mépris devant tant de lâcheté. Tu aurais du rester, Jones. Tu aurais du mourir avec moi.
Et au fond de lui, il sait qu'elle a raison.
Alors Effy se détourne et s'éloigne, digne. Effy, ne t'en vas pas. Je resterai, je t'aimerai comme tu le voulais. Je t'en prie ne me laisse pas. Mais il est déjà seul, perdu dans cette immensité sans lumière. Il veut crier, mais il se souvient, comme cela arrive parfois dans les rêve, qu'il a déjà crié et que l'écho de sa voix s'est perdu dans les ténèbres.
***
Érogène Jones se réveille en sueur, ses yeux écarquillé rivés sur le plafond. Sur sa poitrine, la tête de la jeune fille se redresse et le contemple, une lueur d'inquiétude dans le regard. Sa respiration est courte, bruyante. Ce rêve, encore...
Son regard revient sur la jeune fille, et les souvenirs commencent à affluer. Elle s'appèle Marine, et il ont fait l'amour. Dans la baignoire, puis dans ce lit pendant des heures et des heures. Un coup d'œil vers les vestiges sur la table de nuit lui ramène en mémoire le dos de la jeune fille alors qu'elle ouvre au room service, le garçon rougissant devant sa nudité. Une longue soirée agréable, ils ont poussé leurs corps dans leurs derniers retranchements et se sont endormis dans les bras l'un de l'autre, les sens au repos, leurs désirs assouvis jusqu'à la dernière goûte.
Alors pourquoi ce rêve?
Prit d'un irrationnel sentiment d'urgence, il se dégage de l'étreinte de Marine et se glisse hors du lit. Une main frénétique se met à rassembler ses affaires. Au fond de lui, il est furieux. Furieux qu'elle l'ait vu dans un tel moment de faiblesse. Il envisage sérieusement de venir la serrer dans ses bras, et de glisser son pouce dans le creux de son cou. Le bon endroit et la bonne pression, Jones, le cartilage sera broyé et son cerveau inondé de sang. Propre, fatal, mais peu professionnel dans cette situation. Un masque impénétrable fera l'affaire pour l'instant.
Il a remit son pantalon, mais s'est arrêté. La raies de lumière qui passent entre les stores rayent son torse musclé, mais masquent son expression. Tu me regardes, Marine. Aurais-tu quelque chose à dire à mon visage baigné d'ombre?