Je reste interdit devant la scène, une telle puissance avec un exercice de base, enfin j’imagine que ça l’est, je ne la vois pas me donner de leçon avancée dès le premier jour. Mon regard se dirige vers elle, qui semble limite plus surprise que je le suis, mais cette lueur dans son regard que j’aperçois fugacement m’interpelle, serait-ce de l’envie ?
C’est la première fois que je lis cette expression sur son visage…je ne sais quoi en penser, après tout les Arcanes sont censés être l’un de ses domaines de prédilections, après l’herboristerie et les soins…Un autre mystère vient s’ajouter à la montage formant Lyadril.
Regardant ma main, presque effrayé de ce qu’il s’est passé, je remercie quelque part d’être née il y a plus de 1000 ans, j’ai pu suffisamment voir de personnes se faire dévorer par un pouvoir et en devenir l’esclave. Je réalise seulement maintenant la position que ces gens pouvaient avoir. Je me dois de faire attention, rester humble, ne pas oublier notre objectif, sinon ce pouvoir me dévorera.
"Náren i lûthil, ghâsh krul-ob !!!"
En un instant la flamme s’éteint aussi vite qu’elle s’est élevée, faisant régner le silence dans le bureau, si ce n’est le frottement de ma main sur le parquet ciré lorsque je me relève une fois remis de mes émotions alors qu’elle reste interdite, je n’arrive pas à savoir ce qu’elle pense, mais son air sombre et ses mains qu’elle s’empresse de cacher dans son dos éveille ma suspicion.
"Oui je confirme. Tu... as plus facilement réussi en liant nos deux origines. Pas en les utilisant séparément. Cela suffira pour le feu aujourd’hui. Tu as déjà franchi plus de pas que je ne l’aurais cru possible."
Mon cœur se serre, ressentant une certaine fierté dans ses mots que je n’ose exprimer ressentant une profonde inquiétude dans le même temps sans trop connaître son origine. Cependant ce sentiment me fait comprendre que je ferais mieux de ne pas briser le silence pour le moment.
"Viens. Faisons une pause."
Je la vois filer comme une fusée hors de la pièce, tandis que je la précède.
"Tu dois avoir faim. Veux-tu que je prépare quelque chose à manger ?"
- Alors, en effet, j’ai faim, mais cette fois-ci, je m’occupe du repas. A mon tour de te montrer mes propres capacités.
Sur un ton ne laissant pas place à une objection, j’ai déjà disparu dans la cuisine, fouillant ce qu’il y a dans les placards je trouves de quoi faire, partant sur une quiche sans viande, faisant un mélange d’herbe parmi celles que tu as entreposé dans la cuisine pour une saveur unique, je fais mariner les légumes découper dans un mélange d’épices, notamment des enfers pour une note un peu relevé. Je fais préchauffer le four, tandis que je mélange le tout.
Cuisiner m’aidant à rassembler mes idées, et elles sont toutes tournées vers la femme pour qui je cuisine, qui prends soin de moi depuis mon arrivée, m’enseigne son savoir, à qui j’ai lié mon sang, ma vie, pour affronter son père. Sa fragilité qu’elle dissimule sous plusieurs couches de verrou inviolable pour ne pas s’effondrer sous la montagne de blessures qui l’afflige. Mais ais-je le droit de m’en mêler ? Déjà d’où me vient cette envie ? La dernière personne avec qui m’a rendu si altruiste était Louis il y a longtemps, pour lui du moins.
Est-ce parce que nous avons tous les deux subis les tourments d’Az’Kharel? Parce que c’est sa fille ? Ou peut être le mélange de la beauté des succubes avec celle des elfes m’a envouté ? Je l’ignore, cependant il va falloir que l’on apprenne à se faire confiance, et à se connaitre l’un et l’autre par cœur si on veut que cette alliance fonctionne. Seulement elle et moi on sait ce que ça implique, donner à l’autre un couteau pour nous poignarder. C’est la première leçon qu’il m’a appris, j’imagine qu’elle aussi y a eu droit…
Le four sonne et me sort de mes pensées, l’éteignant en gardant le plat au chaud, je vais mettre la table, allant dans le salon, je la vois assise devant la cheminée, fixant le feu comme hypnotisé par lui au point qu’elle ne m’entende pas. J’ai eu le temps de poser les assiettes et couvert sur la table, lorsqu’elle se retourne.
Je revois alors le regard de la soigneuse que j’ai rencontré, doux et profondément bon, j’ignore pourquoi mais il m’a manqué ce regard, cette sérénité qui semble lui aller comme un gant. Mais est-ce la vraie Lya, ou encore un masque pour enterrer ses peines ?
"Cenog aníron i hwest naegyrth vi lín rîn ?"
- Lá, námië lyenna ar tier-lyassë, nánië lestaina. Hantanyel attanë. (Non, grâce à toi et tes efforts, je me sens libéré, je te remercie encore)
M’inclinant en utilisant la phrasé le plus respectueux qui soit, avec un sourire sur les lèvres, je lui montre que je lui suis reconnaissant, de ses soins, mais aussi de son enseignement, justifiant d’autant plus le respect auquel elle a le droit de ma part.
En lui montrant que je n’ai pas honte de faire preuve de reconnaissance, j’espère lui montrer que je fais un pas pour ne pas masquer ce que je ressens, et qu’elle me suivra sur cette route qui nous ait inconnu à tous les deux.
- Merilyë antanyel sindë wína ar tultanyel len? (Veux-tu que je t’offre une coupe de vin et que je vienne vers toi ?)
Une fois que j’ai son accord, je me permets d’ouvrir une bouteille d’un excellent cru, comme si elle n’avait que ça dans sa cave, et m’assois près d’elle en lui tendant son verre, la lueur du feu se reflétant dans mes yeux violets, le regard calme, je ressens la peur de parler.
- J’ai réfléchi pendant que je cuisinais, pour que notre alliance fonctionne, il va falloir que l’on apprenne tous les deux, à baisser nos défenses, suffisamment pour que l’on se connaisse mieux. J’ai conscience que ça n’est pas facile pour toi, ça ne l’est pas pour moi non plus, en ce moment j’avance à l’aveugle…
Laissant le temps au silence de s’installer, je me désaltère avec une gorgée, contemplant le feu, me laissant porter par sa danse alors qu’elle reste silencieuse pour le moment.
- Nos vies sont liés désormais, elles l’ont peut être toujours été, attendant que notre rencontre ne se fasse, tout dépend si tu crois au destin…mais je tiens à te rassurer, j’ai mille cinq-cents ans, des pouvoirs qui consomment les êtres vivants j’en ai vu mon lot, et je compte faire preuve d’une grande prudence lors de ton enseignement pour ne pas être consumé…
Reprenant une autre gorgée, je finis mon verre et reprends solennellement
- Quand tu seras prêtes, saches que j’acceptes de partager le fardeau que tu portes, car nous sommes une équipe…
Sans dire un mot de plus, je me lève, la laissant dans sa réflexion, utilisant la justification de devoir sortir le plat du four. Prenant un gant, je dépose le plat sur le plan de travail, découpant les parts, et ajoutant quelques-unes des fleurs qu’elle avait placé ans la soupe, qui viennent sublimer la présentation.
Revenant dans le salon, j’ignore ce qui m’attends.