En abordant ce petit village tranquille à l’orée de la forêt, Guillot n’aurait pas pensé tomber sur une scène pareille. A peine arrivée à portée de vue, le message de son arrivée avait dû commencer à se répandre. Qui sait si un jeune pâtre ne l’avait pas déjà repéré plus tôt et alerté les anciens depuis un moment. Une vague de femmes, de mioches et de vieux avait fondu sur lui avec des suppliques, pensant qu’il était la réponse à leurs messages alarmés, et son ignorance de la situation n’avait pas plu ; mais ils n’avaient eu d’autre choix que de l’informer et de l’implorer à son tour.
En apprenant leur situation, le paladin se retrouva partagé : les informations étaient parcellaires et il pouvait faire face à un danger trop grand pour lui seul, mais le code qu’il suivait l’incitait à répondre à leur appel à l’aide et à se mettre en danger pour eux. Il ne leur réclamerait rien, d’ailleurs, bien qu’il émette une demande préalable : pouvoir se reposer avant de partir en chasse aux premières heures du lendemain : il se faisait déjà tard, et il ne pisterait rien de nuit.
Le vieux qui semblait être leur chef proposa sa maisonnette en ronchonnant, mais le regard du blond repéra une jeune femme fatiguée dont le nourrisson frissonnant était trop fatigué pour pleurer. Une impression terrible le saisit, et il pressentit la mort rapide du petit enfant. Il marcha alors vers cette femme et lui demanda de dormir chez elle. Sa première réaction fut une méfiance évidente teintée de répugnance, songeant qu’il allait littéralement se payer sur son dos alors qu’elle n’y consentirait pas, et elle lui lança qu’il n’aurait pas mieux qu’une paillasse au milieu de leur cahute et à côté du lit du petit. Guillot sourit et accepta avec joie.
Lorsqu’il partit, peu avant l’aube, laissant une jeune mère émergente, celle-ci se sentait bien mieux, ses maux et sa fatigue envolés, et son petit dormait à poings fermés, dormant paisiblement et profondément en marmonnant dans ses rêves apaisés, le visage rose et la santé restaurée.
Fidèles à la réputation du troisième âge, les anciens étaient déjà levés et affairés, et ils pointèrent au paladin des indices utiles. Dans la forêt d’Elsen, disaient-ils, du bétail mort était retrouvé, et les chasseurs disparaissaient. Ils avaient demandé à un de ceux-là, un jeune rouquin nommé Levin, de le guider jusqu’à la lisière des « bois dangereux », et ainsi avait fait le garçon, le laissant à l’aube au plus profond de la forêt d’Elsen sans oser faire un pas de plus, pressé de rentrer chez lui en courant après l’avoir conduit au pas de course. Guillot l’avait remercié et, fatigué par cette marche forcée en armure dans les bois, il se permit un instant avant de poursuivre, se faisant silencieux et contemplatif devant la beauté majestueuse de l’environnement arboricole.
C’est ainsi qu’il put percevoir le passage d’une ombre rapide entre les arbres. Sans doute la créature était-elle trop pressée pour remarquer un chevalier immobile, car elle ne fit pas mine d’avoir repéré quoi que ce soit tout en poursuivant son chemin perché. D’abord stupéfait, le Cocagnard se remit ainsi en marche, suivant les bruissements, les craquements des branches et les envols agités de quelques oiseaux pour avoir une direction générale. Il aurait sûrement été semé, et il le fut en vérité, si la grotte n’avait pas été relativement proche. Car, la trace du monstre perdu, il tomba dessus et déduisit que, si une créature nocturne sévissait dans les environs, ce genre de grotte était une cachette diurne idéale. Levin avait évoqué l’existence de nombreuses anfractuosités rocheuses dans la région, mais il n’en avait pas fait cas jusqu’à cet instant. Les grottes étaient sans doute la raison pour laquelle une créature jusque là inconnue avait pu s’installer ici.
Tirant son épée au clair, il s’avança prudemment en avant, remontant et allumant une petite lanterne avant de pénétrer dans le refuge ténébreux. Il s’y était avancé silencieusement, ses souliers rembourrés ne claquant pas sur le sol rocheux, tandis qu’il limitait intentionnellement ses mouvements dans son armure robuste, mais pourtant discrète en son genre. Et c’est ainsi qu’au plus profond du goulot accessible à l’humain, il tomba sur un abri. Mais il fut choqué de découvrir une forme humaine, une jeune femme sale endormie sur un tas de vêtements passés, miséreuse selon toute évidence, qui ne bougea pas à son approche.
Il hésita. Il s’attendait à trouver un monstre, mais il ne trouvait rien de tel. Il lui vint l’idée que cette jeune femme pouvait être une victime. Peut-être ne dormait-elle pas du tout, peut-être était-elle morte. Après tout, il la voyait de dos. S’il la voyait de face, peut-être verrait-il des yeux révulsés de terreur et un ventre tout éviscéré ? C’est sans entrain qu’il combla la distance entre eux, se penchant sur ce qu’il supposait finalement être un cadavre tout frais, lanterne tendue au-dessus d’elle, pensant trouver un carnage quand il était en fait en train de déranger le sommeil d’une authentique suceuse de sang.