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L'ananas de la discorde

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Eugene Erik

Humain(e)

L'ananas de la discorde

lundi 12 août 2024, 10:39:45

C’était un matin comme un autre, mais pas un qui se trouvait propre à chacun. Eugene était, au terme d’un réveil assommé et laborieux, aussi bien embrumé des ténèbres qu'il scrutait dans les environs que ceux trouvés au fond de sa caboche. Le néant l’enveloppait alors aussi bien au dehors qu’au dedans de son esprit. Comme à chaque réveil, les mêmes questions se rappelaient à lui sans que lui, ne se rappela de qui il était. « Où suis-je » et « Qui suis-je » étaient ses lots quotidiens, maudit qu’il était par quelques bassesses divines venues lui réinitialiser sa mémoire à chaque fois qu’il émergeait d’un roupillon.

Paniqué, comme à l’accoutumée, il cherchait autour de lui quelques indices, ou du moins des bribes d’existence susceptibles de l’informer sur ses présentes turpitudes. Mais ce matin-ci, il n’eut guère grand-chose à se jeter sous ses lunettes de soleil noires, car il y faisait noir comme au fond d’un gouffre. Mais ce gouffre-ci tanguait de trop pour qu’il fut tellurique. Mal assuré sur ses cannes après qu’il se fut dressé, il avait titubé sur une jambe, manquant de s’écrouler par trois fois au moins. À fond de cale tel qu’il se trouvait, il lui fallut le temps de se trouver le pied marin d’ici à ce qu’il chemina maladroitement les bras devant lui pour éviter les obstacles dissimulés dans l’opacité au milieu de laquelle il évoluait. Né dans les ténèbres – du moins le croyait-il faute d’avoir de mémoire de ce qui le précéda – Eugene avait instinctivement et maladroitement erré jusqu’à ce qu’il atteignit la seule source de lumière que ses mirettes furent à même de déceler derrière ses carreaux noircis.

Une fois qu’il se fut rompu les tibia contre cent bagages au moins, cogné le nez contre une cargaison et eut trébuché sur les tuyauteries anarchiques qui parsemaient son parcours aveugle, l'amnésique avait trouvé la porte à écoutilles entrouvertes vers un accès aux cieux. Figuratifs, ceux-ci, quoi qu’Eugene ne verrait le ciel qu’à condition d’emprunter les escaliers qu’il y découvrit.
Avant qu’il n’entreprit cet effort toutefois, le passager clandestin, éclairé d’une lueur nouvelle, analysa ses environs avec la modeste – très modeste – sagacité dont fut à même de lui gratifier sa cervelle.

Il se savait sur un bateau à présent qu’il eut constaté le plan d’évacuation affiché sur le mur du très étroit escalier qu’il s’en allait gravir. À se retrousser les manches, il découvrit son sacerdoce inscrit sur sa chair : « Retrouve-la ». Ce qui ne l’engageait qu’à bien peu de choses en réalité, ce tatouage ayant en effet été griffonné sur lui par le même dieu qui l’avait maudit afin de le jeter dans une quête dépourvue de sens. Ainsi en était-il des supplices divins.
Encombré de peu de choses, d’un bête calepin en réalité, Eugene le consulta pour y découvrir que toutes ses modestes connaissances – souvent très librement interprétées par ses soins – étaient rédigées à la manière d'une encyclopédie. Il y écrivait tout ce qu’il apprenait afin d’avoir toujours sur lui un semblant de mémoire vive. Aussi, parce qu’il l’avait vu écrit sur une affiche de fond de cale, il feuilleta l’index pour mieux parfaire sa culture.

- Alors… « Croa Croa », « Crois-moi frère », ah voilà ! « Croisière ». C’est écrit… « Truc de riches et de fainéants qui vont sur un bateau pour trop rien y faire, mais fastueusement. Va pas t’embarquer là-dedans ».

Quelque peu pris de cours par les événements qui s’imposaient à lui, déjà compromis de beaucoup dans l’aventure nautique, il répondit à ses propres écrits :

- Je te zut, toi ! Je m’embarque où je veux. Même si je sais pas comment ou pourquoi je l’ai fait.

Il ne tarda pas à découvrir, au bas de la définition de « croisière » un post scriptum sur lequel il fut inscrit : « P.S : Moi aussi je te zut ! ».
Jetant à terre son carnet avec une violence consumée, il se vexa d’avoir été pris de cours par cet olibrius de rédacteur, jusqu’à ce qu’il réalisa que celui-ci n’était autre que lui-même. Ramassant son recueil et le rangeant à la poche arrière droite de son pantalon, il gravit les marches. L’ascension fut longue d’ici à ce qu’il aperçut enfin la lumière. Pas celle du jour cependant. Les luminaires, moins affadis que dans la cage d’escalier étouffante d’où il s’extirpait, y étincelaient simplement mieux. Le long couloir qu’il arpenta, dépourvu d’activité humaine apparemment, le conduisit jusqu’à un immense réfectoire, celui-ci recouvert d’une vaste et luxueuse baie vitrée dont seule la climatisation contrait l’effet de serre.
C’était au matin, chacun se servait au buffet, hasardant un œil indiscret vers un curieux énergumène qui, désormais qu’il fut des leurs, apparaissait comme une anomalie dans le paysage. Avec ses frusques mal repassés, ses lunettes de soleil de mauvais goût et le long bandana blanc autour du crâne, on l’eut pris pour un pirate s’il n’avait pas eu l’air aussi crétin et ingénu.

Toisé du bout des prunelles à peine par la belle société en villégiature, car on ne souhaita sans doute pas risquer le contact visuel avec un pareil spécimen, Eugene eut l’instinct de comprendre qu’il devait se rendre au buffet pour se sustenter. L’opulence y était telle, dans ces étals de subsistance qui leurs étaient grands ouverts, qu’il ne sut trop par où commencer. Dans une stupéfaction muette que personne n’osa relever, il avait plongé la main dans l’aquarium à leur disposition afin d’en extirper un crabe qu’il mordit aussitôt. La bête, glorieuse et vindicative, lui rendit coup sur coup, n’hésitant à user de ses pinces afin de se saisir de lui au nez.

S’agitant dans un fatras tonitruant et désarticulé, renversant plats et ustensiles tandis qu’il se débattait, chacun garda le nez dans son assiette, à faire mine de ne pas voir cet empêcheur de tourner en rond batailler bruyamment avec un crabe. Rescapé des tenailles du crustacé, Eugene s’empressa de bazarder l’animal comme on eut jeté un poids, jetant effroi et consternation à la table sur laquelle avait atterri la bête.

Comme si de rien n’était, en dépit du foutoir incommensurable qu’il venait de commette, l’intrus renonça aux produits de la mer et se saisit d’un gros fruit qu’il riva sous le nez du loufiat chargé de servir les vacanciers. Ce dernier eut un mouvement de recul pour ne pas recevoir un coup tant le bon couillon à lunettes noires était fruste et malhabile.

- Comment que vous appelez ça, vous autres ?

- Vous autres ? C’est… c’est un ananas, monsieur. Vous êtes sûr que vous allez bi…

- Ouais, ouais… attends, tais-toi, je me renseigne.

À l’ère des smartphones, il s’en remettait à son calepin pour combler les failles béantes de ses connaissances déficientes.

- « Analgésique », « Anamorphose » – j’écris de ces trucs, moi – ah, je te tiens ! « Ananas » !

La définition, courte et prosaïque, ne fut pas exactement à son goût.

- « Ça pique. Mange plutôt des cerises. » Qu’est-ce qu… mais je veux de l’ananananas, moi !

- Ananas, monsieur.

- Enchanté. Dites, je prends ça. Assurait-il au serveur en brandissant l’ananas qui, en principe, se devait d’être découpé sur place.

Sans qu’il ne laissa le temps à qui que ce soit de contester sa décision – curieuse au demeurant – l'importun prit congé de l’assistance, celle-ci trop heureuse de se savoir délestée d’un pareil trublion que tous prirent pour un nouveau riche excentrique. Alors qu’il retrouva ses accès aux couloirs, à la recherche d’un « ouvre-ananas », Eugene bouscula une ravissante créature, drapée et nantie de riches soieries. Parce qu’il lui trouva une certaine grâce et qu’il en fut intimidé, Eugene se sentit de briller auprès d’elle par réplique pour mieux assurer qu’il était lui aussi un homme du monde, cherchant à l’impressionner par sa prestance plutôt que de s’excuser.

- A… anamorphose ! Scanda-t-il alors pompeusement, se pensant parangon de culture parce qu’il fut à même de prononcer un mot de plus de trois syllabes.

Ainsi espéra-t-il l’esbroufer de ses mondanités. Certain d’avoir fait très forte impression auprès d’elle – pas comme il le soupçonna néanmoins – il quitta la malheureuse qu’il avait manqué de renverser, brandissant bien haut son ananas en s’engouffrant dans le couloir. Peut-être le prit on pour un lunatique. Il n’était cependant qu’un imbécile à qui la mémoire faisait défaut.

Le temps que le personnel de sécurité fut informé de la présence de ce ragondin de fond de cale, passager clandestin malgré lui, ce dernier, à investiguer dans l’immense bâtiment naval, avait finalement trouvé ce qu’il interpréta être les cuisines. On y trouvait de la vapeur, le vacarme y était assourdissant et les appareils métalliques y étaient légion.

Il avait ainsi fait irruption dans la salle des machines.

Le paquebot Insubmersia tirait sa renommée et ses irrésistibles attraits du fait qu’il mêlait habilement modernité et sain archaïsme. Ses ingénieries étaient pareilles à celles des paquebots anciens, aux rouages huilés et aux machines à vapeur, quand le reste des installations de plaisance étaient quant à elles de dernier cri.
Cette singularité, si elle faisait le charme de la croisière, ne se prédisposa que bien peu à l’incursion d’une anomalie aussi gênante que pouvait l’être Eugene.

- Et dire que mon moi du passé croquait l’écorce de l’ananananananas alors qu’il suffit simplement de le concasser pour sortir ce qui a dedans. Quel abruti celui-ci.

Ne réalisant pas qu’il venait de s’insulter, le chien fou glissa le fruit de la discorde entre les dents de deux rouages circulaires afin qu’il fut ainsi pressé pour s'en régaler. Fier de lui et de ce qu’il prit pour un sens inné de l’astuce, Eugène se couvrit d’éloges comme le faisaient bien volontiers les cuistres et les imbéciles.

- Hé hé ! Du pur génie. Festin en vue dans trois, deux, un...

Le paquebot mit environ deux heures à sombrer entièrement.

La salle des machines, encombrée de cet élément fâcheux et fruité qu’on avait jeté dans sa gigantesque machinerie, n’avait pas tardé à créer des dysfonctions en chaîne. Les fuites d’huile et de carburant avaient alors précédé les surpressions et les premières explosions préludèrent chacune de nombreuses autres.
Malgré les indications d’évacuation, la panique furieuse guida chacun à bord dans un chambardement chaotique et désarticulé. Le naufrage, au beau milieu de l’océan, engendra plus de morts dans ces conditions que s’il se fut accompli en bon ordre.
Les chaloupes de sauvetage furent le théâtre d’affrontements désespérés, et il ne resta rien de la sophistication d’apparat de toutes les belles âmes qui se furent trouvées à bord.
Et puis il y avait eu les vagues. On dénombra bien peu de survivants au terme de tous ces aléas. La nuit fila sur des eaux alourdies de sang.

***

C’était un matin comme un autre, mais pas un qui se trouvait propre à chacun. Eugene était, au terme d’un réveil assommé et laborieux, extrait d’une coque de noix brisée contre un récif. Émergeant péniblement de ses songes, engourdi sans savoir pour quelle raison, la nuit était passée depuis ses péripéties gourmandes ; aussi ne se souvenait-il déjà plus de ses frasques de la veille. Son estomac se rappelant à son bon souvenir avant qu’il ne chercha de nouveau à savoir qui il était et ce qu’il faisait là, il avait trouvé, sur la plage où il hasarda quelques premiers pas, un morceau d’ananas pulvérisé.
Après qu’il en eut dépoussiéré le sable dessus, le gourmand du matin mâchouilla la pulpe avant de hausser les épaules et de déclarer.

- Mouais. Pas terrible.

Examinant l’île sur laquelle il se trouvait du regard, avec son arborescence tropicale et son sable fin, Eugene pensa rapidement en faire le tour sans y trouver un semblant d’habitation. Il ne s’en formalisa pas toutefois, ignorant de tout à commencer par la catastrophe dont il fut la cause. Sur cette plage, il n’y trouva qu’une âme qui vive, apparemment chamboulée par des événements récents dont il n’avait aucune idée.

Allant à sa rencontre avec bonhomie comme on aurait interpelé quelqu’un dans la rue pour lui demander l’heure, Eugene arrivait à elle tout ingénu.

- Boooooooooonjour madame ! ♪ S’annonçait-il si jovialement que c’en était indécent au regard des circonstances. Y’a mon carnet qui me dit que je m’appelle Eugene. Enchanté, tout ça. Dites, vous sauriez où on est ? Et quand est-ce qu’on mange au fait. J’ai une de ces fringales, je vous dis pas.

Ingénu et insouciant même au milieu de l’Enfer, tel était le lot quotidien d’Eugene Erik et cela, jusqu’à ce qu’on l’étrangla un jour d’avoir été si chaotique dans ses errances.

Anna Sajin

Créature

Re : L'ananas de la discorde

Réponse 1 dimanche 18 août 2024, 23:52:58

Anna ouvrit doucement les yeux, bercée par le roulis du bateau. Le bruit léger des vagues frappant la coque résonnait dans sa cabine spacieuse, décorée avec goût et richesse. La lumière ambrée du soleil levant perçait à travers les voilages délicats de la fenêtre, illuminant sa peau d‘opale. En se redressant sur les draps de soie, elle laissa retomber ses longs cheveux verts autour de son visage.

Anna Sajin, demie déesse ayant accumulé nombre de richesses au fil du temps, avait l'habitude d'être entourée de luxe. Ce voyage en croisière, un caprice de plus, la menait au travers des mers lointaines, toujours en quête de nouveauté. Elle se leva doucement et enfila une robe légère, un tissu blanc chatoyant, brodé de fils d’argent qui épousait chaque mouvement de son corps avec élégance. Ses bijoux scintillaient, et chaque pas qu’elle faisait semblait murmurer richesse et raffinement.

Après avoir quitté sa cabine, Anna se dirigea vers le grand salon où le petit déjeuner était servi. Tout était d'une opulence indescriptible. De larges buffets débordaient de fruits exotiques, de viennoiseries dorées et de mets préparés avec soin. La salle, tapissée de marbre blanc et décorée de lustres étincelants, accueillait les autres passagers, tous vêtus de tenues élégantes.

Anna s’assit près de la baie vitrée, admirant l’horizon. Le bleu de l’eau se confondait presque avec le ciel, offrant un spectacle hypnotisant. Tout semblait si paisible, si parfait. Elle commanda un café noir, accompagné de quelques fruits et d’un croissant croustillant. Chaque bouchée était un délice, chaque gorgée, un rappel de son statut privilégié. Pourtant, malgré ce cadre idyllique, un sentiment de malaise commençait à s'insinuer en elle, comme une ombre imperceptible dans la lumière éclatante de sa journée.
La demoiselle vit alors apparaitre un étrange énergumène coiffé d’un bandana et qui dénotait dans le décor, que ça soit parmi les invités, ou parmi le personnel.

Anna pensa alors avec une certaine affection à ses propres serviteurs qu’elle avait dû laisser chez elle, étant déjà suffisamment bichonnée ici et ne souhaitant guère effrayer les autres fortunés de par leur carrure et leur aura menaçante.
Elle fronça les sourcils quand un crabe sembla créer la zizanie un peu plus loin d’elle, se disant que c’était quand même beaucoup de bruit pour pas grand-chose.

Puis l’homme étrange, qui portait aussi des lunettes de soleil en intérieur, quelle curieuse idée, sembla s’éloigner muni simplement d’un ananas. La demie déesse soupira, ayant depuis longtemps cessé de chercher à comprendre les humains.

Après avoir terminé son repas, Anna décida de regagner sa chambre pour se reposer avant la prochaine escale. Alors qu’elle traversait le long couloir aux tapis épais et aux murs décorés de fresques maritimes, elle fut bousculée et se retourna donc, prête à accepter les excuses du maladroit, qui n’était autre que l’homme à l’ananas. Ils échangèrent un regard, et, celui-ci brisa alors le silence.

-   A…anamorphose ! Lâcha t’il comme une évidence.

La demoiselle, se figea un instant, une incompréhension affichée sur le visage. Ne sachant quoi répondre elle ouvrit la bouche, puis la referma. L’homme parti alors de son coté d’une démarche joviale comme si de rien n’était. Anna secoua la tête et repris le chemin vers sa cabine afin d’y lire son journal.

Celui-ci était quasiment terminé quand elle fut interrompue par un bruit assourdissant, suivi d’un violent choc. Le bateau trembla sous ses pieds, comme frappé par une force invisible. Anna se redressa d’un bond, son cœur battant à tout rompre. Un cri étouffé, suivi d’un vacarme confus, s’éleva dans les couloirs. Elle se précipita vers la fenêtre de sa cabine, mais dans l’obscurité de la mer, elle ne pouvait rien discerner. Puis elle le sentit. Le bateau s’inclinait, lentement mais sûrement.

Paniquée, Anna sortit précipitamment de sa chambre. Les couloirs, autrefois si calmes et opulents, n’étaient maintenant plus qu’un chaos de passagers affolés courant dans toutes les directions. Le grondement de l’océan se faisait de plus en plus fort, et la peur collective ne faisait qu’amplifier l'angoisse qui montait en elle.
Anna sentit le sol se dérober sous ses pieds à mesure que l’inclinaison du bateau devenait plus marquée.
Anna chercha désespérément un canot, mais tout semblait déjà parti ou hors d’atteinte. Elle trébucha et faillit perdre l'équilibre, son regard se perdant un instant dans la masse de passagers en proie à la terreur.
Soudain, un craquement sinistre déchira l'air. Le bateau, sous la pression, se fendit en deux. Anna poussa un cri alors qu'elle se trouvait projetée dans l'air, aspirée par la force de l’eau en furie. L’océan glacé la saisit violemment, lui coupant le souffle. Tout était confus : l'eau, les cris, les débris flottants autour d’elle. Pendant ce qui lui sembla durer une éternité, elle lutta contre les vagues, cherchant à reprendre pied dans cette mer hostile.
Mais, peu à peu, ses forces l'abandonnèrent. Le froid s'infiltrait dans ses membres, et le monde autour d’elle s’effaça. Juste avant de sombrer dans l’inconscience, elle aperçut une lueur lointaine, une sorte de rivage indistinct.

Lorsqu’elle reprit connaissance Anna remercia en premier lieu sa nature de demi déesse. Mais même si celle-ci lui assurait une vie immortelle, elle n’échappait aux contraintes du corp humain, et pu le constater en se mettant à vomir du sable et de l’eau de mer.
La jeune femme passa la main devant sa bouche, réprimant un nouveau haut le cœur, et releva ses cheveux verts, trempés et souillés de sable.
En regardant autour d'elle, elle vit une île bordée de palmiers et de végétation luxuriante. Aucune trace du bateau. Aucun signe des autres passagers. Anna se demanda si elle était la seule survivante.
C’est pile poil ce moment la que choisit l’étrange énergumène à l’ananas pour émerger d’on ne sais quel palmier, la faisant sursauter.
- Boooooooooonjour madame ! ♪ S’annonçait-il si jovialement que c’en était indécent au regard des circonstances. Y’a mon carnet qui me dit que je m’appelle Eugene. Enchanté, tout ça. Dites, vous sauriez où on est ? Et quand est-ce qu’on mange au fait. J’ai une de ces fringales, je vous dis pas.

D’abord choquée par tant de nonchalance, Anna se raisonna en se disant que le malheureux avait du recevoir un sacré coup sur la tête pour oser s’annoncer de cette façon, surtout après le drame dont ils étaient apparemment les seuls survivants.

-   Pardonnez ma question mais…Vous allez bien ? demanda t’elle, ingénue. Pensez vous réellement que votre carnet vous parle, Eugene ?
La demoiselle se releva et s’épousseta, puis fit une sorte de petite courbette gracieuse, malgré son état déplorable.

« Anna, enchantée »


Eugene Erik

Humain(e)

Re : L'ananas de la discorde

Réponse 2 lundi 19 août 2024, 09:49:58

La malheureuse. Elle avait répliqué. Mal informée des méfaits de ce monde, et c’en était un terrible que celui qui venait lui tenir le crachoir où il s’y répandait d'ailleurs volubilement, Anna ignorait que ce spécimen-ci valait mieux d’être ignoré, sinon éradiqué dans l’instant. Mais à le voir arriver, ce bon garçon, avec son sourire niais et enfantin, systématiquement enjoué, à commencer par les instants qui s’y prédisposaient le moins, on ne s’en méfiait jamais de trop, d’Eugene. Et Dieu savait qu’il le fallait. Un dieu en tout cas le savait, celui-là même qui avait maudit sa mémoire et oblitéré jusqu’au plus négligeable de ses souvenirs. De son affliction, Eugene n’en était ainsi ressorti que plus insupportable. À peine lui avait-on négligemment prêté le flanc à une conversation qu’il se montra aussi verveux qu’on put le redouter de sa part.

- Bah écoutez ça va pas trop mal, avait-il tout d’abord rétorqué d’un flegme guilleret, il fait beau, on est à la plage, y’a franchement pas de quoi se plaindre.

Considérant que le bon garçon qu’elle avait en face d’elle pouvait être possiblement – sinon certainement – frappé d’une débilité ostensible, elle s'était présentée à lui dans les termes les plus limpides qui purent se concevoir, qu’elle ne le perturba pas au moins rien qu’à lui communiquer son nom.

C’était mal le connaître. Et le connaître, à supposer que les secours ne leur parvint pas dans un délai prochain, elle n’aurait plus que ça à faire pour les temps à venir. Telle perspective, si on prit la peine d’y réfléchir posément, avait les atours d’un prélude à l’Enfer.

- Anna ?

Consultant sa mémoire de poche en effeuillant scrupuleusement le calepin, l’agilité de ses doigts trahissant l’habitude qu’il avait alors à agir ainsi, Eugene chercha à la retrouver dans des souvenirs imprimés sur papier blanc.

- « Analyse », « Anamorphose »  chouette mot, tiens, « Ananas »… Non. Anna, j’ai pas. Désolé. On s’est clairement pas rencontrés avant. Mon petit nom à moi c’est… attendez c’est quoi au fait. Il parcourut le Carnet (majuscule, car l’ouvrage était primordial) à la toute première page. Eugene ? Va pour Eugene, alors. Eugene Erik. Mais vous pouvez m’appeler Eugene. Ou Eugene Erik. Parce que c’est mon nom, hein. Même que c’est écrit ici, regardez. Ah je m’étais déjà présenté ?



Non, je pense pas.
Son aplomb, dans ce qu’il avait de franc et ingénu, s’alliait alors opportunément à sa bêtise. Je m’en serais souvenu. J’ai de la mémoire, même que c’est écrit en-dessous, regardez. Ah non, au temps pour moi, c’est marqué que je perds la mémoire tous les jours. Hahahahahahahahahaha, scusez la méprise. Mais pourquoi je ris, moi au fait, c’est grave ! Puis, étouffant aussitôt le drame de cette révélation sous le boisseau de son indolence, il reprit, Bon alors, pour la mangeaille, vous gérez ça comment ?

Non, effectivement, comme il en avait attesté avant de se confondre en babillages abscons, Eugene, cette fille là, il ne l’avait jamais rencontrée auparavant. Excepté un instant sur le paquebot qu'il avait malencontreusement fait sombrer. Sans doute était-ce d’ailleurs pour ça qu’elle s’était présentée à lui, mais le bon sens de l'amnésique était apparemment aussi déficient que sa mémoire. À peu de chose près que sa naissance seulement put être à blâmer pour accuser d’une tare si singulière. Une tare du genre de celles qui vous tapaient si bien sur les nerfs qu’un dieu pouvait en prendre ombrage au point de vous maudire. Et divine, la créature-ci, elle ne le fut pas qu’à moitié. Ou plutôt si, par ascendance. Mais elle avait de divin, à y regarder, et à bien y regarder même, car on pouvait y perdre longtemps le regard, un astre incarné dans la chair.

Certes, elle brillait de quelques artificieux atours, l’opulence lui exhalant presque de ses ornements clinquants, mais la quincaille portée en guirlande, que ce fut à ses doigts ou à sa gorge, ne s’interprétait que comme une garniture idoine portée au diapason de la superbe égérie sur laquelle elle étincelait. Car la sophistication et la distinction, chez elle, n’était pas le fait d’un accoutrement fastueux. Elle avait, celle-ci, une posture digne et composée, quand bien même fut elle aux prises avec le désastre qui fut présentement le leur. Même si sa somptueuse parure aux fils argentés fut trempée au point de perdre de sa superbe, celle-là même qui l’arborait n’en demeurait pas moins éminente ; la noblesse n’étant pas chez elle une affaire de titre, mais d’une grâce qui, sans qu'elle n'eut à forcer, s’exprimait chez ellele plus éloquemment du monde.
Anna avait un rien d’imposant. Un rien d’une telle splendeur qu’il avait tout d’un quelque chose. Hautement perchée sur des jambes tenues alignées et verticales pour mieux affermir l’altesse de sa posture droite, elle surpassait bien assez son interlocuteur pour qu’elle fut en mesure de le toiser. Bien qu’une nature généreuse, gracieuseté de son lignage divin, lui octroya les plus opportunes assises afin qu’elle fut altière, la prestance, chez elle, jamais ne se confondait avec la suffisance.
Rendue digne de sa sublimité, on lui trouvait cependant le regard presque doucereux, décidément trop sincère pour qu’on lui suspecta des vices d’orgueil. De telles pupilles, dont le vert évanescent s’harmonisait divinement à la teinture de sa longue toison ondulée, étaient enjôleuses malgré elles, ignorant apparemment tout de la force qui lui jaillissait de ses grands yeux.

Eugene, d’instinct, lui avait donné du « vous », quand le « tu », dans sa triste impertinence, lui venait en principe bien plus coutumièrement du monde dès lors où il faisait à nouveau connaissance. L’incontestable majesté de la demi-déesse l’avait alors conduit à un tel semblant de révérence. Ce qui ne le rendait pas plus agréable à vivre pour autant, sa courtoisie étant pareille à celle d’un garçon rendu indiscret de son excès d’impétuosité juvénile.

Ébahi sans qu’il ne trop pourquoi ou comment, ayant hasardé un regard impudent derrière le voile opaque de ses verres, il n’avait ainsi écouté que distraitement ce qu’elle avait bien pu lui dire par la suite. En élève dissipé qu’un professeur aurait sollicité afin de mettre son attention à l’épreuve, il avait ainsi presque tressailli lorsqu’il entendit la fin d’une phrase lui étant adressée poindre vers l’interrogatif. L’inconvénient étant qu’Eugene n’avait pas écouté un traître mot qui lui fut adressé, bêtement égaré par la pure incarnation de prééminence dressée face à lui.

- Je… euh… oui ? Hésita-t-il avant d’enchevêtrer quelques mots récurrents qu’il avait cru entendre. Oui ? Oui ! Ah bah, oui. Naufrage, île déserte, canot de sauvetage délabré. Quelle histoire, hein ! Ajoutait-il comme s’il eut rebondi sur un commérage qui ne le concernait pas. Mais du coup… pour le déjeuner… Comment ? « Chasser », « Pêcher », « Cueillir » ? Attendez, moins vite, que je retienne.

Dépouillant son savoir dans le calepin, il avait trouvé, à la définition de chaque terme qu’elle lui fit parvenir, un index qui renvoyait inexorablement au même mot : « Supermarché ».

- Et bah voilà, tout s’arrange. Jurait-il comme si le salut leur fut garanti sur papier. Il nous reste qu’à trouver le chemin du supermarché. Je mène la marche. Mais si ! Je sais ce que je fais. Aussi sûr que je m’appelle Eugene Erik.

Sa dernière assertion formulée, il ressortit aussitôt son Carnet pour vérifier ses dires avant d’acquiescer.

- Oui, c’est bien comme ça que je m'appelle. Je vérifie, on sait jamais.

Il n’y avait sur cette île que deux personnes, mais apparemment une seule et unique cervelle. À cette dernière incombait le choix de suivre docilement un imbécile faute de mieux, ou prendre les devants à présent que la survie fut pour eux une affaire si pressante. Une affaire dont Eugene ne mesurait pas encore très exactement la gravité. Le fait est qu’il marchait d’un pas gaillard en direction de l’arborescence verdoyante et touffue qui lécha les abords de la plage. L’arrêterait-elle, le laisserait-elle cheminer hardiment vers une mort certaine, ou aurait elle le manque de jugeote de le suivre ? Il ne faisait jamais bon se trouver être une noblionne dévoyée de son luxe et ses ostentations, car alors, tous les repères se bousculaient et une vie autrement plus rude se profilait alors. D’autant plus rude qu’elle avait dans ses environs le plus prodigieux boulet qui fut. Un qui portait un long bandana blanc et une paire de lunettes de soleil par-dessus une mine apparemment réjouie d’être aussi stupide en chaque occurrence qui se profilait.


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