Comme toutes les fins de semaines depuis qu’elle travaillait pour Mère, Olympe était installée avec ses recrues dans une grande salle dotée d’un bassin utile uniquement à la lessive. C’est que Mère trouvait tout à fait normal que les prostituée de sa maison lavent leur linge elle-même. Certaines mauvaises langues disaient que c’était parce que Mère ne voulait pas dépenser de l’argent et engager des employés pour ce travail, mais c’était totalement faux. Il y en avait plusieurs dont la tâche était le ménage, mais uniquement pour les draps et autres serviettes de la maison. Tout ce qui touchait aux vêtements et à la lingerie, chaque putain devait gérer seul ses affaires. Et Olympe, ainsi que ses recrues, le faisaient toujours en toute fin de semaine, lorsque les clients se faisaient moins nombreux. Il n’y avait rien de pire, après tout, que d’être arrêtée dans ses occupations. Olympe n’aimait pas, de toute manière, qu’on la coupe dans ses activités et lorsque cela arrivait, il fallait que ce soit urgent, autrement on s’attirait facilement ses remontrances. Et tout le monde le savait. Même Mère, préférait les laisser entre elles dans la salle de lessive.
L’ambiance qui y régnait était toujours bon enfant. On riait, on s’interpelait, on se racontait des anecdotes. On ne critiquait que rarement les clients et clientes, car Olympe ne le permettait pas. On était en droit, sous couvert de l’intimité d’une chambre, de discuter des contraintes, bonheurs et mésaventures, mais faire les mauvaises langues pendant les tâches, dans un endroit qui résonnait facilement, était plus que mal venu. «On pourrait être entendues par les personnes dont nous étalons les défauts et les manies et ce serait risquer de perdre de bons clients. Même s’ils sont mauvais amants, tout le monde chez Mère à le droit de venir tant qu’il paie, vous le savez...» C’est ce que disait souvent Olympe aux recrues les plus enclines à transgresser quelque fois, la règle.
«C’est l’enfer ! J’ai les mains toutes fripées...»
«Tu vas nous dire ça à chaque fois qu’on fait le linge ?»
«Je me plains si j’veux. Chez père, c’est pas aux putes de faire leur lessive...c’est pas juste.»
«T’as cas y aller, si tu trouves ça si pénible !»
«Les filles...s’il-vous-plaît...»
Olympe regardait ses recrues se chamailler en secouant la tête. Elles avaient cette tendance, à râler pour la forme, mais en réalité, faire sa propre lessive était bénéfique à ne pas ce qu’elles se transforment en diva, au détriment des prostituées de chez Père justement, qui avaient un nombre incalculables de domestiques pour leurs besoins. Chez Mère, ce n’était pas la politique de la maison, que de faire de ses employées, des assistées.
«Et si tu te maries un jour ? Tu sauras même pas faire tes tartines !!!»
«Oh mais ça va hein ! Je disais juste que j’avais les doigts fripés...»
«Comme le type l’autre fois, avec moi...hihihihi»
«Celui qui aime bien mettre ses doigts dans ton...»
«Les filles, un peu de tenue...»
Cette fois, ce fut Olympe qui éleva légèrement la voix. Son ton était sans appel et cela fit taire la petite blonde qui allait parler de son sexe.
«Je vous rappelle que ça raisonne ici et si Mère vous entend, elle sera scandalisée.»
«Ce n’est pas comme si elle était maquerelle…»
«Alice...»
«Pardon.»
Le ton repris avec légèreté sur d’autres conversations, moins axées sur le sexe. Ce n’était pas sous prétexte qu’elles étaient travailleuses du sexe, qu’elles devaient avoir un langage outrancier ou des conversations puériles et tournées constamment autour des plaisir de la chaire. D’autant que lorsque c’était jour de lessive, Olympe préférait que le travail soit mis de côté. Elle termina de laver sa lingerie dans l’eau savonneuse et essuya son front de la main. Il faisait une chaleur suffocante et la plupart étaient en petite tenue pour s’adonner à cette tâche fastidieuse. C’est que les prostituées se changeaient plusieurs fois par jour, suivant le nombre de clients et avaient toutes un nombre incalculable de tenues en tout genre, allant du costume d’infirmière à la robe de princesse, sans parler des dessous de dentelles fragiles et autres coquetteries pour le plus grand plaisir de la clientèle. Les vêtements qu’elles portaient en dehors des murs de la maison, au contraire du reste, étaient lavés par les domestiques. C’était ainsi. Comme si Mère ne voulait pas faire laver les souillures d’inconnus à ses employés qui n’étaient pas payés dans un but sexuel.
«Olympe ? As-tu terminé ?»
Le calme se fit soudain dans la vaste pièce en sous-sol de la maison close. Toutes les têtes se tournèrent vers la voix masculine qui venait de faire irruption dans leur moment entre filles. Ashmedéi, le bras droit de Mère se tenait là, dans l’encadrement des deux lourdes portes qui gardaient l’entrée du temple de la propreté. Les filles le saluèrent avec un sourire par-ci, une légère crainte par-là. C’était un homme de l’ombre et aucunes ne savaient vraiment ce qu’il faisait comme travail dans la maison. Même Olympe ne savait pas vraiment. Cette dernière déposa le morceau de tissu qu’elle frottait encore un instant plus tôt et se leva en séchant ses mains à son tablier de lavandière.
«Oui. C’est pour quoi ?»
«Ashmedéi.»
«Ashmedéi...»
«Mère te demandes.»
«Dis lui que j’arrive. Je passe me changer et je la rejoins...»
«Dans son bureau.»
«Dans son bureau...oui.»
Les deux se fixèrent dans le silence pieu des recrues et Ashmedéi fut le premier à rompre en se tournant. Il laissa la porte se refermer lourdement derrière lui, disparaissant de son pas feutré, silencieux comme la mort.
«Je le trouve inquiétant ce type.»
Ce fut dit dans un chuchotement, comme par crainte d’être entendue de lui.
«Oui, il fait froid dans le dos.»
«Mais il est beau...»
«Alice...»
«Quoi ! C’est vrai !»
«Pas si fort...»
Olympe était toujours tournée là où se tenait Ashmedéi précédemment. Il la laissait perplexe en général. Une aura de mystère planait autour de sa personne et sa haute stature, ainsi que ses traits, faisait penser à quelque créature de compte pour jeune femme. Au bout d’un moment, elle se tourna vers les autres et glissa qu’elle devait y aller. Les filles avaient entendus la conversation entre Olympe et Ashmedéi, aussi se contentèrent-elles d’acquiescer à leur aînée. «On s’occupe de mettre sécher tes vêtements ne t’en fais pas.» Dans un remerciement, Olympe retira son tablier qu’elle crocha à côté de la porte et sorti sans un bruit. À peine la porte fut fermée, que les rires et les caquètements de recrues reprirent de plus belle. En temps normal, Olympe sera revenue sur ses pas pour leur demander le calme, mais elle était pour l’heure préoccupée par ce que Mère pouvait bien lui vouloir, un jour de lessive.
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Peu de temps après s’être changée et rafraîchie, Olympe frappa à la porte de Mère, qui soupira un «Entre Olympe...», reconnaissant la manière de toquer de sa dame de confiance. Cette dernière obéit et referma la porte, quelque peu rassurée de ne voir que Mère et non pas Ashmodéi dans les parages. La vieille femme était de dos, fixant l’horizon de ses yeux bleus. Une pluie légère s’abattait sur La Ville, ce qui était plutôt rare à dire vrai.
«Cela fait du bien...à la terre et au reste. Aux gens aussi...moins d’ivrognes dans les rues, ce n’est pas dégueulasse.» Mère détestait les ivrognes et n’hésitait pas à faire montre de peu de patience envers ses clients imbibés. «Enfin. Olympe, sais-tu pourquoi je te fais venir ? Je sais que c’est jour de lessive...aussi j’espère ne pas t’avoir trop coupée dans tes activités.»
Mère se tourna dans la direction de l’aînée de son bordel et lui fit un geste pour qu’elle prenne un siège, dans le coin près de la cheminée où nul feu ne crépitait. A dire vrai, l’âtre était purement décoratif et Mère y fourrait toute sorte de trésor qu’on lui offrait en cadeau. Elle s’approcha de son bordel organisé et tâta quelques faïences ainsi qu’une petite coupe en or remplie de fausses pierres.
«A dire vrai, pas du tout...Mère. D’autant que vous m’avez envoyé...»
«Ashmodéi ? Oh. C’est uniquement parce qu’il était avec moi et que j’ai eu la flemme de faire venir quelqu’un pour te chercher. Cela n’a rien à voir avec le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui.»
«Dites-moi tout...» Elle était quelque peu rassurée, car la dernière fois qu’elle avait eu à faire à Ashmodéi, c’était pour un décès et Mère n’avait pas su comment le lui annoncer elle-même, aussi avait-elle confier cette douloureuse tâche à son homme de l’ombre. «Je vous écoute.»
«J’ai un contrat pour toi. Un gros client.»
«Je le connais ?»
«Ce n’est pas un habitué...il n’est même jamais venu ici. Attends...il faut que je retrouve son nom.»
La vieille dame se dirigea vers le bureau et tout en l’observant, Olympe se dit qu’elle avait probablement été très belle dans sa jeunesse. Si cela était un compliment pour beaucoup, il valait mieux ne jamais le dire à voix haute et encore moins devant Mère, car cette dernière jugeait ce genre de réflexion insultante. Comme si elle ne pouvait plus l’être actuellement, sans parler du fait que soit souligné qu’elle n’était plus de première fraîcheur. Aussi, Olympe se garda de lui faire remarquer et attendit en silence.
«Voilà. Blaise, empereur de la foutaise...» La vieille dame fronça les sourcils en même temps que Olympe et attrapa ses lunettes qu’elle chaussa «Pardon. Fournaise. Je me disais bien que cela sonnait très mal.»
«Et que désire-t-il ?»
«Une pute de luxe j’imagine. En tout cas, de ce que je lis ici, il aimerait une de mes fille pour lui tenir compagnie quelques jours, afin d’assouvir ses désirs. Enfin...sa demande semble la même que n’importe quel client, si ce n’est qu’il en veut une qui soit douée dans son domaine et loin d’être sotte. Je pense que tu es la meilleure et vu le prix qu’il est prêt à allonger...»
«Vous savez, je ne suis pas la meilleure, c’est selon les clients...»
«Eh bien tu es la plus aguerrie tant dans les plaisirs de la chaire, que le social.»
«Je vous remercie...Mère. De m’accorder une telle confiance.»
«Mmm...je sais que cela fait longtemps que tu n’es pas partie de La Ville et afin que le voyage se passe bien...» Olympe se tendit dans son siège. Elle avait peur de la suite, que Mère décida de l’envoyer avec Ashmedéi pour escorte. Il était certes efficace, mais Olympe ne se voyait pas faire le voyage en sa compagnie. Comme l’avait dit une des recrues, il donnait facilement froid dans le dos. «Ce...Blaise, nous a envoyé un certain Meruem, de sa Légion. Un homme de confiance, j’imagine...avec qui tu feras route.»
«Bien.» Que pouvait elle dire ? Si elle posait trop de question, Mère allait s’impatienter et avoir l’impression que Olympe n’était pas motivée. «Quand dois-je partir ?»
«Dans deux heures, tu iras aux portes de La Ville attendre Meruem. Ashmedéi m’a dit qu’il n’allait plus tardé, selon ses sources.» Des oiseaux qui ne quittaient jamais vraiment leur maître. Des oiseaux de toutes sortes, qui, pour les voyageurs, ne semblaient jamais autre chose que de simples volatiles des alentours. «Aussi, va donc préparer tes affaires et je t’enverrai un domestique pour t’aider à tout transporter. J’espère que tu as encore des tenues de propres...ce serait embêtant.»
«Évidemment Mère. Une partie doit sécher, mais il me reste quelques artifices qui feront parfaitement l’affaire...»
«Soit...je n’ai pas grand-chose à te dire de plus Olympe. Prends garde à toi et n’hésite pas à nous contacter. Tu sais comment t’y prendre, je n’en doute pas….tâche de fidéliser la clientèle...»
«Et faire de sorte qu’il paie bien...oui Mère, ne vous en faites pas.»
«Je ne m’en fais pas. Bon voyage Olympe.»
En réalité, Mère était toujours inquiète quand elle envoyait une de ses protégées de part les routes, sans escorte qui lui appartienne, avec des inconnus, dans des territoires qu’elle-même n’avait jamais visité. Il était d’ailleurs rare qu’elle accepte qu’une première rencontre se fasse hors des murs de sa maison et encore moins hors des enceintes de La Ville. Mais au vu du statut de ce Blaise et de la fortune qu’il était prêt à mettre, Mère n’avait eu d’autre choix que d’accepter l’offre, bien trop alléchante. Ce fut donc tout naturellement qu’elle répondit à la requête de Blaise, par une missive qui donnait également quelques informations sur «comment trouver La Ville». Ces informations étaient énigmatiques et Mère espérait de tout coeur que ce Meruem serait assez vaillant et intelligent pour parvenir jusqu’aux portes de La Ville, au coeur d’une forêt si dense qu’on avait rapidement fait de se perdre. Ceux qui y entraient, n’étaient même pas certains de parvenir aux portes de La Ville, se retrouvant simplement à l’extérieur de la forêt, par un autre chemin que celui par lequel ils étaient entrés. Des légendes racontaient d’ailleurs que ce n’était pas vous qui choisissiez de venir, mais La Ville qui décidait si oui ou non, elle vous laissait entrer.
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Olympe s’en fut boucler ses affaires. Elle remplit deux sacoches de voyages, qu’un domestique s’empressa de placer de part et d’autre des flancs d’un cheval de montagne, aussi large que robuste. De couleur sombre, c’était celui que la prostituée préférait et qui offrait un confort certain de part la largeur de son dos. Les chevaux de La Ville ne portait ni selle, ni mors, encore moins ceux de Mère, qui jugeait ces artifices inutiles autant que cruels pour les bêtes. Une fois l’animal apprêté, Olympe se dirigea vers les portes de La Ville, qui donnaient sur le bois entourant cette dernière. Elle caressa le cheval tout en regardant à travers les arbres si elle voyait arrivé celui que Mère avait appelé «Meruem». Mère avait dit à Olympe d’enfiler sa cape émeraude, afin que l’homme des Légions de l’Éternel Ardent puisse facilement la reconnaître.