«La sortie de ton nouveau livre était tellement attendue ! Tu en as mis du temps pour celui-ci !»
«Il le fallait, tu sais bien que je n’aime pas travailler rapidement ou dans l’urgence. Et il fallait que...eh bien. Enfin. La création peut prendre du temps.»
«Enfin. Ce qui compte, c’est que c’est la grande séance ce soir !!!!»
«Moui.»
Nous étions assises dans mon bureau, Aemi et ses cheveux si roses, me fixant avec un grand sourire. Elle est ma relectrice principale et ma plus grande fane à ce jour. Du moins, je le crois. Une bouteille de champagne dans la main, deux coupes dans l’autre, elle me regarde et sautille en parlant. Je lui prend les verres pour éviter qu’elle ne les lâche. Ce ne serait pas la première fois qu’elle fait preuve de maladresse.
«Tu n’as pas l’air heureuse ?»
«Si...si si !»
«Mmm...qu’est-ce qu’il y a ?»
Elle se glisse contre mon dos, pendant que je dépose les coupes. Elle place la bouteille sur le bureau avec, m’enserre ensuite de ses bras fins. Elle sent la fraise. Je suis fatiguée. Je laisse ma tête aller en arrière contre son épaule et elle m’embrasse le crâne.
«Il n’y a rien Aemi. Ne t’en fais pas.»
«Ne me mens pas...»
La jeune fille me fait me tourner, lentement. Avec ses talons, elle me dépasse de presque deux têtes. Ses doigts attrapent mon menton et elle me relève le visage pour pencher le sien et me fixer. Son regard pénètre le mien et elle lit, comme dans un de mes livres.
«Tu es encore marquée par ce qu’il t’es arrivée avec ce cinglé n’est-ce pas ?» Comment ne pas l’être ? Autant j’ai eu moins de mal que je ne le craignais à me guérir de lui, autant il m’arrive d’y penser, surtout lorsque se prépare des grosses soirées où je termine souvent plus ivre que je ne le devrais. Et ivre, je suis vulnérable et conne. «Allez Mona...je ne vais pas te dire que c’est du passé, mais tu ne vas pas le laisser gâcher ta soirée ?! En plus...tu ne sais pas QUI a prêter sa demeure pour l’after ? Devine...»
Je regarde Aemi sans comprendre. Qui ? Comment veut-elle que je le devine ? Alors je secoue la tête, tout simplement, plutôt que d’essayer de dire des noms au hasard.
«Dragunov !!!!!»
«Qui ? C’est quoi ? Un Pokémon ?»
«Mais non ! Mais c’est un type connu dans le milieu.» Elle plisse les yeux, comme si nous avions un secret elle et moi «Tu sais bien...»
«...Non. Je ne vois vraiment pas Aemi.»
«Il y a plein de choses qui se racontent sur lui...mais personne ne peut le prouver. C’est pas SUPER excitant ?!» Je me dis surtout qu’elle devrait arrêter de lire tout et n’importe quoi et avaler ce que les gens sur internet racontent.
«Arrête ça. Si c’était un sale type, tu ne crois pas que la maison d’édition aurait refusé sa proposition ?»
«...Mouais. C’est pas faux. Mais laisse moi croire s’il te plaît !»
Aemi. Quel étrange personnage tout de même. Elle mériterait que je crée un protagoniste avec son énergie dans un prochain bouquin. D’autant que lorsqu’elle me fait part de sa sexualité, parfois, je me rends compte qu’elle possède une sacré imagination et peu de pudeur. Mais histoire de couper court à ce sujet, j’ouvre le champagne et nous sert un verre. Je ne boirai pas trop ce soir, histoire de ne pas prendre de risque inutile. Et puis il y a les dédicaces avant la grande soirée, autant avoir l’esprit clair pour signer des autographes. Et moi qui ne suis pas d’humeur festive...je suis servie.
…
«Mona, tu es prête ?»
«Oui...je crois.»
«Tu es magnifique comme ça. Tes fans vont être ravis.»
«J’espère, après tout, c’est pour eux que je fais tout ça. Si j’avais pu, je t’avoue Danny, que je serais restée sous un plaid, avec un gros pot de glace, devant des films d’horreur.» Il me caresse la joue avec un sourire.
«Tu verras, ça va aller. Tu n’es pas en dépression en ce moment au moins ?»
«Sérieusement, si je l’étais, je ne serais pas ici, engoncée dans une robe de cocktail...»
«C’est pas faux.» Il m’embrasse le front. «Me voilà rassuré. Allez, allons-y ! Tu es attendue.»
Nous roulons un moment, je l’écoute la tête appuyée contre la vitre. Il parle tout en conduisant, m’expliquant le déroulé de la soirée, sans pour autant me faire part du fameux brave type qui a accepté de prêter sa demeure pour terminer la soirée. Évidemment, ne sont invités que les membres de l’équipe autour du livre, quelques bourges qui me servent de mécènes, en quelque sorte et l’équipe d’un studio de cinéma, qui aimerait faire un film sur mon premier bouquin. Lorsque nous arrivons, je me rends compte qu’il y a pas mal de monde qui attend et demande à Danny si nous pouvons faire le tour, plutôt que passer dans la foule. Il accepte sans poser plus de question.
Cette fin de journée, début de soirée est un succès. Je parviens tant bien que mal à porter le masque des médias, sert des mains, écrit tellement de dédicace que j’ai mal aux poignets et m’extasie faussement sur les idées «si charmantes et astucieuses» de quelques écrivains en devenir. J’ai envie de les diriger vers mon agent, Danny, mais je dois faire montre de professionnalisme et de sympathie pour montrer l’aspect «humaine proche de ses fans» de Mona Duval. Pendant la petite conférence, les questions fusent, j’y réponds en essayant de me montrer plus sage que je ne le suis réellement et parfois, c’est Danny qui répond à ma place, lorsque la question posée est trop délicate ou risque de spoiler sur mes futurs écrits. Lorsque les dernières personnes prennent leur livre fraîchement signé, je me lève pour la suite de la soirée. J’avoue que je n’ai pas plus de motivation qu’au début, mais soit. Il faut bien que je me présente à une soirée en mon honneur. «Ce serait débile !» me dit Aemi, qui m’a rejoint à la fin. Elle était aller, comme elle me le glisse en riant, «rencontrer un de mes fans...dans les toilettes...si tu vois ce que je veux dire.» Cela m’aurait fait sourire, voir donner envie dans d’autres circonstances, mais pour le coup, je me contente de secouer la tête. Aemi est incorrigible.
…
J’ai mal aux pieds. Danny m’ouvre la portière lorsque nous arrivons et je sors, chaussures à la main. L’air est frai, mais c’est agréable. Aemi s’est excusée, elle est attendue à une autre soirée et de toute manière, bien que ce soit une bonne amie, je n’avais pas le droit de l’inviter. «Seuls les riches mécènes et les gens de l’équipe ont le droit de venir.» Autrement dit, moins poliment, la direction me fait comprendre qu’ils ne veulent pas de pique assiette à leur soirée...super. C’est ma soirée, mais je vais me retrouver qu’avec des gens aussi intéressants que la direction de ma maison d’édition, qui, si Danny n’avait pas été là, ne m’aurait jamais éditée. D’ailleurs, il me fait signe de le suivre, mais je lui demande un instant, histoire de profiter de l’air frais et du calme, avant de devoir rejoindre tout le monde, serrer des mains, faire semblant d’être flattée par de vieux type qui vont probablement me caresser la hanche en me parlant, l’air de rien, de mon talent alors qu’ils auront les yeux rivés ailleurs. Ma foi…
«Danny ? C’est qui qui nous prête sa maison ?»
«Mmm ? Oh...Randal Dragunov.»
«C’est qui ?»
«Un Pokémon.»
«Quoi ?»
«Hahaha. Non. C’est un autre gros bonnet de je ne sais pas et je m’en fiche Mona. Je t’avoue que ce n’est jamais moi qui fait ce genre de chose. Le côté économique et relationnel, je laisse la direction gérer. De toute manière, ils n’aimeraient pas que je mette le nez dedans. Tu es viens ?»
«Oui. Allons-y...»
Je remets mes chaussures et noue mon bras au sien, affichant un sourire de circonstance lorsque nous nous approchons de la demeure...