Nexus était une cité-état s’étendant sur plusieurs centaine de kilomètres, qui abritait plus de trois cent quarante mille habitants, en grande partie habitée de marchands et de fermiers qui subvenaient aux besoins de leur royaume à l’aide de réseaux élaborés de faveurs et de commerce qui avaient, jusque-là, garanti une certaine stabilité. Derrière ses hauts murs, probablement dressés par des géants d’une autre époque ou des magiciens dont les noms étaient aujourd’hui oubliés, des bourgades peuplées ainsi que de grandes fermes. Plus l’on suivait les chemins bondés de monde et bordés de commerces, plus on se rapprochait du cœur de la cité et ses grandes fortifications.
Enfin, ça, c’était à l’époque.
Maintenant, l’ancienne cité de lumière et d’ivoire était couverte de ténèbres. Un ciel gris, où le soleil ne perçait que quelques zones plus fine, et sans doute aidé de la magie. L’air y était lourd, comme si le sol lui-même tentait d’absorber ceux qui le parcouraient.
Le premier pas que Serenos posa sur le quai Arsil, au nord-ouest de la cité état, il sentit une fatigue indescriptible l’envahir, comme s’il venait de faire marche sur trente lieues dans la même journée ; l’absence de magie dans l’air était particulièrement prononcée, au point que les réserves du Roi devaient s’empresser de l’alimenter. Heureusement, le malaise ne perdura pas, et après quelques minutes d’acclimatation, il parvint à maintenir un certain équilibre entre sa magie interne et la magie externe, évitant ainsi des débordements épuisants et injustifiés.
Alessa posa une main sur l’épaule du Roi, pour s’enquérir de son état, et celui-ci répondit d’un simple hochement de tête avant de se tourner vers son peloton de cent hommes et femmes, tous armés et vêtus d’une armure argentée sur des habits noirs.
« On marche vers le palais », dit-il d’une voix ferme. « On ne s’arrête pas, et on traite la situation comme le passage d’un Vestige. Restez aux aguets, et si quoi que ce soit vous approche, assumez qu’ils sont hostiles. »
Ce n’était pas de la paranoïa. Il le ressentait autour d’eux ; le voile était si fin, si présent et palpable qu’il pourrait simplement le tordre d’un geste. Et pour être tout à fait honnête, il ne pouvait pas nier qu’il était tenté. Quoiqu’il se cache derrière le voile, cela ne pouvait pas être plus déplaisant que ce qu’ils vivaient actuellement.
Il pouvait voir les quelques piliers de lumière qui parsemaient la cité-état, les zones sûres où la magie du trône persistait encore, et en se fiant à l’état des routes, il devinait que même les artisans les plus courageux ne s’aventuraient pas au-delà de la zone d’effet à moins d’y être forcé.
Agrippant son épée d’une main et levant l’autre en marmonnant une phrase en langue ancienne, il activa les sceaux de protection pour les cent deux voyageurs et il se mit en route, bravant l’étrange froid silencieux qui le séparait de la demeure ancestrale de la famille royale de Nexus.
***
« Tenez-le ! Tenez-le ! » aboya le lieutenant Nexusien, sa lance pointée vers l’engeance d’outremonde.
La
bête se déchainait contre ses liens. Perforée de toute part à l’aide de javelots rattachés à des cordes, les guerriers tâchaient de la tenir en place, alors que leur supérieur prenait position.
Leurs efforts se soldèrent par un échec, car le monstre, d’un écart brusque, en tira une moitié à terre, puis se jeta sur l’autre pour les mettre en pièce, dévorant chair et armure sans distinction.
Serenos s’élança vers le monstre, Alessa à sa droite et Cahal à sa gauche. Le souverain agrippa la masse d’arme d’un guerrier tombé au sol et, d’un coup puissant, frappa le monstre à la tête, évitant le pire à une autre victime.
Le monstre se mit en posture d’attaque, mais Alessa et Cahal l’avaient déjà flanquée et lui donnaient des coups d’épée sur sa chair exposée. Au son des armes, Serenos comprit rapidement que les os de la créature était anormalement dense, et il s’écarta juste à temps pour éviter une morsure.
« Alessa ! Prend une masse ! Les javelots ! »
Disciplinée à l’extrême, la Matriarche s’exécuta et sonda les environs pour trouver une arme adaptée, trouvant une masse d’arme sur le sol à quelques mètres de là pendant que le Roi et son second s’affairaient à distraire la créature, l’attirant lentement, mais sûrement, vers le milieu de la rue et évitant davantage de dégâts aux demeures environnantes.
La bête, enragée, rua le Roi et le força au sol et l’écrasa de ses grandes pattes avant. Elle rugit et abaissa son horrible tête sans yeux vers le visage de sa proie quand un bruit de métal l’interrompit, suivi d’un son mouillée de chair et de sang. La créature hurla et bondit sur elle-même, et par la même occasion sur le Roi, lui coupant le souffle, avant de tâcher de s’éloigner de la source de son malaise. Un second bruit, et cette fois, elle s’effondra ; le javelot niché dans son échine venait d’être enfoncé complètement dans sa chair et lui avait visiblement brisé, perforé ou scindé quelque chose d’important, car la voilà au sol, chignant de souffrance mais complètement incapable de se défendre.
Le Roi se redressa lentement et souffla d’inconfort, jetant un coup d’œil vers Alessa et Cahal, tous deux couvert de sang. Il tourna le regard vers ses hommes, tous occupés à éloigner les passant et surtout à disposer du cadavre des créatures qui jonchaient la rue.
« Nettoyez tout ça. Je vais au palais. » grommela le Roi.
Il se tourna vers le lieutenant de la Garde de Nexus et s’approcha de lui, avant de lui tendre un bras.
« Je suis Serenos Aeslingr, Roi de Meisa. Lieutenant Taresil, si je ne m’abuse ?
- Oui, sire ! dit l’homme, visiblement ému d’avoir été reconnu, acceptant son assistance en se relevant. Je suis honoré…
- Je vous prie de me guider. Mon arrivée était prévue pour plus tard, je souhaiterais éviter d’être incommodé pendant mon entrée.
- Assurément, sire !
Le lieutenant s’empressa de trouver, et d’enfiler, son casque avant de faire un signe poli de la main pour inviter le souverain et sa cohorte à le suivre jusqu’au palais royal.
***
S’il ne s’attendait pas nécessairement à une réception gaie et enthousiaste, l’air sombre de l’assemblée devant lui ne manqua pas de surprendre le Roi alors que Taresil s’écartait de son chemin pour le laisser entrer dans la salle du trône. Un poil plus sobre que ce à quoi il s’attendait, pour être tout à fait franc.
« S… Sa… Sa M-majesté Serenos I Aeslingr de Meisa ! s’écria le crieur, dans une tentative étrange de susciter un minimum de réaction.
Aucune notable, hormis quelques regards confus et mal à l’aise.
Le Roi remarqua bien sûr que l’ambiance restait lourde, et donc s’approcha du trône, croisant le regard de la Grande Duchesse.
« Je crois que c’est la première fois que nous nous adressons la parole directement, Grande Duchesse vi Luciem. Il me fait grand plaisir de vous revoir. »