On ne peut pas dire que les notes d'Enothis étaient aux beaux fixes. Depuis quelques mois, les études avaient tendances à devenir de plus en plus complexe pour l'étrangère à la peau mat, à tel point que ses sujets d'épreuves revenaient assez souvent avec des résultats peu convainquant. Non pas qu'elle ait un père ou une mère sur le dos pour lui faire la morale, au contraire même, ces deux personnes étant encore loin d'elle, en Égypte, en train de suivre les voies d'un culte bien malheureux. En revanche, personnellement, cela la mettait dans un embarras croissant. De ses notations pouvaient dépendre beaucoup de choses, notamment son droit aux diverses bourses universitaires qui lui permettaient de vivre sans qu'elle ne touche à l'argent qu'elle avait récupérée des fonds du culte dans sa fuite. Autant dire que sans ces dernières, il allait lentement devenir évident qu'elle tirait de sa poche une quantité de monnaie bien supérieure à ce qu'elle pouvait normalement se permettre, donc lentement cramer la couverture qu'elle s'était construite pour ne pas être remarquée par ses poursuivants.
En tout cas, pour toutes ces raisons, il allait falloir qu'elle entame de sérieuses remises à niveau. Ce n'était peut-être pas un moyen peu commun dans un monde aussi élitiste que le Japon, mais c'était une dépense supplémentaire qui l'amènerait rapidement à la ruine si elle ne parvenait pas à faire de franc progrès. Le premier et plus évident souci restait sa compréhension de la langue nippone. Elle avait certes fait des progrès pour le parler, devenant de plus en plus bilingue sur ce point à force d'échanger avec ses voisins, la petite dame de la boutique en bas de chez elle, et même avec les différents membres du corps professoral qui la mettait en garde face à ses résultats scolaires... Mais dès qu'il s'agissait de lire les formes complexes des différentes écritures que constituaient le dialecte nippon, alors là, elle se perdait rapidement, ne comprenant généralement qu'une moitié des instructions qui lui étaient données par copie. S'il fallait qu'elle fasse un pas vers un meilleur travail, cela ne pouvait commencer que par ce point.
Aussi se mit-elle à d'intenses recherches, à la fois sur le campus mais aussi à l'extérieur du milieu scolaire, en quête d'une personne pouvant lui prodiguer un enseignement complet vis-à-vis de ce manque personnel de compréhension littéraire. Une bonne partie de ces observations ne menèrent qu'à la désillusion. Non pas qu'elle ne s'était pas attendue à des salaires un peu élevés, mais il devenait évident à mesure qu'elle s'informait que le milieu de l'enseignement spécialisé était atrocement cher, bien plus qu'elle n'aurait put se l'imaginer. Il fut évident, en quelques soirées de recherches sur le net, qu'elle ne pouvait tout simplement pas se permettre de prendre rendez-vous auprès d'un tuteur privé, tandis que les classes d'approfondissements représentaient un challenge bien trop important comparé aux attentes de l'égyptienne, les objectifs de ces dernières étant non pas d'apprendre mais de se spécialiser au vue d'études linguistiques supérieures. Elle dut donc rapidement se rabattre sur d'autres systèmes d'apprentissages, notamment ceux déjà existants à l'intérieur du complexe d'enseignement de Seïkusu.
Elle avait le choix alors. Le tutorat auprès d'étudiants plus âgés, ou alors se tourner vers un professeur pour obtenir éventuellement des cours supplémentaires. Autant dire qu'il n'y avait pas là de grandes possibilités, plutôt un choix restreint, mais celui-ci ne faisait pas vraiment douter la pauvre demoiselle en grand besoin d'améliorations : Vu le harcèlement scolaire qu'elle avait subie à son arrivée, notamment à cause de sa couleur de peau, mais aussi des idées préconçues qu'ont la jeunesse japonaise envers les étrangères (notamment sur la légèreté de leurs moeurs), elle se voyait mal faire la demande auprès d'autres étudiants pour s'améliorer. Rapidement après cette décision, elle contacta donc l'administration du lycée pour entamer une démarche de soutien scolaire, expliquant en moults détails qu'elle souhaitait obtenir une remise à niveau linguistique afin de parfaire sa compréhension instinctive de la langue, non sans parler d'enfin pouvoir comprendre les tâches et exercices qui lui étaient confiés.
Son dossier fut pris en charge, communiqué à la population enseignante, puis ... on lui trouva quelqu'un : M.Araki Totsuo.
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Après un bon mois de cours supplémentaires, les mardis et les vendredis après les cours, Enothis commençait enfin à pouvoir définir un peu l'enseignant qui s'était porté garant du redressement scolaire de l'égyptienne. Sévère, en soi, était un mot qui pouvait le définir, mais la demoiselle à la peau cuivrée ne s'en indignait guère, bien au contraire : Au moins, il n'y avait pas de fausse gentillesse envers elle quand elle se loupait, il lui mettait clairement le nez dans ses erreurs afin qu'elle parvienne à s'en souvenir et ne pas les réitérer. Ainsi, elle présentait enfin des formes de progrès, quelque chose qu'elle ne pouvait s'empêcher de se féliciter pour. En revanche, il y avait comme une sorte de gêne dans la salle de classe depuis une semaine, et pour cause, son enseignants commençait lentement à se poser quelques questions qu'elle trouvait effectivement logique d'amener sur la table, mais qui la mettait dans un certain embarras. Quand il mentionna son manque évident de maîtrise de la langue, elle ne put que lui répondre que ses autres capacités avaient été jugées suffisantes pour lui permettre de demander l'enseignement au Japon. Par contre, quand il lui posa la question de son âge, elle dut s'enfoncer pour que son mensonge tienne la route, se donnant quinze années plutôt que les quasi dix-huit dont elle approchait.
Mais avec un peu de chance, cela n'allait pas se reproduire. D'ailleurs, il était déjà dix-sept heure, aussi il était temps pour Enothis de quitter sa chaise à la bibliothèque et de monter les deux étages de l'établissement pour enfin poser le pied sur le long couloir qui menait jusqu'aux bâtiments de l'enseignement supérieurs. Monsieur Araki ne faisait pas partie des professeurs du lycée, il gérait plutôt les étudiants diplômés depuis plus de trois ans dans la conception de leurs études universitaires, notamment linguistiques et philosophiques. En soi, encore une fois, Enothis n'aurait pas put rêver d'un personnel plus compétent pour s'améliorer. En revanche, cela voulait dire qu'elle avait à traverser une bonne partie du campus pour pouvoir rejoindre la salle où l'homme dispensait son savoir en journée. Le mardi, elle croisait parfois un peu de monde, mais les vendredi, comme aujourd'hui, l'ensemble des couloirs étaient absolument vides. Parfois il y avait le personnel s'occupant du ménage, mais c'était bien tout ce qu'elle pouvait rencontrer sur le chemin.
Enfin, elle arrivait devant la pièce. Sac en bandoulière sur l'épaule, elle frappa doucement à la porte tout en regardant sa montre : 17h20, parfait, elle avait dix minutes d'avance.
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Bonjour, c'est Enothis, puis-je entrer ? "