Shahina, dans un calme olympien, patienta jusqu'à ce que le nouveau client dépose ses affaires, notamment ses armes, ainsi que ses lunettes noires, afin de les consigner de côté. Prudemment, elle fixa son interlocuteur, ne serait-ce qu'un millième de seconde, pour comprendre pourquoi il avait caché son regard. C'est en voyant ses pupilles fendues qu'elle réalisa la chose. Bien qu'elle, ainsi que la Clairière, se fichait des races qui pouvaient venir dans l'établissement, la jeune femme avait entendu quelques histoires qu'avait raconté Céleste sur les sorceleurs. Pourtant, il ressemblait à un homme comme un autre. C'est Duncan qui semblait plus sur ses gardes, malgré le fait que ce client avait déposé ses armes.
Toujours avec le sourire, Shahina prit avec délicatesse les lunettes, ainsi que le glaive et le couteau du client, allant dans une pièce derrière, invisible pour l'homme. En réalité, elle avait installé les possessions de l'homme dans un petit coffre-fort. L'Accueillante revint alors au comptoir avec un petit bracelet. Il était fait d'un cuir rougi, brodé en son milieu de fil doré. Elle invita le client à tendre son poignet, pour qu'elle le lui lace avec douceur.
" Ce bracelet indique aux Muses que vous avez des propriétés mises de côté, et que vous n'avez plus d'armes sur vous. "Une fois fait, elle inscrivit le nom du client sur le livre devant elle. Gerd. Ce n'est pas commun et c'est la première fois qu'elle entendait ce nom, alors il était vraiment nouveau client. Shahina releva la tête, observant l'homme lorsqu'il la questionna. La jeune femme haussa un sourcil, perplexe.
" Euh...Oui. Dame Céleste Albame, c'est bien elle. C'est la propriétaire de la Clairière des Muses. "Son questionnement était suspect. Peut-être avait-il rencontré la mère maquerelle bien avant qu'elle ne crée la Clairière ? Possible. L'Accueillante ne connaissait pas le passé de sa patronne. Céleste avait toujours été très discrète sur sa vie, même avec les Muses...C'est alors que Duncan sortit de son mutisme, s'approchant solennellement de Gerd, toujours droit comme un piquet. Son ton n'est guère menaçant, mais il semble détaché, voire froid.
" Si vous souhaitez voir Dame Albame, je peux vous conduire jusqu'à elle. Dans le cas contraire, l'Accueillante peut vous mener jusqu'au salon, afin d'y choisir une Muse. "La moustache de l'homme de main pouvait presque frémir. Il n'était pas rare que des hommes cherchaient à rencontrer la propriétaire des lieux, aussi bien pour bénéficier d'extra selon leur rang social, mais également parce que Dame Albame était une femme célibataire, par choix, et qui dirigeait un prestigieux établissement. Même s'il ne s'agissait là que d'une maison de courtisanes, elle faisait partie de celles les plus en vogue dans la capitale, pour ne pas dire la meilleure. Céleste Albame n'était pourtant pas une femme facile. Que ce soit en affaires ou en amour, elle était une cible très difficile à atteindre. Le seul moment où elle faisait preuve « d'amour », c'était envers ses Muses, qu'elle protégeait énormément...
Gerd semblait vouloir rencontrer la « maîtresse de maison ». Duncan salua simplement Shahina, avant d'inviter le client à le suivre. Même en déambulant dans la Clairière, Monsieur Artgal en imposait. Il semblait droit, fier. Sous sa posture et ses vêtements, on pouvait ressentir tout l'entraînement militaire qu'il s'était imposé durant sa vie, et qui, sûrement, s'y obligeait encore aujourd'hui.
Tout était magnifique dans ce bâtiment. Si l'entrée de la Clairière était somptueux, le reste n'était en reste. Avant de rejoindre les escaliers qui menaient à l'étage, le drôle de duo était passé une masse de rideaux bleus tirés. Derrière, on avait pu entendre des voix, certains rires aussi. Les Muses étaient au grand salon, là où les clients venaient en premier lieu pour choisir une ou plusieurs courtisanes pour passer le temps avec elles.
Les escaliers étaient faits d'un carrelage très clair, presque similaire au marbre, surplombé d'un tapis de couleur crème aux bordures dorés. L'étage était du même ton que le rez-de-chaussée. Le choix de blanc/crème était voulu, bien évidemment, mais qui aurait pu s'attendre à une bâtisse si propre, alors qu'avant, il s'agissait d'un simple bordel, avec des chambres remplis d'immondices ? Personne. Les couloirs ne sont ponctués de couleurs que par les quelques meubles, ainsi que les tentures, tableaux et plantes les décorant.
Une porte double, d'un bois très clair, finement gravé (-tout comme son encadrement-), donnait une fin nette à ce long couloir, dans l'un des embranchements en U du bâtiment. Duncan toqua à la porte, attendant une réponse de la mère maquerelle avant d'ouvrir. Passant le premier, il prit soin d'expliquer la situation, inclinant doucement la tête respectueusement vers Céleste.
" Mes excuses, Dame Céleste. Un client souhaiterait s'entretenir avec vous. Il se nomme Gerd et semble vous connaître.Si l'intérieur du bâtiment est d'une blancheur éclatante, le bureau de la propriétaire est d'un ton plus sombre. Plus neutre, le sol est fait d'un parquet somptueux, les murs d'un bois plus foncé que le parquet. N'oublions pas son bureau, tout de bois aussi, est d'un noir doux, gravé. La pièce semble séparée en deux : d'un côté, le véritable
bureau, sûrement pour faire de la paperasse, de l'autre côté, un
petit salon, meublé d'une table basse colorée et de fauteuils de cuir. On sent alors l'ambiance sérieuse de cette pièce, qui sert réellement aux affaires et rien d'autres.
La jeune femme se redressa de derrière son bureau, se levant de sa chaise. Céleste Albame portait une
robe qui la couvrait plus que ce qu'on pourrait attendre d'une mère maquerelle. Teintée de plusieurs couleurs violines, elle ne faisait apparaître que très légèrement son cou et un peu les rondeurs de sa poitrine en son milieu. Elle est fendue sur la longueur de sa jambe gauche, mais cela est très peu visible si Céleste ne marche que peu.
" Très bien. Tu peux nous laisser, Duncan. "L'homme de main de la Clairière salua une nouvelle fois Céleste. Avant de se retirer, il invita Gerd à pénétrer dans la pièce, refermant la porte derrière lui et retournant à son poste. La femme à la chevelure de jais observa donc son invité, avant de hausser les sourcils de surprise. Ses paupières papillonnent un instant, semblant être prise dans son inconscient. Mais la métisse se reprit assez rapidement.
" Oh...Je ne m'attendais pas à de telles retrouvailles. Bienvenue à la Clairière des Muses, cher ami. "Un sourire se dessinait sur le visage de la métisse, ourlant doucement ses lèvres pulpeuses. Céleste croisa ses bras sous sa poitrine, venant s'asseoir délicatement sur le bord de son bureau. Elle ne dévia pas son regard, fixant le sorceleur de ses yeux aux reflets dorés.