Au fond d’un chariot, dont le confort douteux endolorit les fesses aisées de la jeune elfe, l’excitation lui fait oublier les soubresauts chaotiques du véhicule de fortune. Or, une nouvelle secousse la pousse en arrière. Ses frêles épaules cognent contre une lourde caisse en bois. Elle s’est cachée à la hâte, au milieu de la cargaison. Fuir était l’idée ; Sylvia préfère se qualifier d’aventurière, à la conquête du monde inconnu. Loin de sa vie aisée, où une cuillère or lui fut enfoncée entre ses lèvres dès son premier souffle. Elle cherche l’authenticité et échappe au malheur de la ville, au mariage forcé avec un vieil homme dont la bouche n’est décorée que d’une dent branlante.
Le cocher s’était arrêté et il l’avait vu. Cette elfe. L’innocence brille au cœur de ses naïves pupilles. Une effluve florale émane de ses délicates mèches flamboyantes. Elle n’a rien d’une campagnarde, tant l’on peut sentir la douceur de sa peau d’un simple regard. Que faire ? La question s’était posée. La laisser là serait, au bord de la route, serait la condamner à mort. Le gentilhomme avait déjà bien assez de poids sur les épaules pour y ajouter un cadavre. Il la déposerait au ranch : Ils lui trouveront une utilité et un travail.
Laisser derrière, protégée de l’insolent soleil, le trajet paraît bien long. La douleur s’accentue au fil des minutes. De ses doigts fins, elle tire sur la toile, qui couvre l’habitacle. Devant ses pupilles grisâtres s’étendent les terres sauvages et hostiles. La liberté se dévoile à ses yeux ; les chaînes de son sang bleu se délient de ses poignets fragiles. Sylvia respire pour la première fois. Loin de se douter de la dureté de la vie, nul ne peut endiguer son espoir et sa volonté de vivre et mourir, libre, ici. Une dernière pensée est accordée à son fiancé vieillissant. La mort l’apportera bien avant son retour… Elle lui souhaite de renoncer et de trouver une nouvelle victime.
La calèche s’arrête. Et les rideaux beiges sont tirés et dévoilent un homme, forgé par le travail. Son regard tombe sur ce corps musclé et fatigué d’une journée harassante. Cet homme, à mille lieux de son univers, aurait répugné ses parents et proches par cette crasse et sueur qui s’est accumulé sur sa peau. Pourtant, Sylvia découvre le désir, l’excitation. Dans un tourbillon d'émotions que sa vie d’enfant modèle lui a épargnée, elle est perdue et pantoise. Tout se lit sur son visage, de ses yeux pétillants, à ses joues écarlates et son sourire gêné.
Voilà, une vue qu’elle n’oubliera. Une bête qu’elle désire chevaucher. Mais ses pensées sont tut et oubliées sous les reliquats d’une éducation stricte et traditionnelle où le plaisir n’a sa place.
L’elfe se traîne entre les caisses imposantes pour sortir du véhicule. Elle est si simplement vêtue d’un bustier blanc et d’une jupe rose que l’on aurait pu douter de son rang. A son cou, traîne un foulard maintenu d’un bijou d’or dont le prix dépasse l’imagination des modestes habitants du coup.
« J’lai trouvé à mi-chemin. J’me suis dit que tu lui trouverais une place dans la grange et un p’tit travail ! La M’demoiselle elle a dit qu’elle accomplirait toutes les tâches qu’on lui donnera. »
Le fort accent et la manie d’avaler les syllabes du cocher compromettent la compréhension de Sylvia. L’idée principale est là ; à son tour, elle intervient. Droite et élégante, le regard fier, elle ne compte céder.
« Je me rendrais utile. Quelque soit la tâche, je peux tout apprendre ! »