Ces Ashnardiens le fatiguaient ! Chaque fois que Gerd devait se rendre dans la capitale de leur empire maléfique, le sorceleur se rappelait bien vite pourquoi il ne l'aimait pas et en filait le plus vite possible quand il y passait. Il préférait encore Nexus et ses mages prétentieux, c'était plus calme au moins : on ne le sollicitait pas à chaque coin de rue pour couper une tête contre un peu d'argent.
Il n'était pas bon marché. Ses talents étaient grands. Et il proposait un tarif exorbitant aux nobles locaux, qui, parfois, étaient quand même assez désespérés pour justifier un arrêt relativement plaisant.
Cette fois, un duc, rien que ça, l'avait approché par l'intermédiaire de quelque majordome mielleux pour lui demander de trucider un autre duc, son ennemi juré, sa némésis. Il était prêt à payer cher et rubis sur l'ongle et Gerd l'avait fait cracher, à commencer par une chambre d'hôtel luxueuse avec service illimité et une avance pour une série de choses dont la plupart ne lui serviraient pas dans cette mission, mais dont il avait besoin de se réapprovisionner.
Et puis, il avait laissé jouer la concurrence. Cette cité était remplie d'espions et d'oreilles indiscrètes et il lui avait suffi de glisser au barman pourquoi il était là et qui payait pour sa chambre et ses consommations pour qu'on s'agite en coulisses, il le savait.
Avant longtemps, les pages avaient commencé à délivrer des messages, chacun recevant peu ou prou la même réponse, pas fondamentalement négative mais certainement pas positive.
L'Ashnardien savait sans doute à qui il avait affaire et devait déjà sentir le fil de sa lame d'acier peser sur sa nuque. Car une fois que Gerd se déciderait à passer à l'action, sa maisonnée entière y passerait, il le savait. Les Ashnardiens étaient des politiciens et des intrigants, leurs guerriers périssaient empoisonnés ou poignardés dans le dos. Face à un surhomme comme le sorceleur, leurs chances étaient proches de zéro et dépendraient d'un coup du sort.
C'est pourquoi une véritable entrevue est finalement demandée, à laquelle le sorceleur répondit favorablement si on venait à lui. Il ne s'attendait pas à recevoir le duc lui-même, les Ashnardiens restaient des malins, mais il aurait sûrement affaire à quelqu'un capable de négocier proprement et en direct.
Ou il aurait affaire à un assassin.
Ce qui expliquait pourquoi il attendait avec son arbalète au poing dans un angle parfait pour répondre à la menace potentielle de façon appropriée.
Si c'était le cas, il s'habillerait, irait finir le travail et filerait réclamer son dû.
Sinon, il écouterait.
Et au son des pas qui approchaient de la porte, il eut un doute. Il ne pensait pas faire face à un combattant, mais les assassins pouvaient être légers et masquer leurs pas. Le toquement à la porte accrut son doute, mais il ne baissa pas l'arbalète.
"Entrez !"
La porte s'ouvrit doucement. Et quand Kleora passa la porte et entra dans son champ de vision, il garda l'arbalète levée. Il siffla pour attirer son attention sur lui et constata vite qu'elle n'avait pas d'arme sur elle.
D'un geste, il baissa le bras et se débarrassa de son arme.
"Ferme la porte !"
Il attendit que ce soit fait avant de se lever et de se diriger vers l'émissaire du duc. Il l'examina de ses yeux sombres aux pupilles verticales. La Terranide féline était un modèle de délicatesse et d'élégance, gâtée mais bien soignée. Elle était habillée pour séduire, ce qui fonctionna très bien : le corps du sorceleur, bousculé entre les extrêmes, frissonnait en la détaillant et son esprit s'imaginait des choses bien indignes avec ce petit corps pâle et léger. Le bout de sa langue passa sur ses lèvres.
"Alors, c'est toi qui parlera pour ton maître. Il doit avoir une sacrée confiance en toi pour te confier des négociations si capitales. Dis-moi comment tu t'appelles et ce que tu as pour moi !"