Même quand ils ne discutaient pas, Senestra était dans un tel état de béatitude qu'il avait bien du mal à soutenir plus de quelques instants ses regards envers la demoiselle aux cheveux bleu nuit. C'était assez simple par ailleurs, mais la regarder quelques instants produisaient nombres d'effets qui ne le rendait que plus mal à l'aise par la suite : Son coeur qui s'emballait, venant battre comme mille tambours dans sa poitrine, ses mains qui avaient tendances à devenir moites, ce qui lui donnait l'impression d'être un peu sale, éventuellement incorrect dans le cas où il pourrait oser un geste. Quel geste d'ailleurs ? Il ne le savait même pas, mais s'il voulait lui caresser la joue, prendre sa main dans la sienne, ou tout autre chose, il ... Il ne voulait pas que ce soit avec une pogne rendue désagréable par l'humidité qui s'y était malencontreusement créé. Alors voilà, il était obligé de regarder autre part, de ne pas se laisser aller à ses désirs les plus naturels et honnêtes pourtant. Il cherchait simplement à être une bonne personne, qu'elle se souvienne de lui en bien. C'était tout ce qui comptait, non ?
" Moi aussi, j'ai été vraiment chanceuse de te rencontrer ce jour là Senestra ! "
Il eut un petit sursaut. Exactement, il s'agissait de son coeur qui venait de louper un battement face à la douceur des mots de la demoiselle, non sans parler du ton qu'elle avait employé, à la fois invitant et délicat. Non, non, il se faisait sûrement des idées. Exactement, il se voyait déjà être en train de confondre une simple sympathie avec une forme d'intérêt de la part de sa compagne d'études, tant et si bien qu'il chercha à se reprendre, se secouant d'abor un petit peu avant de lui poser d'autres questions, moins confuses et sûrement plus à même de lui permettre de comprendre que, non, il n'était pas une nécessité pour cette magnifique jeune femme et qu'elle venait simplement parce que sa présence était un prétexte au sérieux des révisions qu'elle souhaitait poursuivre. Voilà, c'était ça, elle ne pouvait qu'avoir le désir de profiter de la présence d'un autre élève pour mieux travailler. Qu'ils s'entendent bien n'était, finalement, qu'un petit bonus, un surplus de plaisir auquel il ne devait pas se raccrocher. Pourtant, il le savait, intérieurement, qu'il espérait une toute autre réponse.
" Non, bien sûr que non. je ne me sens pas du tout obligée. Ça ne me dérange pas, bien au contraire. Je suis contente de pouvoir passer du temps privilégié avec quelqu’un que j’ai- que j’apprécie. "
C'est cela, exactement. C'est le genre de phrase qu'il aimerait entendre, ce genre d'aveu sincère et délicat, teinté d'une pointe de gêne qui n'a que la merveilleuse nature de rendre l'échange encore plus poignant, encore plus doux. Mais c'était bien là un fantasme, typiquement ce genre de chose que l'on imagine en croyant que les contes de fées existent. Rien qu'aujourd'hui, ça lui était déjà arrivé, il avait crû, un instant, qu'elle s'était indignée quand il avait osée se dire un peu idiot, mais dans le fond, voilà bien encore une fois une preuve que son esprit pouvait très rapidement lui jouer des tours. Il ne fallait pas du tout qu'il confonde ses rêves avec la réalité, un peu plus et il serait même capable de sortir des idioties terribles, du genre qui brisent une relation d'amitié sincère par la démesure des sentiments qui y sont révélés.
Mais ... Attendez ... Ce n'est pas comme si il n'avait pas effectivement entendu ces mots. Perdus dans ses pensées, il n'avait même pas fait assez attention pour s'en rendre compte, mais est-ce qu'il... Est-ce qu'elle venait de ... Non ce n'était pas possi... :
" Rassure-moi. T-Toi non plus tu ne te forces pas à venir, n’est ce pas ? Je… Je m’en voudrais si c’était le cas. "
Court mais terrible silence. Normalement, Senestra serait en train de se tirer la joue pour s'assurer qu'il ne rêvait pas, mais le bruit de son coeur battant à tout rompre résonnait déjà suffisamment dans ses tympans pour qu'il en ait pris conscience. Elle.... Elle lui avait effectivement dit ce qu'il avait crû entendre ? Est-ce-qu'il... était suffisamment maladroit pour s'être persuadé qu'elle n'avait jamais prononcée les mots qu'il avait put entendre plus tôt ? La réalisation lui prit un peu trop de temps à son goût, mais cela n'empêcha pas pour autant le jeune homme de laisser son esprit faire son petit bonhomme de chemin, jusqu'à ce que la réalité se rappelle à lui. Elle avait posée son crayon, donc finie ses exercices, pourtant elle ne relevait pas son visage. Ses mèches de cheveux cachaient ses yeux et son visage, pourtant il était certain de voir le rouge de ses joues. Depuis combien de temps la fixait-il ? Deux secondes ? Dix minutes ? Il était pourtant si incorrect de ne pas lui répondre, mais le choc avait été tel qu'il était resté coi. Mais il... Il était temps de corriger cette erreur.
" Alice je ... "
Allez, il commence par l'appeler par son prénom, comment ne pas avoir l'air plus maladroit, plus idiot, plus incorrect !? Et puis pourquoi il se penchait vers elle, amenant ses doigts pour décaler les mèches qui cachaient le visage de la demoiselle, hein ? Il allait se cramer, elle allait le prendre pour un malade mental, un gosse en chaleur, le pire des connards qui tente de profiter de la moindre occasion, c'était certain ! Allez arrête-toi là Senestra, de toutes façons t'es pas fait pour avoir un intérêt amoureux, y'a pas grand monde qui ne veut autre chose de toi que ton aide désintéressé. Parce que dans le fond, tu n'es bon qu'à te faire utiliser n'est-ce-pas ?
" Excuse-moi je ... Hum, hum. Je suis extrêmement heureux de passer ces heures avec toi. Rien ne me fais plus plaisir, depuis que nous nous sommes rencontrés. "
Il tremblait. Ses doigts s'étendaient encore en direction du visage de cette précieuse amie, avant qu'il ne soit plus qu'à quelques millimètres des mèches de la demoiselle. Il ne s'en était pas rendu compte mais ... Il respirait profondément, même si silencieusement. Il manquait d'air, et pourtant il avait aussi l'impression d'en avoir toujours trop dans ses poumons. Sûrement à cause de son coeur qui battait suffisamment rapidement pour faire faire une crise cardiaque à un cycliste professionnel en pleine épreuve du Tour de France. Il avait du mal à se contrôler, alors qu'il le devrait, rien que pour elle. Sûrement ne désirait-elle pas ça, même si elle lui avait avouée le plaisir qu'elle avait de vivre ses moments à ses côtés. Bon dieu mais comment il formulait ça lui, dans sa petite tête de lycéen en plein émoi !? Il devait s'arrêter... et pourtant ses doigts vinrent enfin se glisser auprès des mèches fines d'Alice, les décalant délicatement pour révéler son visage tout aussi rougeoyant que celui de son compagnon de la soirée. Elle regardait ses feuilles avec une gêne qui lui transperçait le coeur d'une émotion vibrante... Il la contemplait avec dans les yeux une fascination à l'aune de ses sentiments.
" Alice est-ce que tu... "
Sa question resta en suspens. Car quelques horribles diablotins semblèrent avoir de biens étranges projets, ceux-ci n'attendant guère que le lycéen parvienne à s'exprimer dans toute sa peur et sa maladresse. Le silence dans la bibliothèque, hormis leurs deux respirations, n'était guère suffisant pour couvrir le son qui résonna depuis l'extrémité opposée des lieux. Le bruits de nombreuses clés qui s'entrechoquent. Le bruit d'une serrure que l'on verrouille avec un mouvement aussi rapide que maîtrisé. Deux tours des plus rapides, des plus efficaces, et qui ne laissent nulle place au doute. Comme s'ils allaient soudainement se faire prendre, Senestra se redressa immédiatement, déglutissant avant de se traiter d'idiot à avoir eut une telle réaction ! Qu'est-ce-qu'il avait à cacher ? Et si .... Et si elle prenait mal ce comportement, comme si il n'assumait pas ce qu'il allait dire au point que n'importe quel risque serait évité, et la moindre relation dissimulée. Ah merde, il avait finalement merdé de A à Z. Il le savait .... Quel nul !
" Je... Pardon je vais aller voir. Je reviens de suite, ne t'en fais pas ... "
Voilà, la fuite. Il contourna Alice et se glissa entre les étagères pour voir qui venait de rentrer dans la bibliothèque, mais fut étonné de ne voir absolument personne. Pourtant il était sûr d'avoir entendu le bruit des clefs. Est-ce que cette personne se cachait ? Instinctivement il observa l'endroit où se trouvait Alice, pour voir si elle ne semblait pas voir quelque chose qu'il n'avait pas remarqué. Non, visiblement rien. Eh bien soit, il s'avança le long des étagères puis... Une fois qu'il fut certain que personne d'autre ne se trouvait dans la bibliothèque, il commença à se passer la main dans les cheveux, nerveux. Qu'est-ce qu'il se passait ? C'est là qu'il se rendit compte de la seule autre possibilité existante. Vivement, avec un empressement inquiet, il s'élança jusqu'à la première double-porte coulissante et en attrapa la poignée latérale... Pour ensuite la tirer dans un élan un peu incontrôlé. Si la porte avait été déverrouillée, il l'aurait sûrement claquée de toute ses forces sans même s'en rendre compte. Fort heureusement, ce n'était pas le cas. Malheureusement, ce n'était pas le cas non plus.
" Oh bon sang de ... "
Il s'empêcha de jurer devant Alice... Mais là, il avait sévèrement l'impression d'être dans la mouise, d'autant plus qu'il n'était pas seul dans cette galère.