Putain, il n’avait même pas daigné tendre la main pour récupérer le tube de crème. Kara serra les dents, grimaça sous un petit choc électrique dû à la chute, et encaissa son baratin. Pour le coup, il semblait être au comble de la gentillesse dont il était capable, en lui donnant des conseils sur un ton condescendant. Et en lui apprenant son métier, par la même occasion.
Mais il faudrait qu’elle regarde si l’immeuble à côté faisait partie de son secteur, auquel cas elle foncerait leur vendre sa came, assurant peut-être d’être à demi-humiliée par Phil, ce qui était euh. Un bon point ? Kara plissa les yeux dès qu’il insinua qu’elle avait parlé comme un robot, et se retint vraiment de répliquer. C’était inutile, et dangereux. Elle était chez lui, elle était seule, il faisait des arts martiaux, d’après ce qu’il avait plus ou moins confirmé avec mépris juste avant.
Agacée, mais se contenant du mieux possible, elle déposa le petit tube d’échantillon sur ce qui avait l’air d’être une des seules étagères accrochées au mur, près de la porte, où des crochets attendaient en vain des trousseaux de clés bien rangés. Il n’avait pas dit non, et elle voulait qu’il garde ce truc, vraiment. Elle soupira intérieurement en estimant qu’il allait mettre quatre secondes à jeter son produit… avant d’être contredite.
Ah. Non, oui, vu l’état lamentable de l’appartement, il allait juste le laisser là pendant des mois, et l’oublier avant qu’il pourrisse. Enfin, cela mettrait des années, y avait des tonnes de conservateurs là-dedans. Personne ne pourrait vivre dans un tel taudis, c’est vrai, mais elle manqua de s’étouffer quand il évoqua le remboursement.
« Quoi ?! » C’était la meilleure de la journée, elle allait avoir des paroles malheureuses, son visage se crispant, outrée, mais il souffle ensuite sa vulgarité en l’invitant à entrer totalement ? Kara plisse les yeux avec méfiance. Mais elle t’emmerde la plante verte !
Mais visiblement, ce mec a déjà en tête autre chose, et elle réceptionne assez mal un sac plein de glaçons, sursautant et manquant de peu de le laisser tomber. La brûlure du froid a congelé sa cage thoracique, mais la glace vient rencontrer sa joue... « Euh. Merci. » C’était la moindre des politesses, mais chacune de ses paroles avaient l’air d’être des insultes, c’était compliqué de le trouver sympa.
Et… et il lui raconte sa vie. Interloquée, un peu paumée aussi, Kara l’écoute sans broncher, et se sent obligée de répondre.
« J’vais pas rester, hein. » Loin d’elle l’envie de ‘flinguer sa journée’, comme s’il était le seul à vivre un enfer. Lui au moins, il était chez lui, et il n’avait pas Grincheux pour premier client. Enfin, client… Sa source de revenus devait passer dans les plats tout-prêt et l’alcool bon marché, quelle bonne blague Phil, ce secteur, vraiment.
Mais voici qu’il retire son haut, laissant Kara perplexe, cillant en ouvrant la bouche pour suggérer qu’elle était encore là, et que peut-être il ferait bien d’attendre son départ pour se foutre à poil. Mais… Il s’éloigne.
« Euh. Ben… Okay, hein. Je… » Alors qu’il a le dos tourné, Kara fut tentée de lui laisser un bon de commande signé, évidemment de sa main à elle hein, mais à son nom. Il faudrait juste qu’elle fouille pour trouver son identité, ou sur la boîte aux lettres ? C’était évidemment illégal, mais ce serait une solution miracle. Il ne paierait pas à réception des produits MAIS le Laboratoires le mettrait de demeure, et ce serait une question d’huissiers dans quelques mois. Et Kara aurait sa prime.
La perspective était tentante, elle rêvassait en le suivant des yeux, distraitement.
Mais très peu honnête. Elle se ferait casser la gueule, au mieux, licencier, et jugée pour vente forcée, au pire. Lâchant un long soupir désespéré, la jeune femme enjamba les immondices pour gagner l’évier dans la cuisine, y déposer le sac avec les glaçons. Même si c’était inutile, elle ne put s’empêcher de regrouper deux ou trois boîtes de nourriture à emporter en un petit tas, assez maniaque.
« C’est vraiment dégueu… » Fit-elle pour elle-même, convaincue que le maître des lieux était dans une autre pièce. Elle disposa ensuite, par réflexe, le petit échantillon récupéré, une carte de visite, un bon de commande vierge, un prospectus.
Et en observant cette composition parfaite, qui resterait sans résultat, elle fut prise d’une colère froide. C’était injuste. Et il prendrait pour tout le reste, tant pis.
« Aller, salut ! T’es un sale type, tu pourrais au moins être poli, je t’ai pas manqué de respect, et j’y suis pour rien si ta vie est pourrie, passe tes nerfs sur quelqu’un d’autre, tocard ! »
Les poings serrés, elle fit demi-tour, comme une petite boule de nerfs peu crédible, et fit claquer ses talons jusqu’à la porte en concluant, la voix aigue bien haute.
« C’est moi qui devrait te demander de rembourser les frais médicaux, j’ai eu un accident dans ta porcherie, j’espère que t’as une bonne assurance ! »
Sur cet excès, Kara ouvrit la porte avec rage, et la claqua derrière elle, en récupérant sa mallette à roulette. Voilà, connard, connard, connard ! Les joues rouges, l’accumulation remontant à son visage, elle marchait d’un pas énervé et raide dans le couloir, décidée à quitter cet immeuble de cas sociaux, pour aller à côté.