Il n’était pas étonnant qu’un homme qui appréciait les reliques ésotériques connaissant la Sorcière Thiana Gian, et étrangement, Alecto en ressenti une sorte de fierté. Elle avait servi cette femme ; elle sa servait toujours actuellement, techniquement… Sa Maîtresse devait être à sa recherche, mais l’étendue des pouvoirs d’une Enchanteresse n’était pas assez puissante pour réussir à la localiser, désormais que le Démon avait apposé son sceau sur l’Esclave.
Les menaces sur sa masculinité eurent raison des quelques réticences du Gras, et Alecto suivit docilement son Maître jusqu’à la chambre somptueuse qui leur serait réservée… Elle fut émerveillée par ce décor d’un luxe excessif, lui rappelant des souvenirs diffus et étranges, flous, d’ancienne demeures où elle avait séjourné.
Puisque le Démon semblait la voir propre après ces désagréables besognes, la jeune femme se laissa faire sans une once de réticence. Jamais on ne l’avait lavée, peinée, choyée ainsi… Les attentions de Damascus ébranlèrent ses sens, alors même qu’il nouait ses longs cheveux noirs, dans un geste loin d’être érotique. Mais la nouveauté rendait chaque mouvement aussi vibrant qu’une caresse, la faisant frissonner doucement. Elle se trompait sur les intentions du Démon, évidemment, songeant qu’il faisait tout ceci pour lui faire plaisir, pour la récompenser des loyaux services qu’elle avait su effectuer pour lui. Elle prit même cela pour de l’affection, et de l’attachement, crédule petite Corneille.
La sérénité avait regagné son corps, la colère ayant déserté son visage et son cœur, et Alecto couina dès qu’elle sentit les mains de son Maître parcourir la peau de sa poitrine, incapable de bouger même si elle en avait eu envie. Cependant, l’Esclave était loin d’être retenue contre son gré, cette fois. Elle appréhendait le passage de ses doigts contre ses tétons avec des frissons d’impatience, le désir explosant sur ses pommettes en les rendant carmin, et faisant accélérer sa respiration.
En quelques caresses à peine, le doux Corbeau haletait comme s’il l’avait prise furieusement contre le rebord de ce bassin, sans ménagement. Sa peau sensible frémissait par anticipation de ses caresses, mais elle sursauta tout de même lorsqu’elle sentit ses doigts pénétrer son intimité.
Elle balança immédiatement la tête en arrière, contre la clavicule de son amant, gémissant désormais sans jamais s’en cacher ; C’était la première fois qu’elle se laisser aller à ressentir un tel plaisir sans qu’il ne soit accompagner de culpabilité, de sermons intérieurs, de dilemmes… C’était si bon… Il ne lui avait pas fallu bien longtemps avant que la sueur de perle à son front, et qu’elle n’ait l’air d’une démente, là où beaucoup auraient su se contenir en prévision de ce qui arriverait…
S’allongeant d’instinct dès que le Démon initia son geste, son corps se tordit dès l’effleurement de son souffle entre ses cuisses, et elle émit des sons de plus en plus fort, se laissant totalement happée par ce plaisir qu’elle découvrait comme si elle c’était la première fois qu’un homme s’attardait à ces endroits si brûlants. Elle était enfin libre de ressentir ce brasier sans songer aux châtiments qu’elle aurait à se faire endurer, elle-même, pour avoir osé s’adonner à des pensées, des extases si intenses.
Sans aucune retenue désormais, en nage, l’Esclave serra ses cuisses contre le visage du Démon en soufflant son nom d’une voix rauque qui se perdait dans ses râles, et dans un ultime encouragement en venant agripper ses longs cheveux fins, elle se convulsa comme prise d’une crise de tétanie. Les soubresauts mirent un moment à se dissiper, tout son être se consumant, et elle retomba comme un poids mort sur le sol, haletante, et un visage d’une sérénité et d’un contentement rare.
Elle manquait de force, et être transportée avec autant de douceur dans un lit aux dimensions farfelues fut salvateur. Alecto avait encore des papillons dans le ventre alors qu’il la bordait comme une enfant, et elle lui lança un regard d’une dévotion sans borne, intense, pur… Le Maître réclamer son sommeil et ses rêves, elle lui sourit d’un air béat, étonnée de son précédent silence, mais respectueuse de ses moindres désirs.
Elle ferma les yeux, mais son cœur battait trop fort dans ses tempes, et elle se rendit compte que Damascus dormait à ses côtés bien avant elle. Il fallait qu’elle s’endorme, il l’avait réclamé… Mais son esprit était toujours embrumé par l’intensité de leurs ébats. Quel soulagement de ne pas se sentir obligée de se brûler avec la cire des cierges, ou de lacérer sa peau d’un crin rêche. Instinctivement, Alecto tira la couverture de satin et passa les doigts sur sa propre cuisse, aux cicatrices boursoufflées par le cilice, en soupirant.
L’Esclave se tourna sur le côté, observait à la faible clarté d’un âtre à l’autre bout de la pièce le visage délicat et raffiné de son Maître. Il lui sembla beau comme un dieu. Les Démons étaient-ils tous aussi séduisants ? Sa main effleura avec douceur sa mâchoire fine et les traits élégants de son visage, comme pour les dessiner, son regard emplit d’affection mièvre… typique des jeunes filles qui s’amourachent des entités maléfiques, submergées par leur aura tentatrice et distinguée.
« Je plains quiconque voudrait vous affronter, mon Beau Damascus. » Murmura-t-elle comme si elle était seule, son pouce passant sur ses lèvres entrouvertes par le sommeil.
« Il n’existe rien qui puisse vous résister. Et je pourrais tuer pour vous… » Sa voix était basse, sinueuse et suave, se révélant pleine d’assurance et de désir.
Oh, oui, elle le réalisait alors.
S’il le lui demandait, pourrait-elle ôter la vie à un être humaine, elle qui n’avait jamais été qu’une peureuse, effrayée par son ombre elle-même, incapable de regarder ne serait-ce qu’un insecte sans hurler de terreur ?
Elle savait que Thiana Gian conservait une mèche de cheveux de ses amants et amantes, en souvenir. Naïvement, elle pensait qu’il s’agissait d’un trophée affectueux… ignorant volontairement ou non qu’elles lui servaient surtout de moyen de pression, pouvant se servir de ces fragments comme de puissants liens avec les victimes de ses ébats dévergondés.
Alecto admira les mèches d’encre du Démon, avec attention. Une attention perverse nouvelle et incontrôlable. Il la possédait tout entière, ne serait-il pas juste qu’elle possède également une infime partie de lui ? La jeune femme se mordit la lèvre avec envie, caressant les longs fils noirs et soyeux, en piochant une mèche qu’elle fit rouler entre ses doigts, venant inspirer son parfum en une grande respiration d’adoration.
Elle avait l’envie irrépressible de garder précieusement quelques cheveux toujours sur elle. Son petit trésor, sa relique à elle. Plus merveilleux que le plus rare des artefacts de Tadéus le Gras, à ses yeux. Elle se leva alors, discrète naturellement, nue, traversant la pièce à pas de loups rapides, pour se saisir d’un coupe-papier au manche élégant de nacre et de cuivre ouvragé. La lame peu aiguisée suffirait amplement à détacher quelques centimètres pour les conserver jalousement, peut-être dans une petite fiole, à son cou ? Oh, oui, près de son cœur…
La morale lui aurait interdit ce geste jadis, mais désormais…
Le petit Corbeau délicat tint fermement le pommeau, et trancha une toute petite mèche précieuse, d’un geste sec qu’elle n’aurait jamais cru pouvoir effectuer un jour.