Je vais te délivrer de ce fardeau injuste et t'incliner devant la véritable puissance de ce monde.
Cette phrase résonnait dans le crâne d’Alecto.
Son corps s’était soulevé, contorsionné en des postures inhumaines, les yeux révulsés et le visage souillé dévasté par des soubresauts chaotiques, dès que le glyphe entra en contact avec sa peau. Cela dura un long moment, et vu de l’extérieur, elle se désarticulait dans des mouvements irréguliers et impossibles à appréhender, la bave et les fluides infects aux lèvres, les membres tantôt durs et tendus comme des tiges, et tantôt mou comme invertébrés.
A l’intérieur, un champ de bataille constituait son âme, et un brasier consumait ses chairs. Elle brûlait, littéralement, une sensation semblable aux suffocations avait effacé le goût de la sève qu’elle avait dû avaler et recracher pour ne pas s’étouffer. Elle pourrissait et s’étiolait comme une fine couche de parchemin devenue cendres, et une seconde, elle crut s’élever au-dessus de son corps, même.
Alecto ignorait ce qui lui arrivait.
Elle n’avait plus de pensées, plus de sens.
Seule la douleur.
Elle se vit, comme extérieure à elle-même, et le Démon au souffle fumant par-dessus sa peau aux nombreux témoins de ses erreurs passées. Elle vit ses globes oculaires blancs, sa langue presque pendante, ses seins visqueux. Et tout lui semblait étranger.
Un long moment, elle s’observa se secouer comme une possédée, avec une violence inhumaine, sans ressentir le moindre sentiment, ni empathie, ni colère, ni intérêt.
Tant que son Âme semblait encore en proie aux résistances et aux attaques, pour le contrôle de son corps et de son esprit, l’Esclave avait l’impression d’assister à un spectacle qui la laissait de marbre. Un processus de défense, sans doute, l’unique moyen de survivre à cette épreuve. Le détachement.
Visiblement, deux forces primordiales revendiquait la possession de sa personne, mais elle assista sans émotion aucune à la chute de l’une d’elle. Son corps fut parcouru de tremblements puissants, elle hurla, et tout retomba.
Elle ne garda aucun souvenir de cette épreuve.
Durant plusieurs heures, la frêle Domestique fut dominée par la fièvre, les paupières closes et la sueur roulant sur son front. Mais ce ne semblait pas être un sommeil léger, elle paraissait comme en convalescence après la débâcle. Son corps était bouillant, alors que le Démon se collait à elle, mais elle était immobile, enfin.
Le battement de son cœur, cependant, était stable et régulier, lorsqu’elle sembla s’éveiller. La petite Esclave ouvrit lentement les paupières, la peau encore chaude et moite, et observa la toile tendue de la tente des Kobolds. Elle cilla, au ralenti, se demandant alors où elle se trouvait, mais le contact de la peau nue du Démon attira plus rapidement son attention. Doucement, alors qu’on s’extirpe de la langueur, elle se tourna sur le côté et observa le visage de l’homme, dans un silence lourd.
Si elle avait quelques souvenirs de ce qui venait de se jouer, son visage n’en indiquait rien. Mais… dans ses iris si claires, jadis pleines de peur et de soumission, se lisait clairement une affirmation consciente, et y perlait également le vice. Pour un être expérimenté dans le domaine comme le Combattant, c’était l’assurance, s’il en fallait davantage, de la réussite de sa possession. Les mots qu’elle prononça ne firent que le confirmer.
« Je vous appartiens, n’est-ce pas, Damascus ? »
Alecto ignorait comment, mais elle connaissait son nom, et lorsqu’elle le prononça, ses entrailles semblèrent se serrer, en réaction inexpliquée. Pas de provocation ni de farouches attitudes, néanmoins. La petite Colombe restait une chose délicate, respectueuse et calme… Pourtant, elle ne craignait plus de regarder son Maître, de plonger ses iris dans les siennes, où on pouvait lire, dès lors, une profonde loyauté.
Penchant la tête sur le côté, l’Esclave glissa son regard de ses yeux démoniaques vers l’arête fine de son nez, puis s’attarda sur sa bouche, l’expression de son visage sans plus aucune once de gêne, alors qu’elle n’aurait jamais fait preuve d’une telle audace. En elle, c’était étrange. Il lui semblait qu’elle vivait en adéquation avec ses désirs. Admirer le Démon ne lui faisait ni peur, ni appréhension de cette envie. Pourtant ne pas le contempler, puisqu’il était à portée ?
La jolie Poupée détailla son visage, son cou, ses épaules que laissaient dévoilées la couverture miteuse où ils se trouvaient. Sa clavicule lui sembla fine et saillante, et elle esquissa un sourire, qui s’apparentait à de l’attrait. Pourquoi se priver de montrer son appréciation ? Pourquoi cacher ses émotions ? Elle les accueillait avec sérénité, mais quelque chose en elle lui intimait de ne pas le toucher, malgré l’appel de sa peau.
Sans savoir comment ni pourquoi, elle semblait savoir instinctivement qu’il était son Maître, qu’ils étaient liés, et qu’elle n’avait pas le droit de le souiller de sa chair faible. Son œil brilla cependant, d’une lueur brûlante.
« Pourquoi restons-nous dans cet abri misérable, alors que vous méritez un Palais ? »