Quoi de tel qu'une belle nuit d'été pour justifier une sortie? Eh bien, quand une entreprise roule la nuit, il faut bien faire l'effort de se pointer. Hadrian avait un rendez-vous, aujourd'hui; une artiste, lui disait-t-on, qui voulait faire son nom en tant que directrice de films pour adultes. Le marché était constamment chaud, figurativement parlant, et peut-être même un peu littéralement, et depuis que son dernier directeur s'était fait la malle pour éviter la police en raison de son affection déviante pour les jeunes filles qui ne devraient pas, du moins légalement, figurer dans les films pour adulte, il avait besoin de retrouver des gens possédant une certaine aptitude pour le domaine. Cela étant, il s'agissait, disait son résumé, d'une femme sans la moindre expérience, et dû à cela, l'entrepreneur n'avait pu s'empêcher de vouloir rencontrer cette jeune femme; pourquoi une humaine se casserait la tête à appliquer à un poste juste pour que son résumé soit simplement passé à la déchiqueteuse et surtout; pourquoi la pornographie? Il y avait tellement d'autres domaines. La mode, par exemple. Mais bien qu'il ne soit pas tout jeune, Hadrian n'était pas le genre d'homme à sous-estimer la gente féminine; les femmes n'étaient pas limitées par les rôles traditionnels dans cette ère.
Le rendez-vous était pour vingt-et-une heure. Il avait inventé une excuse plus ou moins bidon, du genre que le poste avait énormément d'applications et qu'il tenait à faire tous les entretiens d'embauche lui-même. C'était quand même un peu vrai, puisqu'il voulait la rencontrer et en avoir le cœur net; qu'avait-elle qui lui donnait l'impression qu'elle ferait un aussi bon job qu'un autre? Car on dira ce qu'on voudra, même si la plupart des consommateurs de pornographie se satisfaisaient de peu, lorsqu'on prenait la peine de faire des œuvres avec du budget, ils s'attendaient à un minimum de qualité, ne serait-ce qu'un cadrage qui ne tremble pas trop, des acteurs qui, au moins, savent enflammer leur audimat. Bon, en effet, ce n'était pas nécessairement difficile, mais Hadrian était un perfectionniste, un homme d'affaire dont la réputation était que ses produits se vendaient non seulement chers, mais étaient simplement parfaits d'un point de vue esthétique et technologiques, et que l'enfer l'emporte s'il laissait une division, même pornographique, lui apporter la moindre insatisfaction.
Il quitta donc son appartement dans les quartiers les plus luxueux de Seikusu, laissant Lilyanne avec sa Goule favorite, une jeune femme sans grande personnalité nommée Keiko, ou un truc du genre. Les goûts de Lilyanne en matière de serviteurs l'inquiétaient parfois, puisqu'elle semblait privilégier une certaine esthétique et un archétype de personnalité qui lui déplaisait, notamment le fait que ses serviteurs n'étaient pas très futés, ni utiles; Keiko, après tout, n'avait comme seul talent d'avoir une connaissance très approfondie de la culture des films d'animations japonais ainsi que ces bandes dessinées aux personnages dont Hadrian n'était jamais complètement certains s'il s'agissait de jeunes hommes ou femmes, comme si leur culture, pourtant bien ancrée dans l'honnêteté, le respect et l'honneur, n'avait pas pu s'empêcher d'intégrer aussi des hommes androgynes.
Il prit place dans sa limousine puis ordonna à la goule de le conduire aux studios, à l'est de la ville. Il avait, pour d'excellentes raisons, fait construire ses installations dans le quartier chaud de Seikusu. Enfin, cela étant très relatif, puisque Seikusu était, en théorie, le quartier chaud du pays au complet. Jamais n'avait-il vu autant d'appétit pour le sexe que dans cette ville, c'était à croire que ses citoyens ne pouvaient pas s'empêcher de se désirer, une affliction qui semblait également tranquillement prendre le puissant Caïnite, ou du moins dès l'instant qu'il utilisait la vitae pour se donner une semblance de vie. Une fois arrivé à destination, le vampire débarqua de la voiture et marcha jusqu'à ses bureaux. Alors qu'il entrait dans le bâtiment, la secrétaire, une belle dame nipponne d'à peine une cinquantaine d'année, lui souhaita le bonsoir, ce qui lui rendit avec un grand sourire, toujours aussi distingué et poli.
"Mademoiselle Verrières n'est pas encore arrivée, vous êtes en avance, monsieur Kensley."
"Eh bien, madame Tokita, la ponctualité est une responsabilité pour tout homme d'affaire. Il est préférable d'être à l'avance qu'en retard, n'est-ce pas?"
"Vous avez bien raison."
"Et comment se portent vos enfants, madame Tokita?"
"À merveille. Mon petit Keita vient tout juste d'être accepté à l'université de Tokyo."
"C'est une excellente nouvelle, toutes mes félicitations!"
Une vieille habitude de Caïnite; feindre, jouer la comédie. Il n'en avait absolument rien à faire de cette information, mais pour éviter d'être détecté et d'attirer l'attention, il devait se tenir à ce rôle; le rôle du gentil patron, le genre d'hommes qui vous offre des billets à une partie de baseball parce qu'il sera trop occupé ce weekend-là pour s'y présenter, qui se rappelle votre date d'anniversaire, qui vous offrira d'aller prendre un verre après le travail parce que votre divorce vient d'être finalisé, ce genre de chose. Hadrian avait passé presque toute sa vie de vampire à cultiver ce mythe. Il continua cette conversation anodine avec la secrétaire pendant une bonne dizaine de minute, contrôlant ses pulsions qui ne demandaient qu'à étrangler cette pipelette de secrétaire, coupant court à la conversation sous raison de devoir se préparer à l'entrevue, avant de trouver son bureau. Après quelques minutes seulement, l'intercom résonna dans la pièce.
"Mademoiselle Verrières est arrivée, monsieur Kensley. Je lui dis de monter?"
"Oui, madame Tokita."
Et il prit place, assis sur son bureau, les bras croisés, et un sourire accueillant sur le visage. Lorsque la jeune femme arriva, il la salua.
"Mademoiselle Verrière. Un grand plaisir de faire votre connaissance. Je suis Hadrian Kensley. Je vous en prie, prenez place, comment allez-vous?"
Il lui indiqua le canapé fort confortable, écoutant sa réponse.
"Je dois avouer, mademoiselle, que votre curriculum vitae m'a surpris. Dites-moi, qu'est-ce qui vous intéresse entrer dans le domaine des films adressés aux adultes?"
Autant commencer dans le vif du sujet.