Camille n'aurait jamais imaginé que des oreilles aussi attentives l'écoutent, lui, compliqué et incertain, a fortiori les oreilles de celle qu'il appelle son bonbon rose.
« Merci Camille », ce ne sont que deux mots, mais quels mots !
« Derrière son apparence, il y a un sacré bout de femme. Pourquoi ne l'ai-je pas rencontrée plus tôt ? »
« J'ai adoré (…) heureuse (…) excitée », sont autant de mots qui tintent à ses oreilles, faits d'acceptation, de reconnaissance, d'espoir.
« Comme tous les autres, aurais-je moi aussi trouvé ma Muse, celle qui m'inspire et me guide ? »
Camille en est retourné, suspendu au moindre de ses mots.
« (…) m'emmener chez toi (…) découvrir (…) apprendre (…)"
Elle le tutoie, elle abolit les barrières. Camille est sur un nuage, il ne maîtrise plus grand chose de son excitation.
« Oh oui ! », la réponse est sortie toute seule, trop forte, à faire se retourner les têtes de paisibles voisins, savourant leur thé comme on est en méditation. Il a troublé leur calme, mais sa joie est telle.
Son cœur bat à tout rompre ; elle s'est levée, s'est approchée, s'est penchée. Il se délecte de son parfum, il tend presque malgré lui sa joue.
« J'aimerais également voir ton corps dans le plus simple des appareils »
Alors qu'elle a repris sa place, face à lui, il la regarde, perdu dans ses yeux verts : « Viens ! »
Ca lui semble si naturel qu'une quasi-inconnue veuille le voir nu. La majorité des hommes se serait dit "je vais me la faire", mais ce n'est pas ce qui trotte dans la tête de Camille en ce moment.
En un instant, il a tout remballé, ses notes, sa caméra, son appareil photo, ses brouillons.
« Ce n'est pas qu'un bonbon rose, c'est une perle, c'est ma Muse ». Camille est aussitôt debout, tendant la main à Lissandre : « Viens, je te prie ».
Il a oublié toute prudence, il a oublié les traquenards où une jolie fille l'avait fait tomber sous les coups de salauds homophobes. « Elle ne peut pas me mentir, pas elle ; elle est trop pure »
Il l'entraîne par la main, comme un collégien fou. « Viens, j'habite dans un petit appartement trois immeubles à côté ». Il la tire presque à son rythme.
« Je viens dans ce salon de thé, quand je veux la sérénité, mais je ne t'y ai jamais vue ».
Peut-être aurait-il dû se méfier d'une jeune femme sortie de nulle part ? « Voilà, c'est là », lui dit-il tout sourire, devant une bâtisse aussi informe que ses voisines.
Il ouvre la porte du bas, sur un escalier bois plutôt peu engageant. « Viens, ne t'inquiète pas, c'est solide ». Il l'entraîne vers les cieux, il est déjà sur son nuage. Quatre étages à ce rythme, il ne s'inquiète même pas si elle parvient à tenir son souffle à le suivre. Il ouvre, entre, l'entraîne, referme sur eux... ou plutôt sur son capharnaüm.
Car que peut penser d'autre quelqu'un qui découvre l'univers privé de Camille ? Une immense pièce, presque sous les toits, avec une verrière tout du long, et qui servait autrefois de dortoir aux ouvriers venus pour l'industrie textile. Sous leurs pieds, le parquet grince, mais luit au vif soleil traversant l'immense baie vitrée. Un endroit qui avait séduit Camille pour cette luminosité idéale pour photographier et pour filmer, et où il avait fait plein de projets en arrivant. Un espace à aménager, mais pas vraiment aménagé, où semblent posés en vrac des meubles et des choses.
Comment décrire cet aménagement ? Sur la droite, mi ombre mi lumière, un canapé paré d'une housse blanche éblouirait presque. Sur la gauche, au long d'un mur tout blanc, et faisant face à la verrière, un lit, à l'européenne, king size sans artifices à l'américaine même, lui aussi mis en lumière par la verrière qui lui fait face. Et, tout au fond, près d'une porte qui doit donner accès aux sanitaires, comme un fatras empilé sur un bar et sur un évier, qui doit pudiquement s'appeler le coin cuisine.
Que dire alors d'habits épars qui, hormis une très grande penderie où tout semble sur cintre, traînent un peu partout ? Ces habits, autant de détails qui saisissent Camille. « Que va-t-elle penser ? ». Son regard est attiré par cette belle robe noire dans la penderie, qu'il a déjà portée en parfaite illusion. Juste avant qu'il n'aperçoive le panier à linge, qui pourrait donner l'illusion qu'un homme et une femme vivent là, alors qu'il n'en est rien.
Et la salle de bains ? Si elle y va, elle va découvrir que, malgré sa belle chevelure qui donne l'illusion, il se métamorphose parfois aussi. Sans oublier que cette même pièce cache, dans un petit meuble, des ustensiles que d'ordinaire utilisent des femmes solitaires en terrible manque d'amour.
A la fois dépité et anxieux, Camille regarde son petit bonbon rose : « Voilà, c'est chez moi. Pas trop surprise ?". Puis, après une inspiration : « Pas trop déçue ? »