Une cité de pécheurs [Miho / Lamnard]

Basin City. Plus personne n'appelait la ville ainsi depuis longtemps. Même les panneaux indicateurs parlaient plus vrai que ceux qui cherchaient à atténuer le poids du vice régnant sur ces terres.

Sin City. Voilà qui était plus juste.

A Sin City, tout le monde a un passé à fuir et un avenir à poursuivre, mais tout le monde ne peut courir assez vite, et tout le monde ne vit pas assez longtemps pour voir l'avenir.
Des années après la mort du détective Hartigan, Nancy Callahan tentait de vivre une vie tranquille, comme feu son chevalier servant l'aurait souhaité. Malgré la tristesse, elle avait surmonté le suicide de son amour et les fêlures de son agression. Elle avait quitté son travail de strip-teaseuse et avait trouvé un travail de secrétaire. Au travail, elle avait rencontré un type bien, même si avocat dans ce cloaque révoltant. Il l'avait prise comme elle était, sans jamais la juger ni l'accabler, et, ensemble, ils avaient construit une vie comme peu de gens en avait ici. Elle avait trouvé le bonheur dans ses bras et portait maintenant son nom avec fierté, balayant les années de peur et d'attentes sans lendemain.

Tout avait été bousculé quand il s'était attaqué à une affaire touchant à la mafia. Un soir, il l'avait appelée, tendu, pour lui dire de préparer des bagages. Il n'était pas rentré. A la place, au petit matin, alors qu'elle attendait toujours à côté des valises posées sur le lit conjugal, un policier vint toquer à sa porte. Elle craignit le pire, mais il n'était pas mort. Il était en état d'arrestation, allait passer en jugement.
Une affaire avait été ouverte contre lui pour divers motifs, dont ceux de chantage, corruption et trafic d'influence. Ce ne ressemblait pas à son mari. C'était manifestement un coup monté. Mais, quand il put rentrer, il expliqua que les pressions venaient de très haut. Il avait déterré quantité de preuves de l'implication du maire, du sénateur et de nombreux personnages influents. A présent, elles avaient toutes disparu après leur confiscation. Il était fini.


Plusieurs semaines passèrent.

L'audience préliminaire avait enfin eu lieu. Nancy s'était démenée pour réunir les meilleures chances possibles pour son aimé, mais rien n'y faisait. Une fois de plus, elle était confrontée à la Justice corrompue et détraquée de Sin City. Un innocent allait payer pour que les puissants continuent à s'en mettre plein les poches sur le dos des faibles. C'était comme un cauchemar, et elle était ramenée aux heures les plus sombres de son existence.

Pour éviter qu'il disparaisse, son mari avait été incarcéré à nouveau, sans possibilité de caution. Nancy se retrouva donc seule ce soir-là, pour la première fois depuis le début de l'affaire. La nuit était noire, et les enseignes lumineuses seules éclairaient les veines humides sur les carreaux. Une fois encore, la pluie battait le pavé dans cette cité maudite.

Elle était éveillée quand on sonna. Elle sursauta, prit son arme et alla voir de qui il s'agissait. Elle reconnut, par le judas, un collègue de son mari. Howy ? Howy ... Morrow ? Que pouvait-il bien faire ici à une heure pareille ?

" Nancy ? Ouvrez ! J'ai trouvé un moyen de le sortir de là ! "

Nancy Callahan avait connu le pire de Sin City. Et sans la présence d'un homme droit et protecteur envers elle, elle serait sans doute morte depuis longtemps. Elle en avait conscience. Les années avaient beau avoir passé, rien n'avait changé sur le fond. Le crime était toujours aussi organisé et on ne pouvait se fier à personne ici même. Nancy le savait parfaitement et dans cette espèce de décharge à ciel ouvert, c'était parfois compliqué de garder l'espoir.

Pour sa part, elle n'avait jamais oublié Hartigan. C'est pour lui qu'elle avait continué de vivre comme cela. Elle lui avait promis de ne pas se laisser aller et  si elle avait tenu à se construire une vie normale, c'était aussi pour lui. Pas un jour en passait sans qu'elle ne pense à lui, et elle regrettait de ne pas pouvoir disposer d'une pierre tombale à son nom. Elle ignorait complètement ce que son corps avait pu devenir mais au fond, dans sa tête, il était toujours bien vivant ainsi que dans son coeur.

C'est dans des moments comme maintenant qu'elle avait le plus besoin de lui. Son époux Nicolas Mills était tombé dans un traquenard. Elle ne doutait pas de son innocence car elle savait comment cela fonctionnait dans cette ville. Vu ce sur quoi il enquêtait, il était clair qu'il avait du remuer trop de merde.Elle l'avait mis pourtant mise en garde, mais il avait voulu continuer et aujourd'hui le prix à payer était lourd.

Depuis des semaines Nancy tentait de l'aider. Elle allait à la prison tous les jours le soutenir. Elle aimait Nicolas. C'était un homme bon et qui sur certains points avait des ressemblances avec Hartigan. Notamment au niveau morale. Ils étaient ensemble depuis 4 ans, mariés depuis deux ans . La jeune femme de 30 ans était même entrain de réfléchir à fonder une famille quand tout ceci lui était tombé dessus.

Et comme si cela ne suffisait pas, elle avait perdu son job de secrétaire dans une entreprise locale de construction. Elle était certaine que c'était un moyen de lui mettre la pression. C'était comme cela que cela fonctionnait ici. Mais elle n'en avait pas encore parlé à son époux, il avait d'autres soucis en tête de toute façon.

Autant dire qu'elle avait du mal à dormir. Elle passait ses soirées à regarder la tv, à ruminer, avec une bouteille de vin comme seule compagnie. Comme ce soir. Un verre posée sur la table de salon â côté de la bouteille, elle portait un pantalon de leggings noirs avec un simple t-shirt blanc. Une tenue simple mais diablement sexy sur elle. Portant son alliance, son petit collier autour du cou, elle était pieds nus avec ses ongles vernis en rouge. Les cheveux attachés avec une pince, elle avait sursauté en attendant les coups sur la porte. Méfiante, elle s'était saisi de son fusil jamais tres loin d'elle. Accompagné de son chat blanc,  elle observa dans le judas et hésita à ouvrir la porte. Elle connaissait l'homme derrière la porte, c'était un collègue de son mari . Elle ne le connaissait pas vraiment en dehors du boulot ou de ce qu'avait dit Nicolas, mais ce qu'il avait dit avait fini de la convaincre.

« Entrez. »

Fit elle apres quelques hésitations. Elle prenait un risque elle le savait. Mais elle avait peut-être une chance de sauver et aider Nicolas. Cela primait sur le reste d'autant qu'Hartigan, elle n'avait pas pu l'aider.

Howard Howy Morrow entra avec une apparente humilité, mais il agissait presque comme s'il était chez lui, Nancy pouvait le remarquer. Elle ne s'alarmait pas forcément. Beaucoup d'avocats de Basin étaient de jeunes premiers orgueilleux focalisés sur leur carrière et leur réussite. Ils avaient l'habitude de mettre leurs richelieux cirées où ils le voulaient avec des documents assassins sous le bras, et Morrow correspondait parfaitement au stéréotype. Il était grand, et fin, engoncé dans un costume trois pièces gris anthracite et bleu clair, les cheveux gominés, et n'importe qui aurait pu deviner, à son allure, qui il était et d'où il venait. A vrai dire, on murmurait que son nom figurerait bientôt sur le mur du cabinet où Nick et lui travaillaient. C'était quelqu'un de très en vue, sûrement impliqué dans beaucoup d'affaires louches.

Mince ! Si quelqu'un pouvait bien tirer Nick de l'Enfer, c'était le Diable en personne !

" Merci, Nancy. Il fait un temps affreux. "

C'était le temps habituel à Basin City, mais tout le monde semblait encore s'en formaliser. Il ferma son parapluie dehors et le posa juste à côté de la porte ; personne ne le laissait plus sur le perron depuis longtemps, ici. Il se montrait poli et plein d'attention, pas vraiment le genre de personnage dont on se méfierait. Bon, son visage ne trahissait aucune émotion particulière, mais peut-être voulait-il simplement rester professionnel. Être aperçu un peu trop engagé auprès de la femme d'un criminel pouvait être mal vu par bien des gens.

Ils s'installèrent dans le salon. Howy Morrow restait droit comme quelqu'un sur le point de partir, scrutant le décor. Nancy, en bonne hôtesse, apporta deux boissons chaudes, et il la remercia tout en sortant un dossier de son cartable. Il croisa les doigts, les yeux rivés sur la trentenaire. Quel âge avait-il, d'ailleurs ? Nick lui avait un jour glissé un âge avoisinant quarante ans. Etait-ce possible ? Entre sa manucure parfaite et le soin manifeste apporté à son apparence, on ne lui aurait donné plus de trente ans. Ca pouvait être un problème dans le milieu des affaires, car paraître trop jeune faisait qu'on pouvait ne pas être pris au sérieux ; mais ça pouvait aussi être un signe de force et de ressources insoupçonnées. Elle ne l'avait jamais vu opérer, elle n'aurait su dire comment il fonctionnait, mais il avait vraiment l'air dix ans plus jeune qu'en réalité.

" Avant toute chose, j'ai appris que vous aviez perdu votre emploi. J'ai le plaisir de pouvoir vous apporter un peu de tranquillité d'esprit : si nous travaillons ensemble, Nick sera en sécurité et vous aurez les moyens de maintenir votre train de vie, en attendant son retour. Une fois innocenté, je ne doute pas que votre employeur vous reprendra, en outre. "

Nancy n'avait pas vraiment le temps pour échanger des platitudes  sur la météo. Elle était inquiète et sous tension ce qui pouvait se comprendre. Elle s'était donc contenté de lui amener un café et de s'asseoir dans le divan, en essayant de comprendre la raison de sa présence ici. Visiblement, il confirmait avoir de quoi les aider et forcément, elle avait envie de le croire. Ce qu'il disait avait l'air séduisant sur papier. Et cela avait le mérite de marquer un intérêt évident de sa part.

« Je ne demande rien d'autre que la vérité soit faite sur toute cette histoire. D'autant que Nicolas n'a rien fait de mal et vous le savez. »

 C'était important pour elle de resituer cela. La victime, c'était eux, et elle espérait qu'on les traite enfin de la sorte. Ce qui jusque là n'avait jamais été le cas. Et elle ne pouvait pas l'avaler de la sorte quand on pensait à toute la crasse qu'il pouvait y avoir dans cette ville. Nicolas était en prison pour avoir voulu être honnête. La vraie histoire c'est cela.

« Vous parlez de travailler ensemble et d'assurer mon train de vie mais comment vous comptez faire ? Je suis devenue une paria tout comme mon mari. Et jusqu'ici personne ne s'est vraiment battue pour lui. »

C'était sévère mais juste. Elle n'avait pas envie qu'on lui promette tout et n'importe quoi. Elle avait assez donné en la matière. Et puis on était jamais trop méfiante ici. Et alors que son chat venait se frotter contre cet Howard Morrow qu'elle ne savait pas vraiment cerner, elle se demandait bien pourquoi soudainement il sortait du bois. Mais elle ne pouvait pas prendre le risque de repousser une possible aide pour son époux. Elle devait tenter de cerner ses motivations et savoir ce qu'il avait en tête. C'était le plus important.

« Néanmoins si vous pouvez vraiment l'aider, nous aider, je serais sotte de refuser. Dès lors je vous écoute. »

Elle ne fondait pas trop d'espoirs non plus. Mais mine de rien, elle avait quand même certaines raisons d'y croire. C'était humain d'espérer une bonne issue pour l'home avec qui elle vivait. D'autant qu'elle avait un lourd passif en la matière hélas pour elle.

Howy Morrow passait ses doigts manucurés le long des coutures de son cartable. C'était un cartable en cuir véritable, d'une marque de grande renommée. Ce n'était pas vraiment le genre de cartable avec lequel se promenait n'importe quel avocat. Aucun n'avait même ce genre d'excentricité. Les avocats étaient des gens sobres, professionnels, à la morale sélective. Lui avait laissé transpirer son Moi profond jusque sur sa persona légale, et même son costume était une ode à un luxe trop cher pour sa qualité.

Un homme aussi excentrique n'était pas un homme auquel faire confiance, mais la détresse pouvait pousser à de graves extrémités. Nancy allait en faire les frais. Un sourire se dessina sur les traits de l'homme de loi quand il fit glisser le dossier vers elle.

" Vous êtes peut-être des parias, mais quelqu'un peut nous aider. Une personne morte depuis dix ans. "

Dix ans. La coïncidence vrilla les oreilles de la jeune femme, mais elle porta la main à la fiche cartonnée qui recelait quelques papiers et photos. Quand elle l'ouvrit, le trombone se relâcha convenablement, répandant sur la table diverses traces de la vie d'une fille qui se faisait appeler Cordelia, et qui aimait danser. Tandis que Nancy faisait rapidement le lien entre tous les éléments et digérait la situation, l'homme face à elle reposa la tasse de café qu'il avait entamé.

" Ses talents particuliers sont très recherchés. Certaines personnes seraient prêtes à donner cher pour voir celle qui a refroidi les Roark. "

Ce qui était frappant chez Nancy c'est qu'il y avait autant de photos visible d'Hartigan que de Nicolas. C'est comme si elle n'avait pas encore totalement fait son deuil de cette histoire. Il incarnait pour elle plein de choses à la fois : l'image du père, l'amour impossible, l'amour contrarié, le super héros. Elle n'était pas ce qu'elle était aujourd'hui sans se dire qu'elle le devait à sa présence. Et même mort, il continuait d'exercer une forte influence sur elle.

Buvant son café chaud alors que la pluie coulait et tapait sur les vitres de manière un peu plus forte, cela avait le mérite de la réveiller un petit peu malgré tout. Elle l'avait écouté parler et déballer la marchandise comme on disait. Il avait parlé d'une personne morte depuis plus de dix ans. Cela avait l'air assez nébuleux et elle se demandait ce qu'elle avait en tête.

Puis elle avait compris assez facilement que son passé revenait la hanter une nouvelle fois. Comme toujours dans cette ville, rien n'était soldé ou oublié. Et avec un passif comme le sien, c'était clairement pas joué d'avance. Observant les photos, c'était à la fois si proche et si loin. Il avait dit que cette personne pouvait aider Nicolas. Elle avait compris à quoi il faisait référence. C'était gros comme une maison et pas bien compliqué à comprendre.

« Cette personne est morte comme vous l'avez dit. La faire revenir à la vie pourrait vous exposer à bien des problèmes. »

Après tout, elle n'avait pas tout à fat tort. C'était risqué de faire appel à elle de cette façon. Certaines personnes voulaient la voir morte et exhumer pareil passé, savoir qu'elle avait pu sruvivre n'avait rien de bon non plus. C'est ce qu'elle voulait qu'il comprenne.

« Et puis de toute façon, il faudrait certaines garanties et savoir qui la recherche exactement. »

Nancy marchait sur des oeufs. Elle avait peur de trop s'exposer sans vraiment savoir ce qu'il y avait derrière. C'était cela sa plus grande crainte. Nancy hésitait encore sur les motivations de ce type qui n'était pas vraiment un ami de Nicolas en plus. Alors pourquoi ce désir soudain de lui venir en aide comme cela ? On ne faisait rien pour rien dans cette ville, elle le savait mieux que quiconque.

Nancy ne se laissait pas faire, mais Howy Morrow avait affaire avec des gens sur la défensive à longueur de temps. Pour lui, c'était devenu plus qu'un travail ou un jeu, c'était un style de vie. La jeune femme avait passé sa vie à se sentir traquée, et l'homme en face d'elle s'était fait une spécialité d'approcher ces gens. Il ne venait certes pas les mains vides, et nécessairement pas sans une batterie de plans sous le coude.

Un des hommes qui l'inspirait était Bernard Montgomery. Ce petit bonhomme maigrelet et sans envergure avait fait du derrière d'Erwin Rommel son étendard, à El-Alamein. Son motto : se donner les moyens d'écraser toute opposition, puis se donner les moyens d'être imprudent par-dessus le marché. Il ne venait jamais sans être assuré de l'emporter. Certains avocats jouaient la carte du bluff ou du bagout, mais Howy Morrow savait qu'un bon bluff s'appuyait sur la vérité.

" Nancy, j'ignore si vous donnez trop d'importance à cette fillette ou aux Roark. "

Il lui adressa un sourire complaisant tandis qu'il lui tendait un portfolio contenant diverses coupures de presse et photographies. Elles semblaient retracer dix ans de combines et d'affaires à Basin City.

" Il y a dix ans, quand le sénateur Roark a fini par être délogé de son bureau par une balle de .357, des personnes auparavant bannies de la ville et de ses bonnes affaires ont vu leur destin transformé. Ces personnes ne cherchent pas à l'éliminer, elles l'aiment. "

Tandis qu'il laissait Nancy parcourir le livre et digérer ses paroles, il sortit une enveloppe.
Nancy pouvait voir défiler devant ses yeux des années de réussite personnelle et professionnelle ; celles d'autres personnes, et pas la sienne. Il y avait le maire et le sénateur actuels, divers hommes d'affaires, un évêque aussi, et même un petit groupe d'avocats, au sein duquel elle reconnut Howy Morrow, fraîchement promu partenaire de son cabinet, et un Nick encore plongé dans ses laborieuses années d'associé. Le voir ainsi, tout jeune et insouciant alors qu'elle traversait une période extrêmement difficile de sa vie, devait être difficile à encaisser en ce moment.

Morrow choisit ce moment pour glisser l'enveloppe : " En gage de bonne volonté, ces personnes sont prêtes à verser une avance immédiate à cette femme, dans le cas où elle était retrouvée et acceptait de les recontacter. "

Nancy avait bien compris ce qu'il se jouait en ce moment même. Elle regardait les différentes enveloppes, leur contenu. Tout devenait clair et limpide dans sa tête. Il n'y avait plus de place au doute sur ce qu'il se passait et les tenants et aboutissants. La seule question qui lui restait dans l'esprit c'était de savoir si finalement la vraie cible de tout ceci c'était elle ou Nicolas. Peut être n 'était-elle qu'une opportunité à saisir. Ou peut être que Nicolas n'était qu'un moyen de l'atteindre.Mais ce qui était certain c'est qu'elle allait dès à présent accepter de suivre les règles qu'on semblait vouloir lui imposer.

D'autant que la dernière enveloppe tendue était plutôt bien fournie et remplie. Il ne plaisantait pas le bougre. Nancy avait regardait le contenu et c'était assez bien remplie. Elle avait reposé l'enveloppe sur la table basse et n'avait rien dit. Elle avait besoin d'argent c'était l'évidence même. Ne serait-ce par exemple que pour assurer une meilleure défense à son mari ou même payer quelques dettes. Ce serait une vraie bouffée d'oxygène. Elle ne pouvait pas le nier et sans doute que ces personnes le savaient.

« Vos amis et vous êtes bien informés. »

C'était rien de le dire.La photo de Nicolas lui avait fait quelque chose au coeur.La question qui se posait maintenant c'était de savoir pourquoi c'est lui qu'on avait envoyé en émissaire ? Etait-ce son choix ? Ou celui des autres ? Howard avait quelque chose de dérangeant qu'elle avait du mal à identifier.Elle se sentait mal à l'aise en sa présence.Il était malsain et elle avait la certitude qu'il était ici parce qu'il l'avait voulu et que c'était pas innocent. Il y avait quelque chose de bizarre. Elle n'en doutait plus.

« Dites moi Howard pour quelles raisons c'est justement vous le messager ? Rien n'est jamais simple ou gratuit ici. Alors soyez francs, tout ce que vous me proposez là, qu'est-ce que vous avez à y gagner ? Je vous connais pas comme Nicolas mais j'en sais assez sur vous que pour être consciente que vous n'êtes pas qu'un vulgaire messager. Et que donc pour jouer ce rôle vous avez du certainement y trouver votre compte d'une façon ou l'autre. »

Buvant une gorgée de vin, elle avait laissé tomber le café. Ce qu'elle pensait c'est que lui allait exiger certaines choses pour son compte personnel. Et elle craignait d'en connaitre la nature. Elle y était préparée du moins. Et elle entendait bien lui montrer qu'elle n'avait pas oublié comment cela fonctionnait ici. Nancy avait côtoyé le pire de cette ville de très près. Elle n'était pas facilement impressionnée. Et il était à noter qu'elle n'avait pas encore dit oui ou non à son offre.

A plus d'une reprise, Nick avait parlé à Howy Morrow de sa femme : belle, courageuse, intelligente et déterminée. Il avait assez vite deviné une histoire complexe derrière le personnage haut en couleurs de Nancy Callahan. Pour un homme comme lui, avec ses connexions, trouver la vérité et le lien avec Hartigan avait été assez facile. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, cela dit, il n'avait pas cherché avant récemment ; en fait, avant que Nick ne décide de jouer les chevaliers servants. Mais cela, c'était une autre affaire. A présent, il devait utiliser ce qu'il avait trouvé sur les deux époux pour parvenir à ses fins.

" Depuis que Nick s'est mis dans ces ennuis, le cabinet est en crise. Basin City n'est pas une ville exemplaire, certes, mais les apparences comptent. J'ai tout intérêt à échanger des services et à faire monter ma cote pour espérer le sauver de la faillite. Et vous, vous avez tout autant intérêt que moi à ce que tout cela se termine au plus vite. "

Nancy avait beau jouer les femmes inébranlables et négocier son affaire, elle savait aussi bien que lui que c'était vrai. En donnant son côté de l'histoire, il lui montrait qu'elle n'était pas la seule à pâtir de l'obstination de son mari. En quelques semaines, le cabinet de Morrow avait vu son chiffre diminuer d'un quart. Il y avait maintenant des risques que son nom ne finisse jamais sur le mur de cette compagnie, ni même où que ce soit, d'ailleurs. Il avait soutenu l'avancement de Nick, par intérêt personnel avant tout, mais il s'était ainsi lié à sa réputation. Il avait été éclaboussé par le scandale.

" Votre participation est bien peu demandé. Tout ce que vous aurez à faire, c'est remplir certaines missions. Vous gagnerez plus qu'une professionnelle à son âge d'or pour vos prestations, et vous garderez tout. Moi, je récolterai les faveurs, et je ferai disculper Nick tôt ou tard. "

Comme prévu ses motivations étaient avant tout personnelles. Nancy n'était pas déçue ou surprise il était comme tout le monde dans cette ville. Mais au moins elle en avait la confirmation. Il voulait sauver son cabinet en évitant de trop le voir se salir dans la presse. Cela pouvait se comprendre même si elle n'était pas certaine de pouvoir le croire de toute façon. Mais c'était un peu pareil avec pas mal de gens ici.

« En effet vous avez une affaire à faire tourner et nos intérêts peuvent converger vers ce point. L'un comme l'autre ne pouvont plus attendre outre mesure. »

Mais il n'avait rien dit de plus ou de moins sur ce qu'elle devait faire. Il gardait un certain mystère et il imaginait sans doute que c'était mieux pour l'instant. Nancy n'avait pas encore prise sa décision même si ses choix étaient limités. Elle le savait mieux que personne. Mais elle ne se sentait pas de plonger ainsi tête basse dans les ennuis. Ce serait de la folie et elle avait un grand besoin de se garder une porte de sortie. Dire oui tout de suite c'était tendre le bâton pour se faire frapper. Buvant une autre gorgée de vin, elle le fixait.  C'était une vraie anguille impossible à saisir.

« Que les choses soient claires Nicolas ne devrait jamais rien savoir dans l'hypothèse où j'accepterai votre deal. Seulement permettez moi de vous dire que tout ceci me parait nébuleux à l'extrême. Avez-vous un exemple de mission que je devrais accomplir ? »

Autant y aller franchement. Nancy avait passé l'âge des belles tournures de phrases. Elle voulait la vérité crue et nette. C'était comme cela que ca marchait dans cette ville. Elle le savait mieux que quiconque.Et il y avait autre chose aussi. L'argent c'était le nerf de la guerre. Et c'était ce qui la motivait aussi.

« De quelle somme d'argent parlez vous d'ailleurs ? »

Nancy voulait des réponses précises. Buvant une autre gorgée de son vin, elle repensait à Hartigan. Qu'aurait-il pensé de cela ? Lui n'avait pas hésiter à foutre sa vie en l'air pour ses principes. Nancy savait très bien qu'il lui aurait dit d'agir selon ceux-ci.Et dans son cas, cela la poussait à envisager de se revendre pour sauver son mari. Même si cela impliquait de décevoir celui qui était en quelque sorte l'image masculine la plus parfaite qu'elle connaissait au monde.

Sans que l'attitude ou la posture de l'avocat ne change, il adressa à la jeune femme un sourire. Elle ignorait si elle devait l'interpréter comme un espoir, une menace ou un terrible présage. Cet individu était tout bonnement impossible à interpréter. Basin City l'avait rendu ainsi, bien sûr. En arrivant en ville, son diplome tout frais dans sa poche, il avait été animé par des rêves, des idéaux et de grands principes. Des années de compromissions, de désillusions et un millier d'épreuves plus tard, il ne restait qu'une coquille vide, qui se laissait porter par le mouvement pour vivre et tirer quelque substance et bénéfice de sa participation à des projets sans gloire.

Il croisa les doigts, semblant peser ses prochains mots. C'était surprenant pour un homme que Nicolas disait parfois très habile par sa verve, mais ce n'était peut-être qu'un effet de style : se montrer trop abrupt envers une femme s'engageant à contrecoeur dans une telle entreprise, c'était risquer de passer pour un fou et de perdre l'occasion acquise.

" L'argent vous revient entièrement. Je cherche seulement les services nécessaires pour notre projet. Pour notre sécurité à tous les deux et pour votre anonymat, vous serez payée en liquide, sur place, en mains propres, par votre hôte. Le montant dépend de vous et de vos performances. "

Howy Morrow sentit une certaine montée de tension chez Nancy. C'était compréhensible. Il pinça les lèvres. Son langage non verbal entier était orienté pour la rassurer, tenter de l'apaiser. Il voulait apparaître comme son allié, pas comme un proxénète.

" Ce n'est pas idéal pour vous, je le comprends. Mais je connais ces gens. Pour accueillir une légende urbaine, ils se montreront généreux. Une danse et une lap, des choses qui faisaient un temps votre quotidien, et vous pouvez vous faire plusieurs milliers de dollars en quelques heures. Même moi, je n'ai pas un tel cachet. "

Tout avait l'air simple, trop simple même. Nancy avait un drôle de sentiment en tête. Elle était quasi certaine qu'il devait y avoir quelque chose de sous jacent, de plus vicieux que ce qu'il se plaisait à dire. Elle avait une certaine expérience de cette ville et elle ne pouvait pas penser autre chose que cela. Pourtant , Nancy avait besoin de cet argent. C'était net, précis et c'est d'ailleurs pour cela qu'elle était encore entrain de l'écouter. Elle n'était pas ce genre de femmes rêveuse qui espérait encore voir les choses s'arranger facilement. Elle avait un regard lucide sur sa situation et s'attendait au pire. On ne pouvait se fier à personne et cet avocat n'était clairement pas un gentilhomme. Mais il avait la possibilité de lui permettre de gagner de l'argent. Au final, elle revenait sans cesse là-dessus. Tout simplement parce que c'était la seule chose qui comptait.

Se mordillant la lèvre inférieure, il disait ne lui demander que des choses qu'elle avait déjà faites dans le passé.Là aussi, c'était étrange mais elle avait envie de se dire que cela ne pouvait pas être que cela. Mais elle n'avait aucune preuve formelle d'autre chose et puis surtout, elle était bien obligée de le suivre. Il disait que tout serait pour elle, qu'il n'y avait pas de magouilles a ce niveau là. Nancy devait bien admettre que si c'était vrai le jeu en valait la chandelle. Sauf qu'une fois encore, c'était trop beau , trop bien présenté et que ses radars se mettaient en branle pour lui dire qu'elle devait se méfier.

« Je vois. »

Diffiicile de savoir ce qu'elle avait en tête et si une décision avait été prise. Elle était toujours inquiète par la question de savoir si son mari pouvait être au courant de cela. Il ne s'agissait pas de toucher de l'argent sans preuve. Il fallait aussi éviter de mettre Nicolas dans la combine. Il en souffrirait trop et elle ne le voulait pas. Il avait déjà assez soucis comme cela.

« Je souhaite clarifier une dernière chose : si l'envie me prend d 'arrêter un moment ou l'autre, je veux en avoir le droit. Et Je veux des preuves rapides que la situation de Nicolas va s'améliorer. »

Voilà donc ce qu'elle exigeait. Dans cette ville, c'était normal de vouloir se protéger. Nancy le savait depuis trop longtemps : un loup pouvait se cacher à n'importe quel coin de rue. Son parcours ici lui permettait de le savoir come nulle autre.

« Si vous acceptez cela, alors je veux bien tenter l'expérience.Et garder l'argent en gage d'avance comme annoncé. »

Pas de joie ni de colère. Simplement la sensation de devoir remplir une tâche particulière. Et de le faire par devoir vis à vis de l'homme qu'elle aimait. Et puis pouvait-on échapper à son passé ?Ce qui était certain c'est que l'enveloppe qu'elle avait reçu des mains de son visiteur était désormais bien posée sur la table basse.  Et que pour elle, il lui était acquis.Pendant ce temps, son chat était venu se frotter contre l'inconnu qui était chez lui.

Howy Morrow considéra la femme avec une intensité qu'il n'avait pas eu jusque là, même si le changement, concrètement, était à peine perceptible. Nancy pouvait le voir car ses sens étaient en alerte. Il ne fallait rien y voir de menaçant, mais une personne en stress était susceptible d'interpréter les choses différemment.
En son for intérieur, Morrow considérait ses actions. Il se rappelait l'étudiant plein d'espoirs qu'il était. Il avait tout vendu, tout perdu pour ne rien risquer. Nick lui ressemblait énormément, et il avait choisi la voie de l'incorruptible et il en payait le prix. C'était idiot. Il avait pris le temps de marier une femme magnifique et de se construire un vrai chez-lui.

Et maintenant ? Il entraînait tout le monde dans ses conneries. Y compris sa putain de femme qui faisait sa putain de négociatrice. Il ne pouvait s'empêcher de comprendre tout ce qui avait conduit Nick à sacrifier ses chances de réussite pour elle.
C'était sa faute, à elle, à cette pute. Et il devait faire avec elle. Foutu sort !

" Tout argent donné est de l'argent gardé. Aucun contrat ne nous lie formellement, vous pouvez donc le briser quand vous voulez. Pensez juste aux conséquences pour nous trois si vous arrêtez."

Il ne la sermonnait pas. Ça, c'était clair, ça sautait aux yeux. Il avait juste raison. Avaient-ils le choix ?

" Concernant une... Preuve de bonne volonté de ma part... *C'est vraiment la meilleure !* votre première mission aura lieu dans six jours. D'ici là, Nick devrait être en quartier de très haute sécurité. Je sais ce que vous pensez. Mais il sera à l'abri même des gardiens. Et il n'aura pas de nouvelles incontrôlées. Il ne saura donc rien de tout cela. "

Il lui tendit un papier. Un court échange d'e-mails entre Morrow et le bureau du procureur. Il avait déjà garanti ça avant même de venir.

Nancy avait le temps de bien lire et de bien analyser toutes les infos reçues. Elle n'avait pas répondu tout de suite non plus, prenant le temps d'analyser un maximum les choses. Elle savait que c'est maintenant que tout se jouait d'une certaine façon. Elle pouvait encore tout stopper, c'était clair et net. Mais en avait-elle vraiment le droit ?

Plus qu'elle, c'est à Nicolas qu'elle pensait.Il avait besoin d'elle. Sans doute plus que jamais. Il avait voulu être respectable en des temps degeulasses. Il en payait aujourd'hui le prix. Tout le monde le lâchait, et sa seule chance de pouvoir revenir dans la course, du moins sortir la tête hors de l'eau, c'était qu'elle accepte les règles que voulait lui imposer son partenaire professionnel. Ce dernier n'agissait pas par bonté d'âme c'était clair. Mais il était aussi le seul à avoir l'occasion d'apporter une forme d'espoir à son mari. Nancy ne pouvait pas fermer cette porte sans rien dire. Et même si elle continuait de penser qu'elle signait un pacte avec le diable.

« Considérez que je suis d'accord. Mais je ne traiterai qu'avec vous en tant qu'intermédiaire. »

Une façon de le responsabiliser aussi. Elle voulait éviter de voir trop de gens ou d'impliquer trop de personnes. C'était souvent comme cela que les choses dégénéraient.Mieux valait réduire les personnes impliquées, du moins physiquement. Même si elle se doutait qu'elle apprendrait vite d'autres noms impliqués.

« J'attends donc de vos nouvelles ? »

Elle s'était levée comme pour signifier à son vis à vis qu'elle voulait qu'il parte. Tout s'était accéléré et elle avait besoin de remettre les idées et les événements dans le bon ordre. Nancy ne pensait pas vraiment se retrouver dans pareille situation mais tout était possible ici. Elle en avait encore eu la preuve. Néanmoins, elle devait aussi admettre que pour la première fois depuis longtemps, elle avait dans un coin de sa tête une nouvelle forme d'espoir. Tenu certes, mais bien réel. Et d'ailleurs demain elle irait voir son mari qui sans doute serait ravi de se sentir plus en sécurité. Elle ne savait pas encore comment elle ferait pour ne pas éveiller ses soupçons. Sans doute ferait-elle l'étonnée, ou peut être que Mr Morrow  avait déjà prévu une explication à cela. Après tout, il avait l'air d'avoir bien organisé son affaire non ? De toute façon elle s'ajusterait du mieux possible. Pour l'instant, elle voulait juste prendre l'argent de cet enveloppe et en profiter pour s'offrir un peu d'oxygène. Elle en donnerait une partie à son mari car en prison tout s'achetait. Elle dirait avoir vendu les derniers objets de valeurs ou avoir fait des heures supp' peu importe. Mais ce qui était certain, c'est qu'elle allait pouvoir l'aider enfin de manière concrète. Et cela n'avait pas de prix.

Les nouvelles n'avaient pas tardé. Deux jours plus tard, Nancy avait rencontré Howy Morrow sur un banc, dans un parc public animé en pleine journée. Un cadre typique, si on excluait qu'on était à Sin City. Les lieux sentaient la mort et débordaient des immondices que personne ne débarrassait. Il y a bien longtemps qu'aucun enfant ne jouait plus là et que la police n'approchait plus. À Sin City, c'était la rue qui protégeait de la police, pas le contraire.

Il lui avait tendu une autre avance, " en cas de besoin", pour qu'elle puisse se préparer convenablement. Il lui avait aussi parlé de son premier contrat. Une affaire plutôt classique en apparence.

George Balthazar Houser était le fils du nouveau sénateur et nouveau maître de Sin City. C'était aussi un héritier-objet, comme beaucoup d'héritiers. Son père l'exposait tel un trophée à la moindre occasion. George B n'était même pas son nom de naissance.
Tennisman et golfeur de talent, destiné à un brillant avenir dans l'économie ou le droit, déjà introduit dans les circuits de la politique, il avait une vie devant lui sans vraiment en avoir.

Pour lutter contre l'angoisse du vide, il avait développé une attraction bizarre pour son passé et celui de la ville. Il voyait l'assassinat de Roark comme le point pivot de son existence, et il nourrissait une passion pour le personnage qu'il avait imaginé autour de Nancy. Il ne savait pas grand chose, simplement qu'elle était connue pour un show dénudé de cow girl dans un bar local.
Il allait fêter ses 21 ans dans 4 jours. Enfin... Son père organisait un gala pour ses 21 ans. Anonyme, il avait publié sur le net un appel à l'aide, et une récompense de 4999$ (le maximum qu'il pouvait retirer sans alerter papa) à qui accomplirait un miracle avant qu'il ne rentre, déterminé à se tuer.

Pour conserver la discrétion requise par Nancy, Morrow avait tout prévu. Il se montrait très prévoyant. Il s'était arrangé pour qu'un chauffeur de confiance remplace le chauffeur prévu pour la limousine d'après soirée. Nancy s'y dissimulerait en tenue de scène et le garçon insouciant se retrouverait face à l'incarnation de ses rêveries déprimées.

" Ce sera un Hummer limousine, bien sûr, comme tous les jeunes premiers doivent avoir... Vous aurez de la place pour faire une danse, peut-être jouer du lasso... Le garçon est très gentil, pas méchant pour un sou, mais par précaution le chauffeur vous laissera un tazer de secours que vous pourrez cacher. Est-ce que vous avez des questions ? "