Maine, États-Unis
Île de Little TallAu large des côtes, Little Tall était une petite île perdue, difficilement accessible, et reliée à la côte par un seul ferry. Ce soir, une tempête redoutable régnait sur place, des éclairs déchirant le ciel, accompagnant des chutes de neige. Il faisait particulièrement froid, et l’électricité de l’île avait du mal à tenir, les groupes électrogènes obsolètes peinant à lutter contre les éléments. Une tempête particulièrement forte, tandis qu’une silhouette s’approchait du manoir abandonné de Lord Cranster, ancien propriétaire terrien à l’époque de la colonisation. Le manoir était isolé de la ville, et n’avait jamais été repris, pour d’obscures raisons locales et juridiques. Il y avait bien eu, récemment, un projet de la mairie, de le reprendre, mais, officiellement, le manoir appartenait toujours aux descendants de Lord Cranster.
La jeune femme se posa sur le jardin à l’état de friche sauvage, devant le perron de ce manoir de style victorien. Abandonné à l’époque de la Guerre de Sécession, il faisait depuis l’objet d’un contentieux familial entre les héritiers présumés de Lord Cranster. C’était, du moins, la version officielle, que la municipalité donnait. Et puis, Little Tall ayant peu de revenus, bénéficier d’un tel terrain ne motivait pas grand-monde, car, vu la surface, il aurait fallu débourser pas mal de dollars pour remettre en état la propriété, l’entretenir, et l’exploiter convenablement. Que faire d’un tel bazar ? Faute de trouver une réponse concrète, à chaque réunion du conseil municipal évoquant cette question, personne n’arrivait à se mettre d’accord.
Pour
elle, c’était un endroit parfait. Elle s’avança, et sentit rapidement les glyphes magiques. Elle grimpa sur le perron, et poussa la porte branlante, qui émit un antique grincement, donnant sur un grand vestibule en forme circulaire, avec un escalier menant à l’étage. Poussières, toiles d’araignées... La jeune femme poursuivit sa route lentement, et attrapa le lasso à sa ceinture, qui se mit à briller, et l’enroula autour de sa main, puis tourna la tête.
Tout était délabré, sauf une curieuse statue de gargouille le long du mur, qui, malgré les fêlures et les zébrures, tenait encore debout. Le lasso de l’élégante femme s’enroula autour du cou de la gargouille, et elle appuya dessus, en prononçant la formule rituelle.
«
Gardien ! Diana de Themiscyra, Princesse légitime des Amazones, dont le sang divin de Zeus coule dans mes veines, te somme de lui révéler la vérité ! »
Les yeux de la gargouille s’illuminèrent brusquement, et le sol se mit à vibrer, puis des ondes magiques s’échappèrent de ses yeux, et dissipèrent l’illusion, faisant apparaître une maison parfaitement bien entretenue.
*
Impressionnant... Myrina est à la hauteur de ce que je crains. Faites qu’il ne soit pas trop tard...*
Diana se pressa rapidement, et rejoignit la bibliothèque. Il y avait énormément d’ouvrages, consistant en des recueils magiques diverses et variées. Certains traitaient de l’Apocalypse, de la fin du monde, de visions prophétiques, d’une grande guerre entre deux avatars de destruction absolue. Un texte rédigé par un anonyme en parlait justement :
« La réalité est beaucoup plus fragile que ce que nous croyons. Elle n’est pas inébranlable, et est à l’image de toute chose, faible, mourante.
Trop souvent, le tissu de la réalité s’est rompu. Trop souvent, des croisements de lignes parallèles ont eu lieu. La Nuit Noire arrive, le crépuscule de toute forme de vie. La réalité a déjà connu deux grandes guerres qui l’ont dévasté à travers les âges.
Elle ne survivra pas à un nouveau conflit. »
Diana poursuivait silencieusement ses investigations, quand elle entendit des craquements. Prudente, elle fronça les sourcils, et déposa le livre, tout en saisissant la poignée de son épée, et se déplaça lentement. Elle se dirigea vers le vestibule, faisant bien attention à étouffer ses bruits de pas. L’individu qui s’approchait n’était pas très discret, et, s’il avait réussi à percer le sortilège de Myrina, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un simple individu hagard.
La Princesse des Amazones se rapprocha du palier, et attendit prudemment... Puis, quand elle sut l’homme proche, elle attaqua brusquement... Et vit une main gantée noire se saisir de son poignet, tentant de la retenir, ainsi que des yeux sombres, une silhouette massive et sombre, avec une paire d’oreilles pointues.
Les yeux de Diana s’écarquillèrent sous la surprise.
«
Bruce ? »
Batman, le légendaire Chevalier Noir de Gotham City, la regarda silencieusement.
«
Drôle d’accueil. -
Je ne m’attendais pas à te voir... Si loin de Gotham City. -
Je voyage beaucoup, en ce moment. -
Hmmm... Quelqu’un aurait donc réussi à te faire sortir de ta légendaire Batcave ? »
Aucune réponse. Bruce avait déjà dépassé son quota de mots. Diana se retourna, et le laissa s’approcher.
«
Je suppose que tu connais déjà... »
Un simple regard fut suffisant, suivi d’un second, plus discret, vers son ventre.
«
Combien de semaines d’aménorrhées ? -
La grossesse se passe bien, je te rassure. Et si tu me disais plutôt ce que tu venais faire ici ? »
Les réponses venaient toujours au compte-gouttes avec Bruce, et c’était une chose que Diana avait appris à gérer quand elle parlait avec lui. Il inspecta plusieurs livres à son tour, avant de se retourner vers elle.
«
Le père de cet enfant... Je sais où il est. »
Cette fois, les yeux de Diana s’écarquillèrent sous l’effet de la stupeur.
«
Quoi ? Mais... Il est mort ! -
Tu es bien placée pour savoir que la mort est un concept très relatif. Je t’ai ramené une copie de son dossier. »
Diana le vit sortir un petit appareil abritant un écran tactile, et elle consulta le dossier, et vit rapidement une photo.
*
C’est lui !*
Éberluée, Diana releva la tête.
«
Mais... Comment ? -
Il est amnésique, et dans un état catatonique. Les services sociaux l’ont retrouvé hagard il y a quelques jours, le long de la plage. Il est tombé dans les pommes, et a été emmené à l’hôpital, avant d’être conduit ici. Et, comme tu t’en doutes, pour des raisons évidentes de sécurité, je garde un œil sur tous les nouveaux pensionnaires qui arrivent là-bas. »
Elle était troublée, confuse. Kyle... Impossible de ne pas l’oublier, et ce d’autant plus que ça ne faisait que quelques semaines. Ensemble, ils avaient affronté des semaines terribles, d’un bout à l’autre du Multivers, pour défier le Convergent maléfique de Kyle, Slave Prime. À la fin de ce combat titanesque, Slave Prime avait été vaincu, banni ailleurs, et Diana était tombée sur un être aussi puissant qu’intrigant, Absolute Prime, qui lui avait assuré que c’en était fini de Sentinel Prime.
Alors, pourquoi est-ce qu’il se trouvait à Gotham City, interné dans l’une des ailes médicales pour patients normaux de l’asile d’Arkham ?
«
Il faut que j’aille le voir. »
Aucune réponse de Batman, ce qui équivalait à un assentiment. Elle se retourna pour sortir, quand la main de l’homme se posa sur son épaule, la faisant frissonner.
«
Autre chose... -
Quoi ? »
Elle se retourna, et le vit sourire légèrement.
«
Tu m’as manqué. »
San Fransisco, États-Unis«
Chérie ? Tout va bien ? »
La porte de l’appartement s’ouvrit, et le jeune homme, s’avança rapidement. Sa main se posa sur le commutateur, et il appuya dessus, pour constater que l’ampoule ne s’allumait pas.
*
’Chier, les plombs ont encore sauté !*
Mais pourquoi est-ce que Brittany ne répondait pas ?
«
Brit’ ? Écoute, ma puce, je sais que je rentre tard, mais j’ai eu une réunion, et... Enfin, j’ai essayé de l’écourter autant que possible, et je... Ah, putain ! »
Son pied venait de taper sur le chat, qui se mit à miauler. La réalité était qu’il avait surtout continué à flirter avec sa collègue de travail, Peggy, mais c’était là une chose que l’homme ne pouvait pas admettre. Il rejoignit la pièce principale du salon, et, malgré les miaulements lancinants du chat, et même ses feulements, dont il ne tint pas compte, vit une silhouette allongée sur le sol.
«
Brittany ? -
Êtes-vous le locataire de ce logement ? »
Une voix sombre, grave, émanant du fauteuil.
«
Quoi ? Mais... Qui... Vous êtes qui, bordel ? -
Êtes-vous le locataire ? -
Mais que... Putain, mais vous êtes qui, bordel de merde ?! Qu’est-ce que vous foutez chez moi, où est... »
Agacé, l’homme fronça les sourcils, et deux rayons fusèrent de ces derniers, et frappèrent l’homme en plein visage. Il s’effondra dans un hurlement, la tête fumante et carbonisée, rejoignant sa petite-amie. L’homme grogna alors, et se redressa. Le chat feula encore, tandis que l’homme se redressa lentement, s’extirpant du fauteuil, tenant dans une main un verre de vin rouge.
«
Ce n’était pas lui, Kanto. -
Il semblerait, oui. -
Tu le savais déjà, n’est-ce pas ? »
La femme qui l’avait interrogé esquissa un discret sourire. De la main, l’homme tenait un verre contenant un excellent cru. Un
Barolo, millésime 1993.
«
Je n’aurais refusé de boire ce vin pour rien au monde. Elle voulait l’utiliser pour reconstituer son couple. Elle était enceinte, je crois. -
Sans intérêt. Continuons, il y en a encore beaucoup à trouver. -
Tu devrais davantage profiter, ma chère. Ce monde, en réalité, recèle de trésors inestimables... Comme ce vin. De tous les systèmes solaires que j’ai vus, de toutes les planètes que j’ai exploré, la Terre a vraiment quelque chose de particulier. »
Elle émit un grognement, et Kanto soupira.
«
La volonté de Darkseid prime sur tout le reste, n’est-ce pas ? »
Fataliste, il sortit de l’appartement, et laissa la porte ouverte.
Sur le devant de cette dernière, on pouvait lire le nom du locataire du logement :
KYLE MACROSS