Les moqueries et les brimades au lycée… Un fléau souvent mésestimé par les adultes, qui y voyait là de simples chamailleries. Un phénomène qu’on sous-estimait beaucoup trop, préférant l’appeler par des termes spécifiques, comme pour en dédramatiser la réalité. Ijime, bullying… Mais, pour Pamela, il n’y avait qu’un seul terme pour désigner ça, une seule expression : harcèlement scolaire. Comme un pervers vous appelant au téléphone, ou vous poursuivant, vous oppressant, instaurant en vous un climat de peur et de terreur. On relativisait en négligeant ça, en disant que ça n’était rien, mais Pamela avait connu ça, elle aussi… Et, dans un système aussi conservateur et sclérosé que pouvait l’éducation nationale, il y avait de quoi péter les plombs.
Néanmoins, la réponse de Pamela arracha un sourire sur les lèvres de Pamela.
« Tu prends cela avec philosophie, à ce que je vois… Tends la joue quand on te frappe, c’est ça ? Crois-moi, Anaëlle, il est vain de discuter ésotérisme avec un singe. Tout ce qu’un singe comprend à la philosophie, ce sont tes lèvres qui remuent. Tu peux estimer que j’ai réagi de manière impulsive, mais ces imbéciles ne comprennent que la violence. »
Des enfants pourris gâtés, ou, inversement, des enfants qui jouaient continuellement les victimes, et se moquaient de tout. Ils extériorisaient leur détresse en l’infligeant sur les autres, dans un système où les professeurs n’avaient plus aucun pouvoir, tiraillés entre, d’un côté, des élèves irrespectueux et cruels, et, de l’autre, la pression sociale, médiatique. Une situation contradictoire qui avait toujours profondément agacé Pamela. Quand un professeur giflait un élève, il y avait toujours un terrible scandale médiatique, et ce quand bien même l’enfant en question ne répondait à rien d’autre, et qu’il n’y avait aucune autre solution. Pamela n’était pas, en soi, pour les châtiments corporels, mais elle était bien placée pour savoir qu’il n’y avait qu’un langage que l’être humain comprenait vraiment.
Au Japon, les châtiments corporels des professeurs à l’égard des élèves n’étaient pas si absents que ça, puisqu’une étude ministérielle menée de 2012 à 2013 avait révélé presque 2 000 élèves victimes de châtiments corporels. Parallèlement, l’jimeétait un phénomène endémique, à tel point que, régulièrement, le rectorat diffusait aux adresses mails des professeurs des consignes sur les élèves qu’ils suspectaient être victimes de harcèlement. Plus que tout, la Direction du lycée redoutait un suicide dans son établissement. Autant Mishima parvenait, tant bien que mal, à survivre aux scandales sexuels, mais un suicide. Un sondage, datant d’il y a quelques années, sur les victimes d’ijime, avait été réalisé par un peu plus d’un million de Japonais. On était donc bien loin d’un système idyllique.
C’est ce qui amena Pamela, après quelques hésitations, à se rapprocher un peu d’Anaëlle, dont elle connaissait l’intelligence. Pamela, en effet, était une professeure extrêmement exigeante, qui dispensait à ses élèves un cours de niveau universitaire, avec d’importants devoirs à faire à la maison, comme des notes de synthèse. Anaëlle était l’une des rares à avoir la moyenne dans sa classe, ce qui, et il fallait bien le dire, était plutôt rare.
« Moi, c’était mes boutons d’acné et mes grosses lunettes qui me valaient des moqueries… Ainsi que mes cheveux roux. Ce que tu dois comprendre, Anaëlle, et ce que je veux t’expliquer, c’est qu’ils ne t’aiment pas parce que tu es différente. »
Elle rajouta ensuite :
« Et ce que tu as subi est grave, Anaëlle. Moi aussi, je relativisais… Je me disais que je valais mieux qu’eux, que je ferais de grandes études là où eux finiraient chômeurs ou alcooliques… »
Dans un monde idyllique, sûrement… Mais, dans un monde idyllique, le harcèlement n’existerait pas. Pamela posa alors sa main sur l’épaule d’Anaëlle.
« Tu as raison de vouloir être au-dessus de ça… Moi, je n’y arrivais pas. »
Inutile de dire ce qui était arrivé à ceux qui avaient persécuté la jeune Pamela Isley quand elle était devenue Poison Ivy. Tout ce qu’elle savait, c’est que peu avaient fini alcooliques. Certains s’étaient même mariés, et avaient eu des enfants, ou des postes à responsabilités. L’un, notamment, était devenu un banquier. Et, à cette époque, Ivy était loin d’être la femme apaisée qu’elle était maintenant, et ces gens avaient goûté le prix de leur insolence. La vengeance est un plat qui se mange froid, après tout, et celui d’Ivy avait mis longtemps à mûrir, mais, en définitive, elle les avait tous tués.
Papillonnant des yeux, Pamela s’arracha à ce souvenir lointain, et posa alors sa main sur les cheveux d’Anaëlle, caressant ces derniers, et alla même déposer un baiser sur son front, répandant, comme à chaque fois, un peu d’aphrodisiaque autour de ses doucereuses lèvres.
« Tu es une jeune fille plein de charme, Anaëlle. De cela, ne laisse personne te faire croire le contraire. »