«
Portez grande attention aux deux cartons, surtout ! Si vous en renversez un seul, je vous ferais écarteler ! »
Les hommes acquiescèrent silencieusement, se doutant certainement que la femme risquait de mettre sa menace à exécution. Les Dowell étaient en effet connus pour leur grande sévérité à l’égard des simples exécutants ne remplissant pas fidèlement leurs obligations. On disait ainsi que les villes administrées par le clan bénéficiaient d’une justice particulièrement sévère et dure, l’une des plus dures de tout l’Empire. Mais cela, en réalité, on le devait surtout au Patriarche du clan, Alexandre Dowell, qui ne supportait pas le vol, qu’il voyait comme une atteinte à la propriété, l’un des fondements de toute société se disant évoluée et civilisée. Le vagabondage était également réprimandé, mais, pour autant, les cités du clan étaient relativement paisibles, car elles étaient sur des terrains riches et fertiles. Or, il était prouvé que, tant que l’économie allait, et que les gens avaient de quoi manger le soir, les révoltes n’avaient jamais lieu. Néanmoins, l’aura de sévérité du clan était quelque chose qui permettait d’obtenir des employés un excès de zèle.
Ainsi, quand
Allison Dowell descendit du chariot, et ordonna qu’on prenne grand-soin des deux grands cartons situés à l’intérieur, les gardes obéirent silencieusement. Les cartons étaient relativement lourds, et comprenaient plusieurs ouvertures. Personne ne savait ce qu’il y avait dedans, et Allison resta, à ce sujet, ouvertement silencieuse, ce qui signifiait qu’elle ne comptait rien dire.
«
Diable, ce manoir est toujours aussi grand. »
Lady Maria était l’une des femmes les plus riches de l’Empire, si ce n’est la plus riche. Elle faisait en tout cas partie des dix personnes les plus riches de tout Terra, concurrençant ainsi les puissants bourgeois nexusiens, ou les femmes d’affaires tekhanes extrêmement riches. Lady Maria disposait d’un très vaste conglomérat, et d’un patrimoine immobilier très important. Elle avait des manoirs un peu partout, et ce manoir-ci était immense. Il comprenait plusieurs jardins, de nombreux étages, s’étalant dans la campagne, sur plusieurs hectares. C’était le siège principal des activités de Lady Maria, car, quand elle avait été anoblie par le Conseil Impérial, on lui avait donné un important lopin de terre, qu’elle avait pris, installant ses manufactures et ses ateliers.
La puissante vampire était une alliée traditionnelle des Dowell, dont l’alliance remontait, historiquement, à la Guerre Civile. Le clan avait durement souffert de cette guerre, et avait noué des relations avec Lady Maria pour se reconstruire. Les relations avaient perduré, et s’étaient approfondies avec le temps. Alexandre aimait bien Lady Maria, tant parce qu’elle était une vieille vampire, et donc avec un sang d’excellente qualité, mais aussi parce qu’elle était extrêmement cultivée. Ensemble, ils s’amusaient à parler longuement de choses et d’autres, mais, depuis quelques années, Lady Maria avait estompé ses visites. En fait, elle vivait presque recluse dans son immense palais, et Allison pensait savoir ce qu’elle avait.
Or, Allison aimait bien Lady Maria. Elle avait donc plusieurs raisons d’intervenir.
Officiellement, elle venait dans le cadre, pompeux, de la renégociation d’un contrat de vente. Le principe était que les Dowell vendaient les produits minéraux extraits de leurs mines aux manufactures de Maria. Cependant, pour tenir compte de l’évolution des prix, et d’autres notions économiques, le contrat faisait l’objet de renégociations tous les neuf ans, ces renégociations ayant pour but de modifier la fixation du prix en fonction du contexte économique. C’était le genre de choses que son frère aimait, mais Allison, elle, trouvait ça mortellement chiant. Il ne s’agissait que de conversations juridico-économiques, mais son frère était d’accord avec elle pour dire qu’il fallait agir.
«
C’est le spleen vampirique, avait dit Dowell.
C’est ce que tout génie ressent quand il est entouré d’êtres inférieurs. Il s’ennuie, il se lasse, et il dépérit, car sa lumière brille trop, et l’isole. »
Allison en savait quelque chose, car son frère avait été sur une courbe pareille. C’était elle qui était intervenue, car elle ne se voyait pas être à la place d’Alexandre. Or, on disait que Lady Maria ne répondait plus à aucune invitation aux fêtes, et sortait rarement, si ce n’est jamais. Petit à petit, sa fortune risquait de dépérir, et les Dowell ne voulaient pas perdre un si bon allié.
Voilà pourquoi Allison intervenait, et pourquoi elle avait avec elle deux cartons.
Tandis qu’elle avançait vers le bureau de la femme, deux soldats soulevaient les cartons... Mais l’un d’eux sursauta subitement en regardant le carton, amenant Allison à se retourner.
«
Ne le lâchez pas, imbécile ! Son contenu est très fragile ! -
Euh... Oui, oui, Madame ! »
Il déglutit lentement, puis reprit sa marche.
Très curieusement, l’homme avait eu l’impression que
quelque chose avait léché ses doigts. Il en avait failli lâcher le carton !
Allison suivit donc les serviteurs à travers les immenses salons et couloirs du manoir, jusqu’à rejoindre une porte. On toqua à cette dernière pour l’annoncer, et Allison entra rapidement.
«
Ma chère Maria ! Je suis surprise de voir que, malgré l’immensité de vos salons, vous préférez passer votre temps dans un placard à balais ! »
Il fallait bien attendre que le bureau était minuscule, par rapport à d’autres pièces.
Allison lui sourit, tout en indiquant de la main aux gardes de poser les deux cartons dans un côté, et de s’en aller.
«
Mais je suis fort ravie de vous revoir de nouveau, ma chère. Nous ne nous étions pas vues depuis très longtemps, et je commençais, en réalit,é à m’inquiéter. Aussi suis-je ravie de voir que vous n’avez pas pris une ride ! »
Allison était une femme qui savait s’habiller, et, elle l’avait prouvé.
Pour l’occasion, elle s’était en effet dotée d’une
superbe robe, qui avait provoqué quelques érections chez ses hommes.
Mais éveillerait-elle quelque chose chez celle dont on disait que le cœur était devenu de glace ?