Malgré tous ses talents, Alexandre ne savait pas que la femme avait un appétit prononcé pour le BDSM. Dowell ne pouvait pas tout savoir. Ce qu’il avait laissé dans sa suite, c’était, en réalité, une bien heureuse coïncidence, car leurs goûts sexuels se rejoignaient. Et, outre être une sorte de doucereuse provocation sensuelle, c’était aussi un premier défi. Il avait été tentant de dissimuler des caméras cachés dans la suite de la femme, mais c’était une forme de tricherie à laquelle Dowell s’était refusé, estimant qu’il n’avait nullement besoin de ce genre d’artifice pour réduire à séduire une femme. Et puis, outre cela, il fallait laisser un peu de suspens, et, tout en retournant à ses activités, Dowell s’amusa à penser à la manière dont al femme réagirait en découvrant ce petit recueil. Le jetterait-elle en pensant à une blague ? En serait-elle ulcérée ? Ou, au contraire, l’observerait-elle avec fascination ? Si Alexandre n’avait pas installé de caméras dans l’appartement, il y en avait dans le couloir, pour des questions de sécurité, et il put ainsi voir que la femme ne sortit pas pendant tout l’après-midi... Ça ne voulait rien dire, bien sûr, mais ça pouvait aussi s’interpréter de bien des façons. Et Dowell se surprenait même à y songer. Ce n’était pas son genre, pas son style. Mais, très curieusement, l’idée d’imaginer cette femme en train de se caresser intimement n’était pas sans provoquer quelques basses et profondes excitations, aussi surprenantes qu’agréables et irritantes. Alexandre était un homme qui aimait tout contrôler autour de lui, et c’était aussi pour ça que, fondamentalement, le sexe l’angoissait.
Le sexe était tout simplement une force qu’on ne pouvait pas contrôler. Elle s’imposait à vous, et vous dominait par sa hauteur et par sa présence. Elle réveillait en vous des pulsions profondes et latentes, contre lesquelles Alexandre, à son grand regret, n’avait jamais réussi à lutter. Oh, il essayait bien de se contrôler, mais c’était comme sa soif de sang ; tôt ou tard, elle devenait trop forte, et les besoins physiologiques s’emparaient de lui. Il essayait de lutter contre ce qu’il voyait comme un péché, en ce sens que ces pulsions l’amenaient à s’aliéner, et à perdre le contrôle... Mais il n’y arrivait pas. Il avait trouvé un contrôle relatif à travers la sensualité, à travers l’exploration des sens et l’exaltation sexuelle, en passant par les jeux de domination. Il arrivait à mieux se contrôler, mais faisait toujours preuve, en matière de sexe, d’une voracité redoutable.
Et, tandis qu’il travaillait, rédigeant des conclusions, ou discutant avec des associés, Elizabeth lui revenait en tête, et il se mettait à l’imaginer dans des tenues toutes plus érotiques les unes que les autres. Il en eut même une érection, qui dura un peu trop longtemps que prévu, l’amenant à se confirmer que, ce soir, la nuit serait longue.
*
* *
Le restaurant choisi n’était pas n’importe quel restaurant. Il était situé dans les hauteurs de la ville, dans le château-fort historique de Seikusu, Muramasa-jo. Muramasa-jo abritait un restaurant luxueux, avec une terrasse qui donnait sur toute la ville, ainsi qu’un musée historique local, relatant l’histoire de Seikusu. Et, accessoirement, Muramasa-jo était aussi le quartier général d’un client d’Alexandre, Akihiro Guramu, l’
Oyabun du clan yakuza des Guramu, l’un des plus puissants clans de la ville. Un client qui était indéniablement une canaille, mais il y avait bien longtemps qu’Alexandre avait dépassé ces concepts de moralité. La criminalité organisée était une béquille de la société, une béquille qui, en fonction des époques, était plus ou moins appréciée positivement ou négativement. Actuellement, l’appréciation était de plus en plus négative, mais elle fournissait au cabinet de multiples dossiers, ainsi que des informations très utiles sur Seikusu.
Ce fut donc dans ce grand restaurant que la jeune femme fut conduite. La limousine roulait tranquillement, et, dans la voiture, elle pouvait, outre se détendre, voir que la limousine était dotée d’un minibar, avec un éclairage rétro, et des fauteuils particulièrement agréables. La limousine était tenue par l’homme-de-main de Dowell, son fidèle majordome, Walter.
«
Nous approchons, Madame... »
La limousine se gara sur le parking du restaurant, et un portier alla lui ouvrir.
«
Madame... Nous vous souhaitons la bienvenue au Muramasa-jo. »
On accédait au restaurant par un perron, et, alors qu’ELizabeth sortait, ce fut pour voir que Dowell l’attendait sur le perron.
L’homme portait un impeccable
costume blanc.
«
Ma chère Elizabeth, vous êtes magnifique ce soir ! »
Toujours aussi galant, Alexandre l’accueillit par une révérence et un nouveau baisemains. Et il ne mentait pas. Sa belle robe lui allait très bien, tout comme ses longs gants, et Alexandre pressa même un peu trop fort ses lèvres sur son gant, tout en sentant un frisson à hauteur de son sexe. Tout à l’heure, la tentation avait finalement été trop forte, et l’homme avait ordonné à l’une de ses secrétaires de prendre son membre en bouche, vers l’heure de fermeture des bureaux, après un rendez-vous avec un client qui s’était avéré particulièrement long, et pendant lequel il n’avait cessé de pencher à sa jeune collaboratrice.
Il l’embrassa donc, puis l’invita à rentrer.
Mélange de modernité et de tradition occidentale, Muramasa-jo avait un léger fond sonore, qui, quand ils entrèrent, diffusait
une reprise de la 5ème symphonie de l’Adagietto de Mahler par un groupe moderne,
ERA. Curieusement, Dowell, qui était généralement réfractaire à toute forme de musique moderne (même si, assez curieusement, il aimait bien le rock), appréciait ces airs, mélange de classique, de chants grégoriens, et de rock. Il avait en réalité toujours été assez hostile à cette manie de catégoriser la musique dans des tiroirs, car il estimait que la musique était, par essence, transversale.
Alexandre tenait Elizabeth par la main, dans un geste très familier, mais qui, étrangement, lui semblait tout autant naturel. Un steward les guida vers leur table, située sur la terrasse, à l’étage. Un véritable dîner aux chandelles, avec une carte où les prix n’étaient pas indiqués. Alexandre était un client VIP, et avait droit à une restauration gratuite, ce qui était un minimum, quand on savait qu’il avait permis à la moitié des lieutenants d’Akihiro de sortir de prison. Pour autant, l’homme, en parfait libéraliste, donnait toujours un généreux pourboire.
«
Prenez ce que bon vous semble, ma chère, nous célébrons votre arrivée au Japon. J’ai beaucoup voyagé, vous savez, et, de tous les pays que j’ai vu, c’est indéniablement celui-ci qui me sied le plus. »
Toujours très galant, il laissa Elizabeth s’asseoir en premier, puis s’assit ensuite face à elle.
«
Malheureusement, ma chère Elizabeth, vous allez, cette fois, devoir prendre un apéritif... Et, par ailleurs, et à titre utile, vous pouvez m’appeler Alexandre. Mais, si vous désirez m’appeler ‘‘Monsieur Dowell’’, notez que je ne m’en formaliserai pas. »
Au contraire, il préférerait ça.
«
Pardonnez-moi d’insister, mais votre robe vous va vraiment à ravir... Vous savez vous habiller pour vous mettre en charme. »
Il lui sourit ensuite, très légèrement.