D’Ysice et des Crocs d’Émeraude, les Amazones ne savaient pas grand-chose, si ce n’est les rumeurs colportées par les marins et les voyageurs. Mais comment avoir foi en ces rumeurs quand d’autres rumeurs disaient des Amazones qu’elles étaient des tueuses anthropophages qui dévoraient les bébés trop faibles, pratiquaient des sacrifices rituels, et s’adonnaient au Malin ? Sélène était une femme pragmatique, qui jugeait sur place ce qui ne relevait pas du divin. Elle ignorait donc la bonté d’Ysice, mais constata rapidement sa beauté, et, à travers sa silhouette fine, son regard calme, sa voix douce, et la manière dont elle s’excusait, sa pureté.
«
Ne vous inquiétez pas pour les premières impressions, Majesté, je gage que les autres sauront largement compenser ce désagrément administratif. »
Sélène avait beau ne pas avoir sa langue dans sa poche, elle avait retenu la leçon. L’époque où les Amazones pouvaient être belliqueuses, sauvages, et impitoyables, était révolue. Il fallait maintenant savoir être diplomate, et c’était bien ce à quoi la femme s’employait. En minimisant l’incident en simple «
désagrément administratif », Sélène indiquait aussi ne plus vouloir en parler. Néanmoins, et aussi douce puisse-t-elle sembler, Ysice avait l’air d’être le genre de femmes avec laquelle il ne fallait pas exagérer, et le groupe repartit donc vers son palais, en traînant derrière eux, dans une cage, l’administrateur portuaire.
*
Pour finir aussi vite dans une cage, le bougre ne doit pas en être à son premier coup d’éclat…*
En tout cas, le groupe se mit en marche. L’île de Jadescath était plutôt grande, avec un paysage escarpé, torturé, bosselé, constitué de montagnes, de forêts, traversé en son milieu par
une sorte de long fleuve qui, visiblement, découpait l’île en deux. Un paysage assez agréable, venteux. L’hiver, l’endroit devait avoir quelque chose de très impressionnant, rappelant à Sélène les paysages fantastiques de l’
archipel de Skellige.
En chemin, elles traversèrent plusieurs petits villages, les individus s’inclinant devant le passage de la Reine, qu’ils saluaient et acclamaient, jusqu’à s’approcher de la capitale centrale, visiblement la plus grande ville de l’île. En chemin, Ysice leur avait parlé de l’histoire du royaume, qui commençait par une sorte de guide initiatique,
Zonrad, qui avait mené les premiers colons ayant fondé ce royaume, une terre indépendante, sur une île reculée, car peuplée de monstres, et qu’Ashnard avait pendant longtemps fui. Les océans de Terra étaient loin d’être paisibles, et Jadescath était proche de Skellige, ce fameux archipel peuplé de tribus claniques, et entouré de monstres, notamment des sirènes.
Ysice parlait avec fierté et amour de son peuple, de son île, de l’importance qu’elle attachait à s’ouvrir au monde, avant que le monde ne se rappelle à elle. Elle se montra très renseignée sur les autres peuplades. Soucieuse d’éviter de faire partie du conflit entre Nexus et Ashnard, elle préférait se rapprocher des quelques nations neutres ou indépendantes, comme l’Empire de Vapeur… Ou bien la Horde des Amazones.
En retour, Sélène lui expliqua l’histoire de sa nation.
«
Jadis, nous, Amazones, vivions sur une île, comme vous. Themiscyra… Mais, là où vous avez décidé de vous ouvrir, nous, nous sommes renfermées, et le monde extérieur nous a envahi. »
Cet évènement avait été le point de départ de la diaspora amazone, et la plupart des Amazones avaient été vendues à des royaumes barbares, comme l’Hyrkanie. C’était ici que la Horde avait réussi à se libérer de ses chaînes, l’ancêtre de Sélène ayant mené une révolte qui avait provoqué une guerre civile en Hyrkanie, puis les esclaves en fuite avaient rallié les autres clans barbares.
«
On a enlevé nos terres, notre histoire, notre amour, mais pas notre fierté, ni notre foi. »
Maintenant, les Amazones formaient un peuple non sédentarisé, relique des temps anciens, qui explorait le monde afin de retrouver les autres Amazones, et Themiscyra. Honnête, Sélène ne dressa pas un portrait mielleux de son peuple, indiquant que la Horde était en train de s’affaiblir, de se réduire, faisant face à de plus en plus d’ennemis.
«
L’Ordre Immaculé nous dépeint comme des monstres, et les gens se méfient de nous. Malheureusement, nos rangs se réduisent. »
Sélène termina néanmoins sur une bonne note, en indiquant que faire affaires avec les Crocs d’Émeraude permettrait justement à la Horde d’aller mieux.
C’est sur ces paroles que le cortège arriva devant le palais, une belle structure, visible de loin, plantée au sommet de plusieurs montagnes. Ysice invita les femmes à se reposer, et Sélène la remercia poliment, puis, avec Mythilène, se retrouva rapidement dans les jardins du palais, le long d’alcôves, sur un balcon surplombant ces derniers. Un vent frais faisait remuer leurs cheveux, que Sélène humait joyeusement.
«
C’est une île sauvage et austère, signala la Chamane,
ces gens sont braves. -
Tu crois que Themiscyra ressemblait à ça ? »
Sur l’île originel, il n’y avait que peu d’informations fiables. Mythilène se contenta de hausser sobrement les épaules.
«
Peut-être… Je le pense, en tout cas. Je vois mal un peuple guerrier s’épanouir dans des vignerons à combattre des lapins et des charançons. »
Sélène sourit lentement.
Soudain, des hurlements et des bruits de pas précipités se firent entendre. Les deux Amazones tournèrent la tête, et virent une servante qui remontait une piste, en hurlant. Mythilène ferma alors les yeux, et usa de magie, développant ses cercles de perception… Et vit une créature qui avait poussé dans les buissons. Une bête dangereuse…
Un monstre floral : l’
ékinoppyre.
«
Une ékinoppyre ! » nota-t-elle à l’attention de Sélène.
La Princesse enjamba le parapet, et sauta en contrebas, roulant sur le sol, en profitant pour dégainer son épée, nichée dans son dos, et courut rapidement, évitant la servante, voyant également plusieurs gardes se rapprocher… Puis le sol trembla devant elle, et elle vit une cosse apparaître en plein milieu, d’où l’ékinoppyre jaillit en hurlant, d’autres cosses apparaissant ici et là. L’ékinoppyre était un monstre floral redoutable, une sorte de plante carnivore capable de balancer des jets d’acide depuis sa gueule, qui étaient meurtriers. C’était un monstre très rapide, qui créait des cosses végétales autour d’elle. Ces cosses explosaient au bout d’un moment, ou servaient à accueillir l’ékinoppyre quand elle se déplaçait sous terre.
Avec son long corps, la créature s’en servait également comme d’une arme, et s’abattit sur Sélène, qui bondit sur le côté, évitant le monstre, qui cracha ensuite des filaments d’acide. Faisant preuve de son agilité légendaire, Sélène bondit sur le côté, évitant les projections, tandis que Mythilène préparait entre ses mains une boule de feu.
Comme toute plante, l’ékinoppyre était très sensible au feu…