L’argent était le nerf de la guerre, et était naturellement quelque chose qui attirait beaucoup le crime organisé… C’était même probablement, selon Doutz’, la seule raison d’être du crime organisé : amasser de l’argent. L’ultime finalité de toutes les opérations criminelles qui existent, que ce soit le trafic de stupéfiants, la corruption, le blanchissement d’argent, le racket, l’infiltration dans les conseils d’administration de certaines sociétés, la prostitution, n’était que de faire du profit. C’est à ce titre que Reto avait éduqué Doutzen, et qu’il continuait à l’éduquer, à lui apprendre le théâtre, et à mettre en valeur son propre corps. Doutzen servait généralement à coincer de vieux pervers, qui étaient, soit des Yakuzas, soit de simples individus que Reto voulait faire chanter pour servir ses affaires. Banquiers refusant de délivrer des informations sur les comptes en banque d’une personne, greffiers de tribunaux de commerce peu enclins à délivrer les statuts et les bilans de certaines sociétés en liquidation judiciaire… Il ne manquait pas de cibles potentielles, et Doutzen, avec sa belle chevelure blonde, ses formes généreuses, et sa belle robe rouge la mettant magnifiquement en valeur, les faisait toujours craquer. Le Japon était un pays abritant beaucoup de pervers et de prédateurs sexuels vouant une attirance pour la jeunesse… Pas bien différent des autres pays, mais suffisamment notable pour que Reto s’en serve. Chaque homme couchant avec Doutz’ était ensuite proprement menacé. Entre la révélation publique de leurs exploits sexuels et la préservation de leurs carrières, ils n’hésitaient pas… Et les rares qui avaient des doutes finissaient par recevoir la visite des hommes de Reto, ce qui, généralement, achevait de les convaincre.
Reto avait son réseau, et c’est ainsi qu’il avait appris la mort des Sanderson. Un riche magnat de l’immobilier qui mourrait, et laissait derrière lui une vaste fortune, ainsi que de nombreux titres de propriété. Tout son patrimoine retombait entre les mains de son fils, et l’homme avait très rapidement décidé de profiter de la situation. Toute cette fortune potentielle était pour lui un véritable appel, et il s’était un peu renseigné sur lui. Alex était un flambeur, gaspillant et dilapidant sa fortune dans des soirées et des filles.
«
Tu vas t’inviter à l’une de ses soirées, Doutz’, tu vas te rapprocher de ce type… Faire ton beau petit Chaperon rouge. »
Et le Chaperon avait obéi, comme à chaque fois. Elle avait été à cette soirée, dans sa plus belle robe, cette robe rouge moulant ses formes à la perfection, et s’était rapprochée d’Alex. C’était un homme assez superficiel, et elle avait vite compris qu’il adorait parler de lui, et qu’il voyait volontiers les femmes comme des trophées à collectionner. Elle avait utilisé l’argument le plus susceptible de le convaincre : son avarice. Elle lui avait subtilement fait comprendre que sa fortune l’excitait, qu’elle était
célibataire, et qu’elle se languissait de tomber sur un homme qui soit capable de la protéger… Un mauvais choix tactique, car Doutz’ ignorait alors que la spécialité d’Alex était l’adultère. Si elle l’avait su (mais Reto n’avait eu aucun moyen de le découvrir), elle aurait probablement modifié son histoire, lui disant qu’elle était, non pas une célibataire venant de la campagne en quête d’un bon parti, mais une fiancée lassée des problèmes financiers de son amant, et de son incapacité à lui montrer qu’il l’aimait. Néanmoins, malgré cet impair, Sanderson avait été emballé. Doutz’ l’avait vu dans son regard, et elle avait su qu’elle aurait pu, en forçant un peu, coucher avec lui dès le soir, mais ce n’est pas ce que Reto voulait. Son père adoptif voulait une relation durable entre eux, quelque chose qui dure plus qu’un simple soir, afin de savoir quoi faire de la fortune potentielle du jeune homme… Et, surtout, découvrir ses attaches avec le milieu du crime organisé. Les Sanderson étaient un puissant empire, remontant à l’époque de son grand-père, soit peu après la Seconde Guerre Mondiale, quand il avait fallu reconstruire le Japon. Reto, qui connaissait l’Histoire, savait que, à cette période, beaucoup de gens avaient réussi à s’enrichir, notamment dans l’immobilier, en rachetant à bas prix des terrains ne valant plus rien, et en les rebâtissant ensuite, s’enrichissant sur la valeur ajoutée de ces derniers. Plus simplement, le Russe soupçonnait un lien entre les Sanderson et certains clans yakuzas, et Doutz’ devait donc se renseigner là-dessus, en se rapprochant suffisamment d’Alex pour pouvoir installer un virus dans son ordinateur personnel, par exemple.
C’est ainsi que, après leur soirée, Doutzen lui avait envoyé quelques SMS innocents, puis l’avait retrouvé sur Internet. Contrairement à ce qui se faisait en Occident, Facebook n’était pas un réseau social très développé. La raison se trouvait dans la philosophie japonaise, reposant sur le conformisme social. Un proverbe japonais disait ainsi que, face à une rangée de clous, si on voyait un clou qui dépassait de la rangée, il fallait donner un coup de marteau pour l’abaisser. Or, Facebook ne connaissait pas l’anonymat, ce qui faisait que très peu d’internautes l’utilisaient, car ils ne voulaient pas que leur entourage proche les voit comme autre chose qu’un individu «
normal ». Concrètement, voir Alex Sanderson sur Facebook était donc une preuve supplémentaire de son arrogance, de son envie de s’afficher, et elle n’eut aucun mal à obtenir de lui un rendez-vous intime chez lui, dans son appartement.
*
Les gens arrogants…* avait-elle songé.
Elle avait de la peine pour lui, car il n’était jamais facile de s’en sortir quand on était dans le collimateur de Reto… Mais, après tout, il était lui-même partiellement responsable. S’il ne s’amusait pas autant à s’afficher, à flamber son argent, Reto ne se serait jamais autant intéressé à lui. Le brutal père adoptif de Doutzen lui avait dit d’aller à ce rendez-vous, et de tout faire pour que Sanderson soit content d’elle, et qu’elle puisse accéder à son ordinateur.
«
Tout ce que tu auras à faire, c’est insérer cette clef USB dans son PC, et lancer le programme qui se trouve à l’intérieur. Aucun antivirus ne bipera, et tu pourras récupérer la clef, et faire comme si de rien n’était. »
Doutz’ avait acquiescé. Ce n’était pas la première fois qu’elle jouait à la James Bond girl en offrant ses fesses. Si Alex n’avait rien de compromettant, alors il se contenterait de se réveiller avec l’appel de son banquier, catastrophé en voyant que son compte en banque était vide. La jeune femme se rendit donc chez lui, un appartement situé dans le centre-ville de Seikusu. Elle avait l’habitude d’entrer dans ces tours, généralement en compagnie d’un type suffisamment vieux pour être son père… Voire son grand-père. Au moins, pour une fois, elle n’aurait pas à coucher avec un sac de rides et une queue rabougrie. Elle grimpa dans l’ascenseur, et se retrouva ainsi dans le loft de l’homme.
Elle portait un
long manteau beige et un sac à main rouge, et sourit au jeune homme avant d’entrer.
«
Ton appartement est vraiment magnifique, Alex… Ça me change de ma chambre d’étudiante ! »
Sur sa tête, Doutz’ portait aussi un bonnet, qu’elle retira avant d’enlever son manteau.
«
J’ai remis la même robe qu’à notre soirée, j’ai cru comprendre qu’elle te plaisait bien… »
Elle lui fit un délicat sourire, rabattant discrètement une mèche de cheveux derrière ses oreilles.
«
J’suis trop contente de te revoir ! Et… Je sais que je l’ai déjà dit, mais t’as vraiment un chouette appart’ ! »
Il avait préparé du champagne, ce qui la fit sourire.
Un vrai Don Juan…