Sarah dormait mal, dernièrement. On en était déjà à sept victimes, et l’enquête continuait à piétiner. Ou plutôt, elle avançait, mais pas aussi vite que les médias le voulaient, et, chaque soir, il y avait toujours un journaliste qui rappelait aux Tekhanes devant leur écran de télévision que la police n’avait pas toujours arrêté les «
Snuffeurs », aussi appelé «
Gang du Snuff ». Le Gang avait un mode opératoire précis, qu’on retrouvait à chaque fois. Les victimes étaient de jeunes adolescentes ayant environ vingt ans, et qui étaient violées et torturées. Leurs cadavres étaient ensuite balancés dans des ruelles. Les médecins et les expertes scientifiques avaient rapidement constaté que les personnes étaient torturées pendant un certain temps, et, plus l’enquête avait avancé, et plus Sarah avait compris à quoi ils avaient affaire. Chacune des victimes était torturée en étant filmée, et était tuée en direct, devant une caméra. Le Gang faisait des
snuff movies en direct, invitant les internautes à voter, avec de l’argent, pour ce qu’ils voulaient que la victime subisse. Qu’on lui crève les yeux, qu’on lui arrache les dents, qu’on l’écorche... Tout était possible. C’était un véritable musée des horreurs, qui avaient lieu sur des sites obscurs, dans les profondeurs du
dark web. Le
dark web était un aspect sous-jacent du
deep web, qui désignait toutes les données inaccessibles au grand public par les moteurs de recherche classique. Dans plus de 90% des cas, il s’agissait de données temporaires, mais, dans une partie de l’Internet, on trouvait le marché noir du Web : les sites proposant du contenu pédopornographique, les réseaux de pédophiles... Et le
snuff movie. Déterminer ce qui était vrai et ce qui était simplement un canular n’était pas une mince affaire, mais il était admis que les «
Snuffeurs » ne plaisantaient pas.
Ils organisaient une émission de temps en temps, l’annonçant quelques jours à l’avance, en promettant à chaque fois une belle femme, de la viande fraîche, et en invitant les participants à s’inscrire. Les expertes informatiques de la police scientifique de Tekhos Metropolis n’avaient pas réussi à pirater leurs serveurs. Les «
Snuffeurs » avaient probablement avec eux des spécialistes en informatique qui étaient capables de bien protéger leur site, ainsi que la position de leur serveur. Ils avaient mis en ligne une nouvelle annonce, pour dans quelques jours. Autrement dit, un nouveau meurtre.
Pour l’heure, la presse avait réussi à découvrir le mobile des crimes, déclenchant un vent de panique, mais les journalistes ignoraient que les
Snuffeurs préparaient un prochain coup. Le Préfet de Tekhos Metropolis avait choisi de maintenir l’information confidentielle autant que possible, et la préfecture avait diffusé des circulaires rappelant à ses agents que toute information divulguée aux journalistes leur vaudrait de lourdes sanctions disciplinaires. L’enquête était prioritaire, surtout depuis la dernière victime. Il s’agissait de la fille de Martha Dixwell, une richissime femme d’affaires, qui avait racheté plusieurs médias, et qui avait des liens avec le Sénat. L’affaire était devenue trop médiatique, et Sarah avait presque totalement abandonné ses autres enquêtes en cours pour se consacrer sur eux.
Il avait fallu que ses collègues lui ordonnent d’aller chez elle pour qu’elle quitte le boulot. Elle ne cessait de voyager entre son poste et les différentes scènes de crime. Toutes les familles n’avaient aucun lien entre elles, et toute une cellule de crise avait été mise sur place, afin de trouver des informations sur le Gang. Les victimes venaient de quartiers différents, et le recoupement des témoignages avait permis de réunir plusieurs pistes :
- Les Snuffeurs attaquaient des adolescentes dans des endroits isolés, en s’assurant qu’il n’y ait aucun témoin. Ils frappaient donc, soit tôt le matin, soit tard le soir. Plusieurs victimes avaient probablement été capturées en sortant de discothèque, mais la police pensait que le Gang frappait aussi le matin. La fille de Martha Dixwell, Joanna, avait pour habitude de faire du jogging dans un parc de Tekhos Metropolis le matin, et ne sortait jamais le soir. Elle avait probablement été capturée en faisant du jogging, thèse confirmée par la gardienne à l’accueil, qui assurait que Joanna n’était jamais revenue du jogging, et qu’elle s’en était inquiétée ;
- Les Snuffeurs disposaient d’un moyen de locomotion rapide, et attaquaient à plusieurs. Il s’agissait probablement d’un camion ou d’un fourgon, un véhicule permettant de capturer rapidement une femme, sans que personne ne puisse voir ce qui se passait à l’intérieur. Suite à l’enlèvement de Joanna, une partie de l’équipe mise sur pied avait visionné des caméras de sécurités publiques autour du parc, afin de repérer d’éventuels indices. Leur seule piste était un van noir, mais la plaque d’immatriculation relevée les avait amené sur une fausse piste. Elle était fausse, et les enquêteurs pensaient que ce van noir était celui des Snuffeurs.
Sarah commençait à en avoir mal au crâne. Son fond de café était devenu froid car elle ne l’avait pas bu, se replongeant, encore et encore, toujours avec le même acharnement, dans les auditions et les procès-verbaux.
*
Je n’arrive plus à rien... Rends-toi à l’évidence, Sarah, il est temps de se coucher.*
Pez’ était connue pour être une véritable obsédée du travail, incapable de penser à autre chose quand elle était face à une enquête comme ça. Elle ne pensait pas aux enjeux médiatiques, ni aux menaces de Martha Dixwell, mais revoyait sans cesse les visages martyrisés de ces pauvres filles, peinant à se dire qu’elles avaient été massacrées simplement pour faire plaisir à des malades du sexe sur Internet. C’était ignoble, d’une cruauté sans pareille, et, chaque fois qu’elle dormait, elle revoyait ces visages massacrés dans sa tête. Comment des gens pouvaient-ils faire subir de telles choses ? Tout ça dépassait l’entendement ! Néanmoins, son corps n’en pouvait plus.
Sarah, à contrecœur, se releva, quittant son salon, puis alla dans sa salle de bains, se préparant une pilule contre la migraine, tout en enfilant sa
nuisette, une tenue violette qui était un héritage de la période où elle était sur Terre. Elle s’observa légèrement dans le miroir. Des cernes commençaient à perler sous ses yeux, et, comme pour donner raison à la petite voix dans sa tête lui intimant de se coucher, elle se mit à bâiller.
Sarah se réfugia ensuite dans sa chambre. Elle avait un petit appartement de banlieue, à une demi-heure, environ, du commissariat central de Tekhos Metropolis, où elle avait son bureau. Elle vérifia que son téléphone portable fonctionnait bien, puis s’allongea au milieu de son lit. Elle s’attendait à avoir du mal à dormir... Mais, en réalité, le sommeil se rattrapa à elle, et Pezzini s’écroula dans son lit.
Son appartement comprenait un petit balcon, qu’elle utilisait pour étendre son linge. Quand on toqua à sa vitre, Sarah ne répondit pas, continuant à dormir, et il fallut insister pour que son cerveau émerge. Elle se redressa rapidement, et porta la main vers sa table de chevet, en saisissant son
Dakini, tout en allumant la lampe de la table de chevet.
Quelqu’un tapait à la porte de la terrasse, mais Sarah ne pouvait pas voir de qui il s’agissait, en raison des stores. Prudemment, la policière appuya sur un interrupteur, relevant les stores, et pointa son arme vers la terrasse.
Si c’était un cambrioleur, il allait trouver à qui parler.