Les deux femmes s’avançaient vers le chantier, filant à travers des ruelles étroites. Le bâtiment était assez grand, et s’inscrivait dans les projets municipaux récents de redynamiser l’activité économique des ghettos, notamment en rénovant les infrastructures, et en tentant d’articuler les ghettos autour de grands pôles économiques destinés à relancer l’emploi dans ces secteurs défavorisés, ainsi qu’instaurer un certain standard de qualité de vie. Le projet s’inspirait des projets nexusiens menés dans les bas-fonds de la cité-État pour rénover ces zones délabrées. Tout en s’y rendant, Sarah écoutait attentivement Irina. La policière avait visé juste. D’une manière ou d’une autre, cette Irina était liée à ce mouvement contestataire mené contre certaines mégacorporations. Elle savait que ces puissantes firmes avaient des batteries d’avocats et un gros chéquier, et avaient dû s’en servir afin de faire passer ces contestataires pour une cellule terroriste, et ainsi justifier le recours à la force publique, tout en se débrouillant pour contourner les voies classiques de la justice. Un procès public aurait été une tribune pour ces gens, et Sarah soupçonnait une affaire très sale.
La Tekhane en combinaison moulante était profondément troublée, et Pez’ s’arrêta en la voyant se frotter les yeux. Allait-elle-même en venir aux larmes ? Le doute était permis, vu la manière dont elle se comportait ! Au lieu de ça, Irina reprit. Le chef du mouvement avait été capturé, et les autres s’étaient dispersés... Elle le disait sans conviction, et Sarah comprit qu’elle mentait. Elle la regardait silencieusement, et vit clairement ses yeux s’embuer. Son reniflement ne lui échappa pas non plus, la policière ayant des sens très aiguisés avec le Witchblade enclenché.
*
Est-ce que c’était elle, le chef de ce mouvement ?*
Elle avait commencé par dire «
prise », avant de se corriger, presque automatiquement, presque comme si elle connaissait cette personne... Et Irina lui avait dit que le repaire de la bande était impossible à prendre totalement par la force. Autrement dit, le meilleur moyen de le neutraliser était d’avoir
quelqu’un à l’intérieur, un traître qui permettrait à des commandos d’infiltration de s’infiltrer sans se faire repérer. Le conditionnement de cette femme était terriblement efficace, mais pas imperméable. Sarah sentait que, quelque part sous cette couche formatée, une véritable femme se battait encore. Irina reprit sa marche, n’ayant visiblement pas envie de poursuivre la discussion, et, sagement, et ce même si plusieurs questions lui brûlaient les lèvres, Pezzini la suivit. En dire trop pourrait amener le programme qui la contrôlait (ou la personne, Pez’ ne savait pour l’heure pas trop comment fonctionnait son conditionnement) à réagir violemment, et à tenter de se séparer d’elle. Sarah n’oubliait pas leur séance de pelotage dans son appartement, qui s’était terminé par une piètre tentative de la contrôler, de lui laver le cerveau... Une tentative qui aurait marché si le Witchblade n’avait pas violemment réagi à cette intrusion. Difficile de l’admettre, mais c’était pourtant bien grâce à ce bracelet infernal que Sarah était encore en vie.
Les deux femmes arrivèrent ainsi devant le chantier de construction. Il y avait une grande cour à l’entrée avec une longue clôture venant entourer toute la structure. Le site avait apparemment l’air éteint, mais Sarah ne se faisait pas d’illusions. Et, comme elle s’y attendait, elle n’entendait aucune sirène pour venir au lieu de l’explosion de l’appartement. Personne n’avait appelé les secours, ou alors ces derniers mettaient du temps avant d’arriver. Sarah remarqua des caméras de sécurité devant la porte principale, une barrière électronique avec une casemate de sécurité, vide. Des tags ornaient le portique, mais il n’y en avait aucun à l’intérieur.
«
Trouvons une autre entrée. »
Elles firent le tour du périmètre. Le site était assez vaste, comprenant d’autres bâtiments, des grues, des échafaudages avec de longues bâches, et elle sentit le Witchblade bourdonner à nouveau. Maintenant qu’elle portait l’armure intégrale, il bourdonnait encore plus fort, l’avertissant d’une menace. Comme pour mieux l’illustrer, le Witchblade se mit alors à évoluer le long de son corps, et Sarah se retrouva
affublée d’un curieux casque sur la tête avec des cornes, visant certainement à mieux la protéger. Elle ressemblait à une guerrière futuriste sexy, formant avec Irina un duo qui aurait fait fureur dans n’importe quel film érotique disposant d’un budget suffisamment gros pour bien travailler ses costumes.
En, contournant le périmètre, elles arrivèrent devant une autre cour, avec une autre barrière. La cour était un peu plus bétonnée, et un passage descendait dans le sol, menant à un garage. Sarah posa sa main sur le rebord de la barrière. Elle était fermée par un gros cadenas, et elle tira un bon coup, faisant sauter sans problème le cadenas. La barrière s’ouvrit, et elle fit signe à Irina de la suivre.
«
Ils sont là, quelque part... »
Elle descendit le long du chemin menant au garage, et posa ses mains en bas du portail. Là encore, sa force herculéenne, renforcée et développée par le Witchblade, fut suffisante, et elle souleva le portail, arrachant le cadenas qui le retenait. À l’intérieur, il y avait un parking... Et plusieurs véhicules s’y trouvaient.
L’endroit n’était donc pas abandonné.