L’Invitation de la Comtesse [PV Mélinda Warren]

Certaines histoires tombaient vite dans l’oubli. D’autres en revanche savaient résister au temps. Difficile de savoir exactement pourquoi, mais c’était ainsi. On aimait se les raconter dès que la situation y était propice. La guerre de succession ayant secoué l’infernale baronnie de Roc Noir était de celles-ci. Tout était terminé depuis maintenant plus d’un an, mais en Enfer, on en parlait encore comme si c’était hier. Peut-être que le rapide déclin de la nouvelle baronne y était pour quelque chose. Peut-être pas. Peu importait au fond. Par la fascinante magie des cancans, bien des versions différentes de l’affaire coexistaient. On aimait les confronter. On aimait exposer ses petites théories. On aimait extrapoler. Est-ce que le démon poltron existait vraiment ? Est-ce que son redoutable frère était encore en vie ? Comment se pouvait-il que sa sœur ait pu le vaincre ? Quel rôle avait joué la vampire ?

La vampire... la fameuse vampire...
Mélinda Warren...

C’était le soir. Le couple de jeune amoureux profitait des derniers rayons du soleil afin de se promener. Le jour avait été pluvieux. La grisaille ne s’était déchirée que depuis peu. Tout était encore trempé et l’air frisquet invitait à bien se couvrir. La nuit allait être glacial. Le couple, main dans la main, bavardait au sujet des aménagements de leur future appartement quand il fut abordé par une élégante personne.

« Excusez-moi. Je cherche le manoir Warren. »

Quelque peu mal à l’aise, ce fut la fille qui répondit. Elle connaissait la direction, sa copine de lycée s’y rendait régulièrement. L’inconnu, très poli, remercia et s’éloigna. Echange banal et pourtant la fille serra plus fort la main de son compagnon. Bientôt elle insistait pour rentrer. Le type lui avait fait froid dans le dos. Il ne lui en fallait pas plus pour lui rappeler les trop nombreuses rumeurs planant autour de la ville. Maintenant, elle envisageait de déménager. Elle en avait assez de toutes ces choses bizarres ! Et pourtant, le distingué inconnu n’avait rien de spécial, lui fit remarquer son amoureux. Elle devait avoir trop d’imagination pour s’effrayer sur une simple impression.

L’inconnu en question ne tarda pas à apercevoir sa destination. Il se présenta à l’entrée du domaine et sonna. C’était un homme d’environs vingt ans. Visage quasi androgyne, cheveux courts blonds platines, il avait accroché à ses minces lèvres un sourire tout aussi fin. De taille moyenne, très élancé, il se tenait biens droit dans son impeccable costume gris à nœud-papillon. Il semblait être de bonne famille.

Mais la fille avait raison, il faisait froid dans le dos.

Il y a environ un an, Mélinda avait fait l’acquisition d’un esclave très contesté, Alexis Midnight. Sans le savoir, elle était rentrée dans un conflit infernal houleux, ayant pour enjeu la succession de la baronnie de Roc Noir, une baronnie infernale dont la succession était partagée entre les enfants du baron, notamment de deux d’entre eux : Jax War, un redoutable démon, cruel et guerrier, et Caprice, une démone sensuelle, orgueilleuse, et hypocrite. Jax avait perdu son titre en tentant de renverser son père, manu militari. Le Baron Sanglant avait été tué, mais Jax n’avait pas pu asseoir son autorité sur la baronnie, en étant chassé par Caprice. Il avait été joué par cette dernière, car il avait assiégé le Baron Sanglant, perdant bon nombre de troupes contre les forces de son père, avant que Caprice ne le double, cette dernière bénéficiant du soutien d’autres membres de la succession, comme Alexis. Devenue baronne, Caprice avait fait le ménage, en supprimant tous ses éventuels rivaux, sauf Jax, qui lui avait échappé, et Alexis… Le couard démon avait très certainement eu une chance insolente, car Caprice avait choisi de l’épargner, tout en ordonnant clairement à Mélinda de faire en sorte qu’il reste à vie un esclave Un esclave n’avait aucun droit sur la succession, et Mélinda pensait que Caprice l’avait épargné afin qu’il puisse, le cas échéant, servir de témoin, pour attester qu’elle était bien l’héritière légitime.

La guerre de succession entre Jax et Caprice avait, à l’époque, profondément impacté le train de vie du harem, Jax ayant attaqué son manoir pour tenter de tuer Midnight. Partiellement détruit, le manoir avait été reconstruit et amélioré, et, depuis cette époque, Mélinda avait amélioré davantage sa sécurité personnelle. Elle avait dressé des cristaux de protection tout autour de son manoir, et, depuis quelques semaines, avait acheté une guilde, grâce à l’or qu’elle avait récupéré en vendant Theorem à Ishtar Naviento. Elle disposait ainsi de gardes du corps, des guerriers redoutables, et les activités de la guilde commençaient à rapporter. Elle avait rattaché l’administration de la guilde à son harem, et, si les activités principales de la guilde étaient liées à la protection des esclaves, elles se diversifiaient de plus en plus : chasse aux monstres, chasse aux trésors, exploration de vieux donjons, de cryptes, etc… Tout fonctionnait plutôt bien, et Mélinda avait même, sous ses ordres, un démon.

Ils étaient en train de faire l’amour à trois quand on vint les déranger. Couard par nature, Alexis se réveillait quand il s’agissait de sexe, et il s’était fait à l’idée d’être l’esclave de sa Maîtresse. Il lui devait la vie, et, même si les démons n’étaient pas reconnaissants, Alexis savait que, si jamais il venait à retrouver sa liberté, sa charmante sœur s’empresserait de le tuer. De plus, il n’avait aucune raison de quitter ce harem. Il ne se passait pas une journée sans qu’il ne fornique avec des femmes, y compris sa Maîtresse… Comme en ce moment.

Bénéficiant de sa propre chambre, Alexis subissait une visite règlementaire depuis maintenant plus d’une heure. Nue, le corps en sueur, Mélinda dansait sur le corps de l’homme, le griffant légèrement en s’empalant sur sa verge tendue et en érection. Il avait déjà joui de nombreuses fois en elle, l’embrassant, la caressant, malaxant ses fesses. Sa perversion n’avait fait que croître depuis qu’il était ici, depuis qu’il faisait l’amour tous les jours, et que sa vie n’était plus qu’une longue orgie. Il était fréquent qu’il couche avec sa Maîtresse, fréquent que cette dernière sente ses assauts sur son corps. Il était sauvage, violent, prédateur, et ils continuaient à faire l’amour quand on toqua à leur porte.

Mélinda, qui venait encore de jouir, se retourna. La porte s’entrouvrit sur un homme, un guerrier qui appartenait à la guilde de Mélinda, et qui était plutôt séduisant.

« Que veux-tu, Juan ? »

Main contre la ceinture de son pantalon, Juan resta dans l’embrasure de la porte, Mélinda sentant en lui une légère érection.

« Vous avez un invité, Madame. Un démon. »

Un démon qui ne s’était pas annoncé... Mélinda fronça lentement les sourcils, puis se retourna vers Alexis. Son sang ne fit qu’un tour, et elle embrassa son amant sur les lèvres, avant de se relever, mettant ainsi fin à leurs ébats. Tranquillement, elle se rhabilla, remettant sa culotte verte, sa robe, et ses belles sandales dorées à lacets. Elle se retourna ensuite vers Alexis, et caressa sa verge, en lui faisant signe de s’habiller, et de la rejoindre dans un salon. Était-ce Caprice qui revenait la voir ? Mais pour quelle raison ? Mélinda ne pouvait masquer son étonnement, et elle se retrouva dans un salon, s’asseyant sur un fauteuil, croisant les jambes, en attendant que son mystérieux invité vienne pour se présenter, Juan allant le chercher.

Mélinda avait des questions, et avait le sentiment que les réponses ne tarderaient pas à venir.

Après avoir été introduit dans le salon, l’élégant jeune homme s’immobilisa. Son petit sourire, acéré comme une lame, ornait toujours sa froide figure. Ses yeux azurs considérèrent tout d’abord la maîtresse des lieux. Il la jugea belle. Le contraire l’aurait étonné. Les vampires, dans leur très grande majorité, étaient des créatures distinguées. Son regard passa ensuite, non sans curiosité, sur l’homme qui était à ses côtés. De qui s’agissait-il ? Le si fameux démon poltron ? Possible... mais ce n’était là qu’une supposition. Il reporta son attention sur Mélinda et prit la parole.

« Mes respects, Madame Warren. Je vous remercie de bien avoir voulu me recevoir. »

Poli et sûr de lui, il connaissait les bonnes manières. Il respectait l’étiquette. Malgré sa taille ordinaire, il émanait de lui une stature certaine que seuls des êtres surnaturels pouvaient avoir... et qu’Alexis n’avait jamais eu. Tout le contraste entre un démon digne de ce nom et un pleutre impie.

« Je me nomme Krish. Une de mes... amies m’a chargé de vous remettre ceci. »

Il sortit de la poche ventrale de son costume une lettre de velours pourpre qu’il tendit à la vampire. Elle était cachetée par une épingle d’or et ornementée d’un nœud en tissus rouge sang. Jamais Caprice n’avait utilisé pareil pli. En l’ouvrant, un peu de parfum entêtant s’échappa, un parfum de femme. A l’intérieur, il y avait un papier de qualité couvert d’une écriture fine et sophistiquée du plus bel effet.

Ma chère...

Vous ne me connaissez pas mais votre nom est parvenu jusqu’à moi. Il est associé aux événements de Roc Noir, ce qui fait de vous une personne très intéressante. J’organise en mon domaine, d’ici une semaine, une petite fête privée. Des invités de qualité pour des divertissements de qualité. Je serais très heureuse de vous compter parmi nous.

J’ai hâte de faire votre connaissance, et je ne suis pas la seule.
Le porteur de cette lettre se fera une joie de répondre à toutes les questions que vous pourriez vous poser.

Je vous embrasse...

Contesse de Viceambre

Le démon ne tarda pas à arriver. Mélinda sentit la puissance s’échappant de cet être, une sorte de redoutable prestance. Alexis, lui, portait son long manteau blanc, et était debout, à côté de sa Maîtresse. Entre les deux, on sentait clairement une différence de prestance. Alexis avait toujours été un éternel couard, mais Mélinda sentait que le démon en face d’elle ne fuirait pas, qu’il était conforme à l’image qu’on se faisait des démons : un être fier, orgueilleux. Mélinda voyait suffisamment de démons à Ashnard pour savoir que l’honneur était la chose qui leur importait le plus. Le mensonge était une chose particulièrement rare chez les démons. Ils avaient surtout une manière très particulière de dire la vérité, jouant volontiers sur les mots, mais Mélinda avait rarement vu des démons mentir.

Krish la remercia d’avoir accepté de l’avoir bien reçu, et Mélinda se contenta d’un léger sourire poli, ses belles jambes toujours croisées, relevant légèrement sa robe :

« Nous refusons rarement la visite de démons ici. »

Elle ne voulait pas s’attirer de nouveaux problèmes avec les démons. Krish avait une lettre pour elle. L’enveloppe était en rouge, pleine de sensualité... Ce qui était plutôt idiot à dire, mais c’était ce que Mélinda ressentait en le prenant. Une enveloppe sensuelle. Elle sut d’emblée que ce n’était pas Caprice. La fière démone maniait le sexe, mais elle ne voulait pas qu’on la prenne pour une succube, et ne se servait de ses attributs physiques que pour duper ses partenaires. De plus, Caprice n’avait aucune raison de lui écrire. D’une griffe, Mélinda fit sauter le nœud, et, quand l’enveloppe s’ouvrit, elle ressentit une délicate odeur s’en échapper. Elle ignorait qui avait écrit cette lettre, mais c’était manifestement une femme ayant du goût.

La vampire attrapa la lettre à l’intérieur, et la déplia, la lisant rapidement. C’était une femme qui avait écrit, d’une main parfaite et assurée, dessinant bien les boucles des voyelles. Mélinda fronça lentement les sourcils en lisant « Roc Noir », et comprit que, d’une manière ou d’une autre, Alexis était lié à cette histoire. Quelqu’un avait entendu parler du rôle que Mélinda avait joué dans cette histoire, et souhaitait l’inviter à une fête dans son domaine. Tout ça sentait bon le parfait piège, le genre de trucs que Jax War pouvait concevoir, s’il était devenu plus subtil que ce que Mélinda savait de lui. Elle se doutait bien que Jax devait ruminer en silence sa défaite contre Caprice, et qu’il devait voir en Mélinda l’une des raisons de son échec... Ce qui n’était pas faux. Elle avait hébergé Alexis, et avait réussi à convaincre ce dernier d’abandonner tous ses droits en faveur de Caprice. Sans elle, le conflit entre Jax et Caprice aurait continué à durer, et Jax aurait tout à fait pu l’emporter.

La Comtesse de Viceambre... Sa fête aurait sûrement lieu chez elle, soit en Enfer. Or, l’Enfer n’était pas vraiment une destination touristique de premier choix. Mélinda se mordilla les lèvres, pensive, puis tendit la lettre vers Alexis.

« Lis, Alexis. »

Alexis était peut-être un lâche, mais il connaissait mieux l’Enfer que Mélinda. Mis à part le nom de certains Princes infernaux, les connaissances de la vampire sur cet endroit étaient limitées. Elle savait que, quand on mourrait, on avait des chances d’y finir, mais, mis à part ça, elle ne savait foncièrement rien de plus.

« Je vous remercie de m’avoir envoyé cette invitation, Krish, glissa alors Mélinda à son intention. Et j’ai effectivement plusieurs questions... À commencer par l’identité de cette dame. Sauf erreur de ma part, et j’ai pourtant une bonne mémoire, je n’ai jamais rencontré cette femme.  Pouvez-vous me la présenter ? »

« Mais très certainement. La Comtesse de Viceambre est une succube plutôt influente. Outre ses charmes propres à sa nature, elle est connue pour son goût prononcé envers l’art. L’art sous toutes ses formes. Elle en fait la promotion, la collection aussi. Elle-même est une artiste. C’est également une habile politicienne. Comme nous tous, elle joue au jeu du pouvoir. Si elle vous invite, c’est qu’elle a un intérêt à le faire, mais je suppose que cela ne va pas vous étonner. Attendez-vous à ce qu’elle finisse par parler affaires, et voyez cela comme une opportunité à saisir. Sachez aussi qu’elle n’a qu’une parole. Pour nous autres, démons, la notion de contrat est importante, mais la Comtesse met un point d’honneur à demeurer claire dans la formulation des closes. Ce n’est pas sans déranger certaines personnes qui considèrent que jouer sur les mots est une coutume, et que les coutumes ont force de loi. Enfin, je m’égare dans des détails. »

Krish se donna quelques secondes de réflexion. Il en profita pour observer l’homme au manteau blanc.

« Quoi qu’il en soit, la Comtesse est quelqu’un d’à part... quelqu’un d’exception j’ose affirmer. On l’aime ou on la déteste, mais elle ne laisse pas indifférent. Et quand elle prépare une fête, c’est pour marquer les esprits. »

Alexis pouvait confirmer les dires de l’androgyne. Le peu qu’il savait de Viceambre correspondait aux présents propos. Mascotte poursuivit, égal à lui-même :

« Peut-être est-il judicieux que j’aborde tout de suite les modalités à prendre en compte. Prévoyez la plus belle de vos tenues, le faste est de rigueur. Il vous faut aussi une escorte. Le domaine est sûr mais l’Enfer reste l’Enfer. Des serviteurs peuvent également venir. Enfin... si possible, faites-vous accompagné du démon poltron. Là-encore je ne vais pas vous surprendre en vous annonçant que vous êtes connue chez nous à cause de lui. L’exhiber vous assurera d’office un certain succès. »

Alexis confirma silencieusement les dires de ce messager, Krish. Une Comtesse succube voluptueuse aimant impressionner la galerie, et qui avait visiblement envie d’avoir, parmi sa petite cour d’amies intimes, une vampire ashnardienne. Mélinda était flattée. Cette comtesse avait l’air d’être un véritable animal politique, avide d’avoir des influences, avide de renouer des relations entre l’Enfer et l’Empire d’Ashnard. Malgré la présence de démons dans les deux camps, l’Empire était clairement séparé des Enfers, et était considéré, par l’Ordre Immaculé, comme une « terre civilisée en devenir », soit une manière polie de dire que, si l’Ordre pouvait influer à Ashnard, il y avait encore du boulot à faire. Mélinda savait que bien des Infernaux s’intéressaient à ce qui se passait à Terra, à la guerre entre Ashnard et Nexus, mais surtout à la menace formienne. Plus pragmatiques que ses congénères ashnardiens, ce qui était probablement un avantage lié au fait d’être un observateur extérieur, ils savaient que les Formiens étaient en train de ravager les Plans Intermédiaires, et que, tôt ou tard, ils envahiraient les Enfers. Mélinda n’était pas au courant des relations entre Anges et Démons, mais elle se demandait si cette menace ne forcerait pas les deux espèces à s’allier ensemble, afin de former un front commun capable de repousser les Formiens. Concrètement, Mélinda réfléchissait à ce qui pouvait pousser cette comtesse de Viceambre à l’inviter.

*Avec un nom pareil, ça me semble évident, et je me pose pourtant des questions...*

La réputation de son harem était-elle si forte qu’elle allait jusqu’à rejaillir dans les Cercles Infernaux ? Il semblait plus logique de penser que tout ceci soit lié à Alexis, et à Roc Noir. Mélinda ignorait que Caprice était une mauvaise baronne, mais elle savait que l’Enfer suivait une hiérarchie très précise, avec, au sommet de la massive pyramide, les Princes Infernaux. Les barons, les comtes, les ducs, et tout autre titre de noblesse superfétatoire, leur étaient soumis, chacun rendant l’autorité en leur nom, dirigeant leurs Légions. Mélinda savait que la baronnie de Roc Noir était remontée jusqu’aux oreilles de leur Prince, et que son nom avait été susurré par les Princes Infernaux... Une publicité dont Mélinda, en réalité, se serait bien passée... Du moins, elle ne se voyait pas contre l’idée d’offrir ses cuisses à Lucifer, mais elle n’avait pas spécialement envie que les Princes puissent croire qu’elle cherchait, d’une manière ou d’une autre, à se mêler dans les conflits de successions entre démons.

Krish lui expliqua doute, sans surprise, que la popularité de Mélinda était liée à Alexis. Elle tourna sa tête vers le « démon poltron », qui restait silencieux. Mélinda sentait tout de même son sang onduler dans sa poitrine. Comme bien des démons, Alexis n’aimait pas l’Enfer, mais, chez lui, il s’agissait plus d’une sorte de peur, voire de terreur. Elle savait qu’il serait contre l’idée d’aller chez cette femme, mais c’était à la Maîtresse d’avoir le dernier mot.

« Pour ce qui est de la tenue, j’apporterais ma robe. »

Sa robe était effectivement très sophistiquée. Elle l’avait acheté chez un artisan, et c’était une commande personnelle, qui avait demandé quantité de tissus, et tout le savoir-faire de l’Ashnardien, afin de correspondre à la volonté de Mélinda. Elle voulait une robe qui soit paradoxale, une robe qui couvrait tout son corps, tout en le découvrant, une robe qui soit à la fois sensuelle et érotique, une robe qui soit à la fois facile à retirer et impossible à enlever. Il en avait résulté une longue robe dorée ouverte à hauteur des jambes, avec un décolleté plongeant, et qui n’était retenu que par le lacet noir à hauteur de ses seins. Si on le retirait, la robe tombait, s’ouvrant en deux comme les pétales d’une fleur. Mélinda la portait fréquemment, et la lavait très souvent.

Il restait encore le cas d’Alexis. Mélinda tourna sa tête vers ce dernier, pensive.

« Alexis m’accompagnera. J’amènerais également des gardes du corps, ainsi que quelques-unes de mes servantes, des femmes qui, j’en suis sûre, sauront ravir votre Comtesse. Et, puisque vous l’avez indiqué, je ne serais pas contre l’idée d’un contra,ttou d’un acte quelconque, signée de la main même de votre Comtesse, qui garantit ma sécurité en ces terres. Pardonnez mes hantises, mais, après les attaques de Jax War à mon encontre, je tiens à prendre mes précautions. »

Comme il l’avait dit, un démon devait suivre sa parole. Avec un papier le certifiant, Mélinda était sûre que la Comtesse de Viceambre ne chercherait pas à la piéger. Cette dernière pourrait éventuellement s’offusquer de ce manque de confiance, mais, après tout, ce n’était pas en Enfer que la confiance régnait en maître. N’importe qui de censé pouvait comprendre que Mélinda voulait se protéger, et avoir quelques garanties.

« En revanche, j’aimerais savoir quel est le but de cette réception, et pourquoi la Comtesse désire ma présence... Qui y sera, notamment. Les raisons de cette fête, telles qu’elles sont exposées dans cette lettre, sont plus que sibyllines. Si vous pouviez m’en dire un peu plus, je vous serais reconnaissante... Combien d’invités la Comtesse souhaite-elle inviter pour cette petite fête ‘‘privée’’ ? »

Chaque personne avait sa propre définition de ce qu’était une « fête privée ».

Et, concernant une Comtesse infernale ayant un goût prononcé pour le luxe et le faste, Mélinda s’attendait à ce que cette fête privée soit tout, sauf intimiste.

Mascotte avait de quoi être satisfait. Il avait été prévenu que l’invitation était susceptible d’éveiller de la méfiance mais, apparemment, la vampire ne faisait pas trop de difficulté. Certes, elle réclamait des garanties et pausait des questions, mais c’était là une nécessité indispensable. On ne se rendait pas en Enfer comme ça, sans précautions, à moins d’être un complet abruti.

« Je ferai part de votre requête à la comtesse. Elle devrait y accéder sans difficulté. Quant à la raison de la fête... »

Le sourire du démon s’élargit imperceptiblement. Un éclair de malice passa dans son regard alors qu’il détaillait la maîtresse des lieux et l’homme à ses côtés.

« ...faire connaissance, s’amuser et plus si affinité. Ce genre d’événements est toujours une opportunité à tout un tas de choses diverses et variées, mais jamais clairement définies. Il y a ceux qui savent en profiter, discuter avec les bonnes personnes, montrer d’eux ce qui les arrange, joindre en somme l’utile à l’agréable. Et puis il y a ceux qui se contente de vider un verre de vin et qui ne réalise même pas tout ce qu’ils ont ratés. Vous concernant, c’est à peine différent. Vous partez avec un avantage, celui d’être impliquée dans l’affaire de Roc Noir et de posséder le démon poltron. A vous d’en tirer profit. Vous semblez être une personne entreprenante, vous savez où sont vos intérêts... je suis à peu près certain que vous apprécierez la fête. »

Krish, encore une fois, disait vrai et Alexis pouvait le confirmer. En plein divertissement, on préparait des guerres, des alliances, des trahisons, et toutes sortes d’autres affaires. Ces fêtes réunissaient des gens d’importance et leur permettaient d’échanger à loisir. On y était observé, jaugé... derrière les jeux et les rires, rien n’était innocent et surtout pas chez la comtesse de Viceambre.

« Je ne connais pas la liste complète des invités, mais il y aura peu de monde. Quelques dizaines de personnes, tout au plus. Ho, bien sûr, si l’on compte les serviteurs de chacun, on passe à plusieurs centaines, mais c’est vraiment modeste comme réception. La comtesse est très sélective. Je serais présent. Je suis l’un des artistes qui bénéficie de son soutien. Il devrait aussi y avoir le Baron de Mortelame. Le domaine de Viceambre est sur ses terres, il ne peut qu’être invité. Hum... il devrait aussi y avoir Yandal, un démon fougueux qui se plie en quatre pour obtenir la main de la comtesse. Il ne me semble pas que Caprice, baronne de Roc Noir, fasse partie des invités. En tout cas, je n’ai rien entendu à ce sujet. Elle n’a plus tellement le vent en poupe en ce moment. »

Du cul, du vin, et des magouilles politiques... À peu de choses près, la fête « intimiste » de Viceambre ressemblait à s’y méprendre à une soirée ashnardienne. Selon les fêtes où on se rendait, soit on s’emmerdait en parlant, soit tout terminait dans une orgie de sexe avec des esclaves et des aphrodisiaques bien arrosés. Krish resta assez mystérieux, malgré le fait qu’il parlait beaucoup. Mélinda comprit que cette comtesse voulait probablement avoir des liens avec Ashnard, en revenant à ses premières hypothèses. Tout ceci avait de quoi l’inquiéter. Qu’est-ce que les Infernaux voulaient bien aux Ashnardiens ? L’Empire avait coupé les ponts il y a des siècles, et l’Empereur d’Ashnard ne répondait pas de la volonté des Princes Infernaux. Était-ce juste la curiosité d’une démone ? Mélinda n’y croyait pas. Les démons ne faisaient jamais rien qui ne soit pas dans leur intérêt. C’était une autre grande règle à obtenir d’eux, et qui découlait logiquement de la précédente. Étant fiers et orgueilleux, ils voyaient toute forme de générosité comme de la pitié et de l’insolence.

Krish lui expliqua qu’il y aurait le baron de Mortelame, un nom qui ne lui disait rien, et Yandal, un individu qui cherchait à séduire la Comtesse. Caprice, en revanche, ne serait pas invitée. Mélinda apprit ainsi qu’elle avait sans doute bien fait de ne pas trop s’allier avec elle, car sa gestion de Roc Noir semblait laisser à désirer. Un sourire amusé éclaira les lèvres de la vampire, qui tourna sa tête vers Alexis, qui était toujours bien sagement dans son dos.

« Tu entends ça, Alexis ? Ta charmante sœur est en train de devenir persona no grata... Peut-être bien qu’il aurait fallu que tu hérites de Roc Noir... Si tu avais autant de courage que de vigueur quand tu es au lit avec une femme, nul doute que tu en aurais été capable. »

Elle ne plaisantait qu’à moitié. Alexis avait beaucoup de qualités pour régner. Outre sa beauté, il était aussi fort... Mais désespérément lâche. Il lui aurait juste fallu d’un peu plus de courage. Mélinda, en soi, ne s’en plaignait pas, car c’était grâce à la lâcheté de cet homme qu’elle avait pu se faire connaître des démons... Qui sait, si elle arrivait à se rapprocher de cette Viceambre, ceci ne pourrait que renforcer sa position au sein de l’Empire. Mélinda Warren, ambassadrice ashnardienne en Enfer... Elle en aurait presque rigolé devant l’absurdité de la chose.

Au lieu de ça, son regard se posa à nouveau sur Krish.

« Bien... Je pense que vous ne m’en direz pas plus. »

Décroisant les jambes, Mélinda se releva, et s’avançant lentement vers le démon, d’une démarche sensuelle et provocante. Elle roulait légèrement des hanches, se rapprochant de son invité, et posa une main sur son torse. Elle était plus petite que lui, ce qui n’était évidemment pas pour la déranger, et sa main serra ses vêtements.

« Maintenant... Que diriez-vous que j’honore mes devoirs d’hôte à votre égard ? »

Elle avait prononcé la fin de cette phrase en faisant claquer sa langue contre son palais, et en adoptant un ton très sensuel. Elle le chauffait à blanc.

Il n’y avait plus qu’à voir s’il mordrait à l’hameçon ou non.

Ainsi, l’homme au manteau blanc était belle et bien le démon poltron. Krish, cette fois, le scruta sans aucune retenue. A vrai dire, il avait toujours douté de son existence. Certes, il y avait des couards chez les infernaux, mais parmi les inférieurs. Les nobles étaient toujours des monstres d’orgueil et de vanité, selon lui. Etait-il face à l’exception qui confirmait la règle ?

Très vite, il eut un autre sujet de réflexion. Mélinda venait de lui faire une proposition sans équivoque. Il abaissa les yeux sur elle, sans perdre une once de son assurance. Les vampires étaient des créatures très portées sur la luxure, à l’instar des succubes. Mascotte n’était donc pas spécialement étonné... même s’il supposait qu’il y avait derrière cette initiative autre chose que la simple envie de sexe. Il hésita, réellement. Seulement, il ignorait ce qui se cachait derrière ce beau visage vampirique. Les pulsions étaient parfois fatales. Sans repousser Warren, il lui caressa la joue d’une main, avec beaucoup de sensualité.

« Ho, j’ai peur que ce soit un peu... prématuré, répondit-il, d’un ton plus intimiste. Et au lit... je deviens très bestial... un peu trop selon certains. Cela m’ennuierait de manquer d’élégance à votre égard. »

Il retira sa main.

« Mais vous m’avez l’air d’être de taille à affronter cette fête plus que dignement. Je crois que vous et la comtesse, vous vous entendrez bien. Vous et moi... je ne sais pas. Je suis spécial. Et vous, pour moi, vous êtes une énigmatique inconnue. »

Il se recula et, d’un ample geste, quelque peu emprunté au théâtre, il désigna le salon et le couloir, par extension, tout le manoir.

« Vous me faites visiter ? Peut-être que vous pourriez en profiter pour me poser d’autres questions. Et peut-être que j’y répondrais. »

Il y avait beaucoup de malice dans cette réplique. Krish était un démon complexe. C’était pour cela qu’il tirait son épingle du jeu. Il ne fonçait pas tout droit, tête baissée. Non, il observait, il tâtait le terrain avant. Si les histoires disaient vraies, Mélinda avait œuvré à la défaite de Jax, un seigneur de guerre redoutable. Celui qui ne se méfiait pas d’elle était un imbécile.

C’est de manière assez élégante, et presque provocante, qu’il la repoussa. Sa main se posa sur sa joue, caressant tendrement sa peau. La vampire ferma les yeux en sentant cette main, frissonnant aux mots utilisés par Krish... Très bestial. Elle ne put s’empêcher d’exhiber sur ses lèvres un sourire carnassier. Croyait-il donc qu’elle était faite en porcelaine ? Mélinda n’avait rien contre l’idée qu’on lui assaille le corps au lit, et c’était justement pour ça qu’elle venait tenter le démon. Il réussit à la repousser, mais sans que ce refus ne semble définitif. Une lueur espiègle brûlait dans les beaux yeux verdâtres de la femme, et elle hocha la tête, s’écartant légèrement de lui.

« Très bien, Krish... Suivez-moi, que je vous montre tous les secrets de mon antre. »

En lui disant ça, elle avait tourné la tête vers lui, souriant d’un air taquin. Elle s’avança ensuite, sa belle robe moulant ses fesses. Alexis, de son côté, était libre de s’occuper à ce qu’il voulait faire. Il avait passé plusieurs heures à coucher avec Mélinda, et cette dernière comptait le laisser se reposer un peu... Ou s’occuper d’autres femmes. Ce n’était pas les femmes qui manquaient dans cet endroit, et Alexis le savait. Si son statut de démon poltron était ce que les autres démons retenaient avant tout, les humaines avaient tendance à retenir son statut de démon avant tout. Autrement dit, elle ne s’en faisait pas pour lui.

Mélinda, de son côté, marchait à travers les allées du manoir. Ils étaient au-rez-de-chaussée, et les chambres étaient à l’étage. Il y avait ici toutes les pièces de vie : des salons, les cuisines, les bassins, etc... C’était un bel ensemble, et on pouvait entendre, dans certains salons, des bruits de succion et des soupirs. Par les portes entrebâillées, Mélinda pouvait voir des femmes en train de se faire l’amour, des femmes membrées prenant les autres sur des fauteuils, sur des tapis, ou contre les murs. Ne voulant pas les déranger, elle s’écarta rapidement.

« Comme vous le voyez, ce manoir est très rempli, et mes filles savent se débrouiller toutes seules... Elles ont besoin de moi, bien sûr, mais, dans la mesure du possible, elles peuvent faire preuve d’un peu d’autonomie. »

La vampire continuait à marcher, ses sandales heurtant le sol. Ils arrivèrent au hall d’entrée, devant les portes vitrées menant à la terrasse. Le manoir était en forme de U, et, au centre de cette structure, il y avait une piscine agréable. Personne ne se baignait dedans ce soir, et Mélinda se plaça devant l’eau, savourant le contact du vent sur son corps, faisant remuer ses mèches de cheveux.

« Alors, Krish, depuis combien de temps servez-vous Viceambre ? Et... Que pouvez-vous me dire sur Caprice ? À entendre ce que vous avez dit, il semblerait que son statut de baronne lui convienne bien moins que celui de conspiratrice cherchant à prendre le pouvoir... »

Autant se renseigner, afin d’en savoir plus sur lui.

« Et bien, ma foi, vous avez là un joli domaine. Un véritable temple de luxure. Nombre de démons y feraient volontiers un petit séjour, ce qui ne manquerait pas de vous enrichir encore d’avantage. »

Krish avait suivi Mélinda de son pas assuré. Il manifesta de la curiosité pour tout ce qu’il put apercevoir. Toutefois, il demeura très calme, preuve qu’il savait parfaitement se contrôler. Plus d’un de ses semblables, et même plus d’un humain auraient été excité par ce qui se passait ici. Voir, entendre, sentir du sexe incitait au sexe.

« Un lieu de villégiature sur terre, quoi de plus charmant ? Ho bien sûr, les anges pourraient voir cela d’un mauvais œil, mais comme chacun sait, ils traînent souvent dans les églises et autres lieux de cultes. Qu’ils balaient d’abord devant leur porte avant de nous faire des reproches. »

A présent dehors, Mascotte eut droit à une belle vue du manoir et de la piscine qu’il entourait presque. Le soleil était en train de disparaitre derrière l’horizon. Sa lumière rasante illuminait le duo, tout en étirant les ombres. Déjà la couverture nuageuse semblait vouloir se reconstituer, mais pour l’instant, l’astre du jour tenait bon. De cette lutte résultait un splendide clair-obscur. L’eau de la piscine, de surcroit, miroitait, créant de mouvants reflets sur les façades. Spectacle fragile et éphémère. Dans quelques minutes, quelques secondes peut-être, il allait se faner.

« Tout ce que je sais de Caprice, ce sont les ragots qui me l’ont appris. Effectivement, elle semble ne pas savoir gérer ses terres. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une nouvelle rumeur n’arrive à mes oreilles. La dernière en date parle de l’achat d’un énorme miroir, alors qu’elle a déjà dilapidée sa fortune à cause de bien d’autres excentricités. Oubliez-là. Il n’est jamais bon de rester sur un bateau qui coule. »

Krish tourna la tête vers la vampire. Le soleil couchant parvenait presque à donner un brin de chaleur à son visage. Comme l’eau, ses cheveux étincelaient et son regard d’azur ressortait particulièrement. Le fin sourire était toujours en place.

« Concernant Viceambre, cela fait tout au plus quelques mois que je la sers. Avant, j’étais indépendant et même à présent, je le reste plus ou moins. J’ai juste... certaines obligations en échange de substantiels avantages. »

Il se baissa et, d’une main, il toucha l’eau. Elle était plus chaude que l’air ambiant. Le vent était assez vif.

« Il parait que vous avez des responsabilités dans cet autre monde, Terra. Vous y jouez quel rôle ? »

Oublier Caprice... Ce ne serait effectivement pas très difficile. Caprice l’avait déjà oublié, et Mélinda espérait ne plus jamais la revoir. La vampire avait juste demandé ça par curiosité, afin de s’assurer qu’elle ne risquait pas de la revoir chez cette Viceambre. Le risque semblait donc infime, pour son plus grand plaisir.

*Un souci de moins...*

Il fallait bien reconnaître qu’elle était assez nerveuse à l’idée d’aller à cette « fête ». On aurait dit le scénario exact pour un piège grossier. Or, de manière générale, c’était elle qui tendait les pièges. Peut-être qu’elle devenait un peu paranoïaque avec le temps, mais, face aux démons, on ne faisait jamais preuve de trop de prudence. Krish lui indiqua qu’il servait la Comtesse depuis maintenant quelques mois, une goutte d’eau dans la vie d’un démon, mais qu’il ne la servait pas totalement. C’était un indépendant, ce qui amena Mélinda à hocher la tête. La soumission était une chose très difficile à accepter pour les démons, et ils avaient toujours tendance à sous-estimer la leur. Pour autant, l’Enfer était régi par l’idée de hiérarchie.

Krish restait évasif sur ses rapports avec la Comtesse, et Mélinda sentit qu’elle était sur un terrain vaseux. Elle décida de laisser là sa curiosité. Le démon lui en demanda ensuite plus sur ses activités sur Terra. Mélinda s’humecta les lèvres. Le soleil commençait à se coucher, et elle prit le temps d’observer les arbres au fond. C’était toujours une vue agréable, avec ce léger vent frais qui faisait remuer ses cheveux. Les démons ne devaient pas y être habitués, si l’Enfer était comme on le disait.

« Je suis une vampire esclavagiste. Toute ma puissance vient de mon héritage familial : un harem. C’est le seul bien qui reste de ma famille, et, peu à peu, je me construis un clan, à l’aide de mon influence, et de ma fortune. J’ai récemment racheté une guilde ashnardienne, que je suis en train d’exploiter à nouveau. »

Elle aurait pu parler pendant des heures sur ses influences dans les hautes sphères terranes, qu’elles soient magiques ou politiques Elle avait couché à de nombreuses reprises avec Ishtar Naviento, accueillant la verge de l’Infernoise à plusieurs reprises. De même, elle était l’amie intime de la Princesse de Sylvandell... Mais elle ne comptait pas s’étendre là-dessus avec Krish.

« Je ne vous cacherais pas être une femme pleine d’ambition. C’est en partie pour ça que je garde Alexis près de moi. Il a beau être poltron et faible, il est toujours un héritier de Roc Noir... Et c’est aussi pour ça que j’accepte l’invitation de votre Comtesse. Quelque chose me dit qu’il n’y a pas que ma plastique qui l’intéresse... Même si je suis volontiers prête à offrir mon corps pour servir mes intérêts. »

Mélinda parlait sans ombrage du sexe.

Elle ne dirigeait pas un harem pour rien.

Esclavage...harem... ambition... la vampire n’allait pas trop être dépaysée chez l’infernale comtesse. C’était presque une certitude. Krish lui jeta un regard curieux à la mention d’Alexis.

« Ce pourrait-il que vous ayez des vues sur Roc Noir ? »

Il eut un petit rire amusé.

« La liste se rallonge de jour en jour. Jax est peut-être mort. Caprice est une incapable. Alexis est un poltron. Beaucoup y voit la fin de la lignée du Baron Sanglant. Alors beaucoup sont prêt à prendre la place. Si j’étais vous, je me tiendrais à distance de la baronnie. Alexis ne peut pas gouverner et les nobles démons ne vous laisseront pas en faire un homme de paille. Car seuls les démons ont le droit de Reigner en enfer et, de préférence, seuls ceux qui ont le sang bleus. J’en sais quelque chose. »

Mascotte se détourna. D’un pas nonchalant, il commença à contourner la piscine. Déjà la lumière se ternissait. Bientôt, l’obscurité allait s’imposer.

« Je viens de la fange, voyez-vous. Une vulgaire âme d’année. Je ne sais plus quel péché j’ai commis en tant que mortel, personne ne se souviens de ses vies antérieurs... Toujours est-il qu’à partir de rien, j’ai su m’élever. Déjà trop haut d’après certains. Imaginez, un roturier qui commence à avoir un domaine, quelle horreur ! Ho, il est tout petit, perdu dans les limbes, mais il existe et c’est le principal. »

Il s’immobilisa et fit face à Mélinda. En serrant le poing, il ajouta.

« Ça m’amuse beaucoup de les voir grogner. Les gens comme moi... ou comme vous... ou comme Viceambre, ça leur fait peur. Parce qu’on transgresse les règles, les coutumes. Les démons de l’Enfer sont tellement conservateurs... Est-ce pareil pour ceux de Terra ? »

Il desserra le poing et ajouta :

« Concernant Viceambre, je ne peux pas vous dire ce qu’elle veux exactement. C’est une ambitieuse et elle garde ses plans pour elle. »

Si elle avait des vues sur Roc Noir ? Ciel ! Même Mélinda n’était pas assez folle pour se lancer là-dedans. Sa précédente aventure avec Caprice et Jax War avait été amplement suffisante comme ça. Jadis, sa famille avait dominé de grandes propriétés terriennes, et d’immenses châteaux... Mais Mélinda ne voulait pas brûler les étapes. Elle mentirait en disant que diriger une baronnie infernale ne la tenterait pas, bien sûr. Elle était juste réaliste. Elle n’était que la simple tenancière d’un harem de luxe, et même sa plastique était insuffisante pour lui permettre, à elle seule, de concurrencer des adversaires comme Jax War. Alexis n’aurait jamais le cran de se dresser face à lui, mais, qui sait... Si, un jour, il finirait par s’affaiblir, par disparaître, alors Alexis ne devrait plus affronter que Caprice. Autant dire que, si l’influence de cette dernière continuait à se réduire, il y avait toujours une piste... Concrètement, Mélinda ne savait pas trop pourquoi elle conservait Alexis avec elle. Outre ses performances sexuelles, il y avait aussi autre chose en lui qui faisait qu’elle le conservait... Une sorte d’intuition.

Krish lui expliqua que les démons fonctionnaient selon le principe de la noblesse, ce qui la surprit un peu. Elle avait plutôt tendance à croire que, en Enfer, c’était le plus puissant qui prenait le tout. Néanmoins, elle conserva ses réflexions pour elle. Bras croisés, elle écoutait le démon parler, avant de lui dire que Viceambre était une femme ambitieuse, et qu’il ignorait tout de ses intentions.

« Mélinda Warren, baronne infernale... Ça sonne bien. Mais je ne suis pas idiote. Je pense qu’en Enfer, c’est le plus fort qui gagne. Malheureusement, je ne suis qu’une vampire, et ma plastique me permettrait tout juste de devenir la concubine d’un baron, guère de pouvoir prétendre à commander des Légions. »

Lucifer n’avait pas eu besoin d’être un démon pour devenir l’un des Princes Infernaux. Tout ce dont il avait eu besoin, ça avait été de montrer sa force, et de tuer ceux qui entendaient contester son autorité et son pouvoir. L’Enfer fonctionnait comme ça. C’était bien pour ça qu’elle ne voulait pas y aller.

« Le fonctionnement de Terra varie selon là où vous vous trouvez... Mais, dans l’ensemble, c’est la même règle qu’en Enfer : celle du plus fort. Chaque État prétend naturellement être le plus fort. »

Mélinda n’avait pas spécialement envie de s’étendre sur le sujet. Nexus, Tekhos, Ashnard, les Formiens, l’Ordre Immaculé... Si elle devait tout lui dire, elle en aurait pour des heures.

« Il y a un point sur lequel nous nous ressemblons, dit-elle. Je suis née à partir de rien, moi aussi... Une vulgaire esclave à qui on a confié un harem, dans l’espoir qu’elle se plante. Diable, je ne voulais même pas être esclavagiste, à l’époque... Et maintenant, mon harem est l’un des plus en vue de la capitale impériale. Des diplomates des quatre coins de l’Empire y viennent pour se soulager avec mes filles, et on verse des montagnes de pièces d’or pour avoir la chance de me défoncer le cul. »

Elle parlait de sexe sans ombrage, et son visage se fendit d’un sourire pervers à cette évocation.

« J’espère que mon corps ne laissera pas votre comtesse indifférente... C’est ma meilleure arme, après tout, dans ce monde. »

« Votre meilleure arme ? »

Krish afficha une certaine perplexité. A nouveau, il détailla la vampire avant de lui livrer un sourire flatteur.

« Peut-être. Je ne serais dire. Mais avoir une arme est une chose, savoir s’en servir en est une autre. J’ai vu des femmes plus belles que vous n’arriver à rien. Leur beauté s’était retournée contre elle, les précipitant dans les bras de la servitude. Vous, vous dominez. L’esprit l’emporte sur le corps, enfin, généralement. »

Mascotte ressentait une véritable aversion pour les démons qui ne l’emportaient que par la puissance. Pas de subtilité, pas de ruse, juste de gros muscles et des pouvoirs déments hérités, souvent, par la naissance. C’était ainsi qu’en enfer persistaient des lignées se disant nobles. C’était ainsi que la noblesse en enfer n’était qu’un reflet de la puissance. Que d’hypocrisie pour maquiller le chaos ambiant car au final pouvait se prétendre noble quiconque avait assez de force pour renverser un autre noble.

« En tout cas, oui, sans doute se ressemble-t-on un peu. Parti de rien, nous arrivons à quelque chose. Cette fête pourrait bien être pour vous un tremplin dans votre carrière. »

Ou un gouffre, cela allait sans dire. Krish jeta un coup d’œil à la piscine. Il hésitait entre rester, faire plus ample connaissance, ou se retirer. Etait-il lui-même prêt à miser sur Warren afin d’œuvrer à son propre avancement ? Il devint très concret :

« Je me présenterai de nouveau chez vous, le jour fixé, afin de vous conduire chez la comtesse. J’aurai sur moi le contrat que vous désirez. Est-ce que tout vous semble clair où il demeure quelques points que vous aimeriez aborder ? »

Le crépuscule était proche, bientôt la nuit. La lumière déclinait. Le vent allait croissant. La nuit serait orageuse ou, en tout cas, le laissait croire.