« Ma foi, faudra que je vois ça » bougonna le vieil homme. « Si Peggy est d'accord. »
Il les mena vers l'ascenseur, et appuya sur le quatrième bouton de la rangée gauche. Les portes se refermèrent, la cage monta, puis les portes s'ouvrirent de nouveau. En sortant de l'ascenseur, ils croisèrent la requine.
« Il voudrait un sac en plastique.
– Pourquoi mon rat ? Pour vomir ?
– Pour pas que son moignon prenne l'eau.
– Dans la réserve, il doit y avoir ça.
– Tu m'attends pour faire sortir Carlos ?
– Ouais, mais putain dépêche toi. Je sais pas pourquoi ils nous l'ont filé, j'ai à peine le matos pour le maîtriser.
– Pas d’inquiétude mademoiselle, tant que je suis là, il ne vous arrivera rien.
– Ta gueule Poissard, et grouille. »
Il y avait un couloir carrelé, le carrelage bleu terne et les joints noirs d'une persistante mais fine couche de crasse, essentiellement de la moisissure. Les murs étaient parés de la même manière, en un peu moins sales. Le plafond, lui, était en béton gris, parsemé de tubes au néons emprisonnés dans du plastique qui donnaient une lumière blanche assez vive. L'humidité était perceptible plus encore qu'ailleurs dans le complexe, et surtout l'on entendait l'eau couler un peu plus loin.
Le couloir était assez large. Non-loin de la sortie de l'ascenseur, il y avait une première porte en bois, dont la peinture n'avait pas du tout supporté l'humidité, mais néanmoins close. En face, une seconde porte semblable, que le surveillant ouvrit (elle n'était pas verrouillée), alluma un interrupteur, et s'engouffra dans la pièce qui paraissait petite. Quelques secondes plus tard, le fracas de plusieurs objets tombants sur le sol retentit.
« Ah, merci mon Dieu » gémit le gardien en frottant son crâne presque chauve, ressortant et refermant la porte. « Tiens, ça devrait faire l'affaire. »
Il jeta un grand sac poubelle vert à Ernest. Celui-ci était beaucoup trop grand (il aurait pu y entrer totalement, peut-être) mais il disposait d'une ficelle en plastique intégrée qui se serrait pour le refermer.
« C'est par là. Amusez-vous bien » fit la requine.
Elle pointa du doigt le bout du couloir avant de partir. Celui-ci tournait, et après une ouverture qui menait à des toilettes – même type, à la turque – que dans les cellules, aboutissait sur une salle presque spacieuse d'une vingtaine de mètres carrés. Le sol était toujours carrelé, couvert d'une pellicule d'eau, les joins beaucoup plus atteint par les champignons noirs encore. Tout autour, sur les murs, des pommeaux de douches incrustés dans les murs étaient reliés chacun à un unique bouton pressoir. Le centre de la pièce, lui, n'était pas aspergeable, mais le relief était tel que toute l'eau coulait jusqu'à une bouche d'évacuation de quelques centimètres, dans laquelle était bloquée des pelotes de cheveux.
Sur le sol, avant que le sol ne devienne réellement humide, des habits semblables à ceux des deux compagnons, mais de différentes tailles, reposaient par terre.
« Eh, salut Eve !
– Salut, Matt'. »
Un adolescent s'était précipité vers la jeune femme, encore trempé. Il devait être un peu plus âgé qu'elle, peut-être de deux ou trois ans. Il était nu, très blanc, et parfaitement imberbe. Sa chevelure blonde mi-longue lui donnait un air un peu précieux, mais son visage était plutôt sympathique et agréable. Ses yeux verts jetèrent un regard curieux à l'hybride.
« T'as un nouveau pote ?
– Il s'appelle Ernest. Ernest, Matt'.
– Salut, Ernest. »
Il lui tendit la main ; mais si le mutant acceptait la poignée de main, il se déroberait au dernier moment, avec un sourire goguenard et puéril mais pas vraiment méchant.
« Au moins, on se demande pas si t'es mutant, toi. »
Derrière lui, il y avait plusieurs autres personnes. Leur tournant le dos, une jeune femme au corps sculptural, longue chevelure noire, brune de peau – métis ou latine – se lavait apparemment seule. Non-loin, également de dos, un homme pas très âgé, mais assez velu, et complètement courbé et bossu, faisait de même.
Un groupe de deux jeunes hommes discutaient (c'est de ce groupe qu'était venu Matt), leurs paroles couvertes par le bruit de l'eau, l'un possédant un tatouage représentant un tigre ailé au niveau de l’omoplate.
Une autre jeune femme était assise, la tête entre les jambes, dans un coin : sa peau semblait avoir subi à peu près le même traitement que celle d'Eve, mais ses cheveux étaient rasés. Un trentenaire avec une barbe noire qui le vieillissait semblait un peu absent sous sa douche. Il était petit mais massif, et avait également de nombreux tatouages, dont six étoiles sur la poitrine.