C’est incroyable le mépris avec lequel cette nana écrase les autres, songe Stephen. Envers le serveur, passe encore, car elle doit le considérer au rang des domestiques. Envers lui-même, passe encore, car elle n’y voit qu’un moins que rien par rapport à sa condition, à elle. Mais les autres ? Elle en fait une généralité ! La lycéenne lookée Barbie, qu’elle lui montre, le vagabond s’en ferait bien une nuitée, encore plus parce qu’elle serait même bi. Quand à l’autre puceau qu’elle lui montre, inutile de s’attarder sur lui, mais, au moins, ça prouve qu’elle n’est pas fan de char fraîche, mais plutôt de maturité. Ce genre de nana, faut pas lui en promettre seulement, ni être plus rapide qu’un lapin.
Autant d’arguments pour Stephen, que le challenge n’effraie pas. Et après ? Si elle est encore plus exigeante qu’il ne pense, ça ne changera pas grand-chose. Il ne reviendra plus ici, et elle finira par oublier son visage, quoi qu’elle dise. Pourtant, elle a raison de dire ne l’avoir jamais vu en ce lieu, mais il veut faire taire son arrogance, lui faire perdre l’illusion que tous se pâment à ses pieds, que tous veulent lui payer un verre ou danser avec elle, voire bien plus.
« Peut-être parce que nous nous sommes déjà croisés, mais dans un lieu sombre, et que nous n’avons pas eu besoin de parler… »
Nouvelle provocation certes mais, s’il l’avait déjà croisée dans de telles circonstances, ça n’aurait pu être que torride, et il en aurait au moins quelque souvenir. Non, celle-là, elle n’est pas de celles qu’il a déjà sautées à Seikusu. Ni ailleurs, d’ailleurs ! Une femme fatale comme ça, on ne l’oublie jamais, on en veut toujours. C’est un appel au viol, mais attention ! Entre la mante qui l’épuisera avant de le jeter, et la mijaurée qui se la pète avant de crier au secours, il y a toute une gamme.
Celle-ci semble décidée à aller au bout, mais…
« (…) de la chair fraîche. Et ça m’intéresse… »
Mais elle ne le voit que comme un trophée de plus, à ajouter à sa collection ! Combien de clients ici présents s’est-elle déjà tapés, avant de les jeter ? Tiens, l’autre mec qui s’enfile ses trois whiskys avant d’aller danser, elle a dû lui en promettre tant, avant de le jeter sitôt après une petite pipe à la va-vite dans les toilettes. Et, depuis ça, il boit pour se donner du courage !
« De la chair fraîche ? Je n’avais pas le sentiment d’être un morceau de barbaque, même si certaines m’ont déjà goûté jusqu’au plus profond de leur gorge. »
Si elle attend qu’il se prosterne à ses pieds en la suppliant de lui accorder ses faveurs, elle se fourre le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate, et même plus bas encore… Tiens, par exemple jusqu’à ses seins, divinement moulés par cette robe qui est comme une seconde peau. Stephen se dit que, nue, elle doit être encore plus canon que moulée comme ça.
Ce n’est pas une raison pour être si nombriliste et, devant son insistance à se surévaluer par rapport aux autres, le vagabond ajoute, sans baisser son regard : « Parfois, je vais plus loin avec une petite conne qui tient ses promesses, elle, et ne se contente pas de suggestion. ». Là, il sait qu’il a franchi un pas, et que n’est plus une simple provocation.
Oui, il a envie d’elle, elle est divinement roulée et il aimerait sa la faire même une seule nuit. Mais pas à n’importe quel prix ! Pas à s’abaisser, pas à se soumettre. Il ne sait si le terme de peste ou le terme de garce est le mieux approprié, mais elle pourrait aisément concourir pour les deux. Et il ne va pas entrer dans son jeu !
Enfin, si possible. Lui payer un autre verre serait peut-être un moyen de calmer cette tension qu’elle s’évertue à mettre ? Il sait qu’il n’a pas une fortune en poche, et que ce sera d’autant moins à utiliser par la suite. Et, vu ce qu’elle semble avoir déjà bu, ça ne lui suffira pas, si tant est qu’elle puisse apprécier un verre de plus. Pourtant, elle ne titube pas, elle a une sacrée descente. Si elle est aussi endurante dans tous les domaines, la nuit pourrait être aussi chaude qu’épuisante !
Et, vu comme elle se rapproche, c’est qu’elle a l’idée en tête. En fait d’aller plus loin, c’est d’abord son idée à elle. La culbuter vite fait dans les toilettes, ce serait du gâchis. Il faut faire durer, faire monter la pression, faire continuer le jeu, l’obliger à découvrir ses intentions. Elle est trop sure d’elle, et Stephen n’a pas envie de plier, du moins pas tout de suite. Car, le désir, il l’a, et il vaut mieux qu’il ne décroise pas les jambes.
« Voulez-vous un autre verre ? » se contente-t-il de demander le plus sereinement possible. Mais elle est trop proche ! D’une main, il pourrait la saisir, la caresser. Quant à leurs regards, proches et se toisant, ils sont les témoins de la lutte qu’ils se livrent, à moins que ce ne soit celle que livre Stephen en lui-même, entre prudence et désir.