Rencontrons du monde (Double Lune)

La vie reprenait enfin son cours... Nouvelle ville, nouveau lycée et nouvelles connaissances. J'avais déjà presque oublié ce qui m'avait amené ici. Je ne pris même pas la peine de ranger mes affaires une fois installé dans ma chambre, balançant mon sac sur le lit. Cette chambre pouvait visiblement accueillir deux personnes mais je n'avais pas encore de colocataires. Mais bref, hors de question de rester enfermé, le soleil brillait dans le ciel et il faisait plutôt bon. Un marcel, un short, des baskets et sans plus attendre je me rendis à l'extérieur du lycée faire un petit tour. Sur le trajet, je croisais pas mal de monde, des jolies filles à qui je n'hésitais pas à adresser un sourire charmeur.

Plusieurs indications m'amenèrent à rejoindre le gymnase en plein air. Il n'y avait pas vraiment cours, les étudiants semblaient se détendre. Certains faisaient des tours de terrains et à coté, un groupe semblait disputer un match de foot. A coté, les autres étudiant(e)s se doraient la pilule sur le gazon, profitant du beau temps.
Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, j'attrapais une cigarette et m'installais non loin des sportifs. Oui, c'est certain, je ne devais pas être très crédible pour quelqu'un qui voulait se dépenser un peu...

Savourant ma clope, la balle arriva par inadvertance à mes pieds. Je la renvoyais aussi tôt d'un coup de pied avec un petit sourire, puis m'adressant à l'assemblée :

"Besoin de renforts ? Vous le regretterez pas !"

Les joueurs acquiescèrent, me proposant de remplacer l'un d'entre eux après leur pause. Je pris tout de même le temps de terminer ma cigarette, debout sur le gazon, sans me rendre compte que je faisais de l'ombre à une jeune demoiselle qui était installée depuis un petit moment...

Il faisait beau. Le Soleil brillait tellement que je ne pouvais pas regarder dehors sans m’éclater les yeux. Alors j’étais sortie. Oui, moi. Andizia, celle qui n’était même pas censée exister aux yeux de la loi terrienne. J’étais sortie du corps de Terka, et puis j’étais sortie de la maison, me dirigeant machinalement vers le lycée. Mauvaise idée, me direz-vous. Je m’en moquais. J’avais envie de bouger.

Au lycée, il y avait un match de foot. Il ne me fallut pas longtemps pour me faire enrôler, une rapide démonstration de mes talents suffit amplement. J’étais douée en foot. Très douée. Après une dizaine de minutes à courir sur le terrain, je m’accordai une pause, m’installant dans l’herbe. Le point positif, c’est que personne dans les environs ne connaissait Terka, puisqu’elle était assez discrète pour ne presque pas se faire remarquer des autres. Le point négatif, c’était ce type qui venait de se mettre à côté de moi, me cachant le Soleil. Bon, c’était pas plus mal, mais quand même, il aurait pu faire attention…

"Eh, Andizia ! Si tu revenais sur le terrain, toi aussi ?"
"Mh ? Ouaip, j’arrive !"

Je bondis sur mes pieds et tapai dans la main du gars que je remplaçais. L’autre, le fumeur qui m’avait fait de l’ombre, était lui aussi invité à rejoindre le match, dans l’équipe adverse. Il avait intérêt à être bon, parce que je n’allais pas le laisser toucher le ballon. J'allais marquer un but avant même qu'il ait le temps de me voir, comme tous les autres d'ailleurs.

En m'invitant à les rejoindre, le gars s'était également adressé à une personne derrière moi. Une fille. A ce niveau là, je n'étais absolument pas macho et au contraire, j'aimais bien faire un peu de sport avec les filles, ça permettait parfois un peu de contact... J'écrasais ma cigarette et me lançais au pas de course en direction du terrain, me trouvant visiblement de le camp adverse de la fille. Je lui adressai un petit sourire, me plaçant en milieu de terrain. Le coup d'envoi n'était pas encore donné, mais je ne pus m'empêcher de m'adresser à celle qui semblait s'appeler Andizia.

"Vas-y mollo sur le terrain, ne viens pas me péter une dent ! Tu as pas l'air d'une enfant de coeur."

Un petit clin d'oeil, avant que le coup de sifflet retentisse. L'engagement était pour nous et déjà les passes fusèrent. J'eus la balle un court instant, mais ne jugeant pas utile de prendre des risques, je rendis la balle à un coéquipier. Le ballon faisait des va et vient sur le terrain.
Andizia eut plusieurs fois le ballon, et sa dextérité était plutôt impressionnante. Une passe effectuée de sa part, amena presque un but à leur camp, mais la balle fut rattrapée par le gardien. Dégagement effectué, je récupérai le ballon et j'étais cette fois-ci prêt à faire une démonstration. Je n'étais pas un professionnel, mais j'étais plutôt doué pour dérouter mes adversaires. Au pas de course et après un drible, je réussi à approcher la surface mais me retrouva très rapidement en face de la demoiselle, en défense, à qui je m'étais adressé plus tôt.

"Allez ! Laisse moi marquer, je suis tout nouveau ici ! Histoire que les gens se souviennent de moi." dis-je avec un petit sourire.

Je tentais alors un coup de poker, en essayant de faire passer la balle entre les jambes d'Andizia pour ensuite la contourner sur un coté et tenter le but...

Pas de bol, apparemment j’étais tombé sur un imbécile prétentieux. Ou a minima un prétentieux. Il se permit de me faire une remarque et un clin d’œil. Qu’espérait-il ? Que je lui ferais une fleur en jouant n’importe comment ? Certes, il avait un beau sourire, mais flûte ! Je n’étais pas ma sœur. Elle aurait peut-être été gentille, quoique, à la réflexion, elle n’aurait carrément pas joué.

La première action faillit sonner le premier but. Mais non, ce ne fut pas le cas. J’avais passé la balle à un coéquipier mieux placé que moi, et cette erreur nous coûta le point. Je ne jouais pas solo, mais là si j’avais gardé le ballon j’aurais marqué. Un boulet de canon by Double-Lune, ça ne s’arrête pas comme ça, à mains humaines.

Le nouveau arriva bientôt devant moi, balle au pied. Je m’étais mise en défense, allez savoir pourquoi. Probablement parce que ça arrange la joueuse. Quoiqu’il en soit, nous étions maintenant face à face, lui et moi. Et là, le comble, il me demanda de le laisser marquer !

*Sérieusement ? Il croit vraiment que je vais faire ça ? Il a de l’espoir, le pauvre gars !*

Je laissai un ricanement moqueur s’échapper de mes lèvres, accompagnant un rictus dément.

"T’inquiète pas, on se souviendra de toi…comme le gars qui a cru pouvoir passer ma défense !"

Il lança le ballon vers mes jambes trop écartées. Malin, mais pas assez pour m’avoir. Le petit pont, ça ne passe jamais avec moi. Je rattrapai le ballon avant qu’il ne soit de l’autre côté et partis à tout vitesse vers les buts adverses. Une petite acrobatie me permit d’éviter les deux pauvres défenseurs, qui ne purent que me regarder effectuer un tir magistral vers la lucarne. Normalement, ça passait. Mais sait-on jamais, on pouvait toujours avoir une petite surprise…

J'étais persuadé que ma manœuvre allait passer, alors que je m'engageais déjà pour la récupérer derrière elle. Mais je fus surpris de constater qu'elle arrêta la balle au dernier moment sans trop de peine. Tellement surpris, que j'en tomba sur le cul, - littéralement. Un peu ébahi au début, Andizia laissa échapper un rire accompagné d'une moquerie. Je ne pus m'empêcher de rire moi même (d'autodérision), en la voyant foncer droit sur les cages. Ca ne loupa pas, en quelques secondes, elle était déjà presque arrivée à la surface et un coup magistral envoya la balle au fond du filet. Le gardien y avait mis de la bonne volonté, mais la trajectoire était trop bien calculée. Les acclamations fusèrent, les coéquipiers ne manquèrent pas de féliciter la jeune fille tandis que dans mon camp on se dépêchait déjà de ramener la balle au milieu du terrain.

J'avais observé la scène depuis la surface adverse, toujours assis dans l'herbe. Je décidais alors de me lever pour rejoindre l'engagement. En passant, je ne pus m'empêcher de taquiner encore la jeune fille. Surtout qu'elle avait l'air d'avoir un sale caractère, c'était encore plus amusant.

"Bon bah, pas de cadeau alors !"

Engagement, encore. Cette fois ci, j'allais être un peu plus offensif. La balle revint à un adversaire, que je ne tarderai pas à récupérer avec un tacle bien placé. Mon opposant tomba au sol, mais le geste était règlementaire, - je n'avais touché que la balle. Je repérai vite un coéquipier en progression vers les cages, lui fit la passe, accéléra vers la surface avant de le récupérer. Sans hésiter, je tentais alors un tir avant que la défense puisse reprendre sa formation et... poteau !

"MERDE !"

Je ne pus m'empêcher de jurer, tant j'étais frustré d'avoir loupé une si belle action.
Le jeu se déroula encore pendant un moment, avec de belles actions, manquant à chaque fois de marquer un but pour chacun des camps. Je dus me retirer du terrain alors qu'un joueur me rentrait dedans avec violence, porté par son élan pour récupérer la balle. Le souffle coupé pendant un moment, mon équipe m'invita à prendre une pause sur le banc.

J'en profitai alors pour me rafraichir et reprendre mon souffle, observant les joueurs en action. Et notamment Andizia. Trop content de pouvoir encore la taquiner un peu, je ne pus m'empêcher de lui lancer des acclamations :

"Allez Andizia ! Fais nous rêver !"

Là, tu exagères. Quoi, encore ? Je ne peux pas jouer comme ça, je fais vraiment trop personnage cheaté. Tu voudrais que je baisse ton niveau pour faire crédible ? C’est toi qui vois, mais ça me paraît mieux. OK, je vais faire ça.

*C’est passé, yes !*

OK, je l’avoue, c’était bien la première fois que je réussissais un tir en lucarne aussi parfait. J’avais eu de la chance, surtout qu’après une action comme celle que je venais de faire un but manqué aurait démoli tout l’effet.

L’autre idiot, qui était tombé à la renverse, se releva pour me signaler qu’il passait à la vitesse supérieure.

"Ah, tu me rassures ! Un instant j’ai cru que tu étais nul."

Et on peut dire que je m’étais bien trompé… Il faillit marquer un but. Il était bien plus doué qu’il me l’avait montré dans un premier temps. Mais bon, un poteau, ça pardonne pas. Pour ma part, je me calmais un peu. Avant mon instant de gloire, je m’étais dit que ça serait pas mal de me ménager pour ne pas risquer de me fouler une cheville ou autre joyeuseté. Je jouais donc maintenant un peu moins bien.

La collision entre les deux joueurs me stoppa net. Ils avaient dû se faire vraiment mal, ces deux-là. Et de fait, le gars de tout à l’heure fut obligé de quitter le terrain. Il peinait à respirer, il avait dû se faire percuter la cage thoracique avec une sacrée force pour se retrouver comme ça. Celui de mon équipe, par contre, s’en tira apparemment avec juste un petit mal de tête. Le match continuait.

Et bien sûr, à chaque fois que j’avais le ballon, j’avais droit à des remarques en bonus de la part du gars sur le banc de touche ! J’avais bien envie de lui clouer le bec au poignard, mais je n’avais pas très envie de me faire griller. La magie sur Terre, c’est pas l’idée du siècle. Par contre, je ne me suis pas privée de m’accorder une pause pour aller m’assoir à côté de lui.

"Dis donc, t’es pas censé encourager ta propre équipe, toi ? Oh, au fait, je connais même pas ton nom…"

C’était toujours mieux de connaître le nom du type qu’on voulait embêter.

Je sentais bien que mes remarques titillait la jeune fille, mais en même temps, c'était l'effet escompté. Après quelques minutes de jeux, Andizia vint s'installer sur le banc pour prendre une pause. Je l'accueillis avec un petit sourire en coin, taquin mais pas méchant.

"Dis donc, t’es pas censé encourager ta propre équipe, toi ? Oh, au fait, je connais même pas ton nom…"

Je ne pus me retenir de ricaner. Elle avait pas tort mais en même temps, c'était bien plus rigolo d'embêter l'équipe adverse.

"Oh tu sais, je suis fair-play moi. L'idée, c'est quand même d'offrir du beau jeu et mon équipe se débrouille plutôt bien, même si je dois admettre que tu nous as collée un joli but."

Je ne donna pas mon nom immédiatement, prenant d'abord la peine d'extirper une cigarette de mon paquet pour l'allumer aussitôt. Je laissa le paquet ouvert à l'attention de la jeune fille, l'invitant à se servir si cela lui chantait.

"Je m'appelle Shinzu. Je suis arrivé aujourd'hui, de Tokyo. Besoin de prendre un peu de vacances !"

Alors je me tournais vers Andizia, en profitant pour la dévisager rapidement un peu plus en détail. Elle était plutôt jolie mais assez banale dans le genre. Par contre, elle n'avait pas l'air de se laisser marcher sur les pieds, et ça, ça me plaisait bien.

"Et toi Andizia ? Tu es ici depuis longtemps ? Où est-ce que tu as appris à jouer au foot ?"

Cette fois-ci j'étais bien tourné face à elle, n'hésitant pas à soutenir son regard, un petit sourire toujours dessiné au coin de mes lèvres, faisant apparaitre cette petite fossette sur ma joue qui avait tendance à faire craquer les filles.

Il parlait de fair-play, mais dans le fond j’étais certaine qu’il voulait juste se payer ma tête. J’aurais pu le mettre à terre et le traumatiser à vie pour le faire payer, mais étrangement je n’en avais pas plus envie que ça. Non, discuter avec lui était amusant, malgré les piques qu’il me lançait à longueur de temps. En fait, ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé à quelqu’un qui me donnait la réplique de cette façon.

Il me tendit un paquet de cigarettes. Je secouai la tête. Je ne fumais pas, et je n’allais pas commencer de sitôt !

"Je m'appelle Shinzu. Je suis arrivé aujourd'hui, de Tokyo. Besoin de prendre un peu de vacances !"

Là, il me tendait le bâton pour le battre. Je notai une réplique moqueuse dans un coin de mon esprit pour la lui ressortir. Mais d’abord, répondre à sa question :

"Je vis à Seikusu depuis une dizaine d’années, je crois. Je sais plus trop."

En vérité, le fait d’habiter le corps de Terka ne m’avait pas aidée à prendre mesure du temps qui passe. Je ne savais donc réellement pas depuis combien de temps nous étions ici.

"J’ai appris le foot en regardant les autres. Et en m’inspirant de quelques autres sports, comme ça j’ai pu développer ma propre technique."

Les autres sports en question étaient en fait tous les arts martiaux auxquels j’avais été initiée. Mais ça, Shinzu n’avait pas besoin de le savoir… En attendant, je crois que c’est le moment de placer ma pique, non ? Ouaip.

"Dis, puisque tu viens de Tokyo… Qu’est-ce que monsieur le citadin pense de notre petite ville paumée ?"

Refusant sa cigarette, je n'insistais pas et rangeais le paquet au fond de ma poche, prenant la peine de tirer une longue bouffée sur ma blonde. Petit détail, qui pourrait avoir son importance, je pris quand même la peine de ne pas recracher la fumée sur mon interlocutrice, - je pouvais parfois être un peu débile mais respectons avant tout les non-fumeurs.

"Je vis à Seikusu depuis une dizaine d’années, je crois. Je sais plus trop."

"Dix ans ?! Mais alors on doit pas trop d'ennuyer ici, ça fait beaucoup la fête ici ? 

Bon, ok. J'avais un peu des à priori sur le reste du Japon, imaginant que hors de Tokyo, il ne se passait pas grand chose. D'ailleurs, elle ne tarderait pas à me le faire remarquer non sans une once de taquinerie...

Apprendre à jouer au foot juste en observant ? Avec son niveau ? J'étais un peu sur le cul. Je ne pouvais pas vraiment me prétendre "excellent joueur", mais j'avais quand même pas mal arpenté les terrains de mon enfance, jusqu'à la fin de mon adolescence. C'était curieux, mais pourquoi pas. Peut-être avait-elle un don.

"Dis, puisque tu viens de Tokyo… Qu’est-ce que monsieur le citadin pense de notre petite ville paumée ?"

Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire. Évidemment, j'étais venu avec la tête rempli de clichés. Des vaches, des rizières, des tracteurs, des paysans... Si les alentours de Seikusu étaient un peu dans cet esprit là, la ville avait quand même l'air plutôt animée. Quand bien même je n'avais jamais encore jamais mis les pieds là bas, j'avais le flair pour repérer les lieux un peu divertissants.

"Bon ok, j'avoue tu m'as grillée. Je ne pensais même pas que le train allait jusqu'ici !"

Puis n'en loupant pas une pour continuer sa provocation gratuite, je n'hésita pas à lui balancer, en total second degré :

"Du coup ça m'étonnes pas trop que tu vives ici depuis dix ans. T'as l'air chiante, et tu vis dans une ville chiante."

A ce moment là, je ne m'étonnerai même pas de me prendre une claque en pleine gueule. Mais il fallait parfois savoir titiller un peu les gens jusqu'à leurs limites... pour révéler leur vraie personne.

"Dix ans ?! Mais alors on doit pas trop s'ennuyer ici, ça fait beaucoup la fête ici ?"

*Crétin, va…*

Je ne dis pas ça, évidemment. Non, je me contentai de rire doucement, pour ne pas montrer qu’il m’agaçait. Une bonne paire de claques, voilà ce qu’il méritait, le Shinzu. Mais pas tout de suite. J’allais d’abord discuter encore un peu avec lui, et après je lui ferais payer ses remarques. Surtout celle-là :

"Du coup ça m'étonne pas trop que tu vives ici depuis dix ans. T'as l'air chiante, et tu vis dans une ville chiante."

Là, il venait de dépasser les bornes. Ma réaction ne se fit pas attendre. En un éclair il était allongé par terre, et j’étais au-dessus de lui, tenant un poignard contre sa gorge. Ce poignard, je l’avais fait apparaître de façon à ce que tout le monde croit que je le tirais d’une quelconque poche.

"Ne t’avise plus jamais de m’insulter, Shinzu. Compris ? Tu peux te permettre beaucoup de choses, mais m’insulter, ça je ne le tolère pas."

J’avais parlé d’une voix très douce, très posée, mais l’expression de mon visage était la colère. Je foudroyais le pauvre garçon du regard. Il était allé trop loin, il devait payer. J’allais peut-être le traumatiser, mais il ne l’aurait pas volé.

En voilà une nouvelle expérience dont je me serais volontiers passé... En une fraction de seconde, je m'étais retrouvé cloué au sol, un couteau contre ma gorge. Je me sentis pâlir aussitôt et je ne pus m'empêcher d'avoir la main tremblante en essayant de l'approcher du couteau pour l'inviter à le retirer, et à ne pas faire de connerie.

"Hé... du calme... Je déconne, faut pas prendre les choses au sérieux comme ça."

J'essayais de parler avec le plus d'assurance possible, mais ma tête se trahissait d'elle même : j'avais déjà des sueurs froides.
Bien évidemment, la scène n'avait pas échappé à certaines personnes, qui ne comprenaient pas trop bien ce qu'il se passait. Pour autant, ils n'essayèrent pas d'intervenir...

"Ecoute, désolé si je suis allé un peu trop loin, je voulais pas te blesser. J'te taquinais."

En tout cas, je n'avais plus envie de sourire maintenant. Putain, mais elle était folle ou quoi ?! Si j'avais du me faire poignarder à chaque fois que je lançais une boutade, j'aurai été six pieds sous terre depuis bien longtemps.
Désormais ma main se trouvait presque contre la sienne, mais sans pour autant essayer de la repousser franchement. Je l'invitais juste à le faire d'elle même, en lui montrant que je ne faisais pas de gestes brusques.

Il était mort de peur. Il tremblait, son visage était blanc comme un linge, tout dans son attitude trahissait la peur. Et pourtant il essayait de ne pas perdre la face, il faisait tout pour cacher le fait qu’il était terrifié à l’idée que je lui tranche la gorge. Ceux qui nous avaient vus n’osaient pas intervenir. Personne n’ose intervenir quand il y a une vraie arme dans un camp. La couardise humaine…

Shinzu rapprocha sa main du poignard, comme s’il espérait l’enlever.

"Ecoute, désolé si je suis allé un peu trop loin, je voulais pas te blesser. J'te taquinais."

Ose me dire que je suis méchante à ce point… Sans mentir ? Non, je ne dirai rien. Tu me rassures. T’inquiète, j’aime pas jouer les monstres.

Un tout petit sourire, presque imperceptible, fit son apparition sur mes lèvres. Puis il s’élargit progressivement, très lentement. Ce n’était pas un sourire sadique comme vous vous y attendiez sûrement, bande de lecteurs givrés, mais un sourire moqueur. Puis vint le rire. D’abord j’essayais de le retenir, mais rapidement je me rendis compte que ça ne servait à rien et, me jetant en arrière pour libérer Shinzu et m’assoir, j’explosai de rire.

"Par tous les dieux, tu devrais voir ta tête, mon pauvre ! Désolée, mais c’est trop tordant !"

J’étais incapable de garder mon sérieux devant une tête pareille. En temps normal j’aurais simplement achevé ma victime, mais là je n’avais aucune raison de le tuer, alors autant rire un bon coup.

Une blague ? C'était juste une blague ? ... Mais qui était cette pauvre tarée ? Pendant ce temps là, la jeune fille se marrait bien après m'avoir libéré. Évidement, j'étais loin d'être remis de mes émotions. En me redressant, je récupérai la cigarette que j'avais du coup fait tomber lorsqu'elle s'était jetée sur moi.

"Tu as un bien drôle sens de l'humour... Je m'en souviendrai la prochaine fois qu'on essayera de m'égorger."

Une fois levé, je pris la peine d'épousseter mes vêtements. Je me sentais quand même bien humilié. Décidément, cette première journée au lycée laissait présager le pire pour la suite... En espérant qu'il n'y avait pas que des psychopathes.
Les personnes autour avaient fini par se détourner de la scène en constatant que cela était une blague. Ils ne cherchèrent pas à en savoir davantage. Je commençais à me demander si ils avaient bien vu qu'elle avait essayée de me planter un couteau dans la gorge quand même...

Ma bonne humeur s'était envolée. Sans piper mot, je m'éloignais alors de la jeune fille pour m'installer un peu plus loin. Je ne me sentais absolument plus en confiance à ses cotés et j'avais encore dans la tête l'image de ces yeux meurtriers plantés dans les miens. A mon passage, un type qui avait aperçu la scène de loin, ne put s'empêcher de me lancer une pique.

"Hé bien ! Ca doit pas rigoler au pieu avec ta copine !"

Les personnes qui l'accompagnaient ne purent s'empêcher de ricaner. Je ne pris même pas la peine de leur répondre et en profitai même pour m'installer un peu plus à l'écart de ces gens là. Je plantai alors les écouteurs dans mes oreilles, essayant d'utiliser la musique pour faire retomber un peu la pression. J'avais le sentiment que mon coeur allait exploser dans ma poitrine et mon taux d'adrénaline ne semblait pas prêt de retomber. En plus de cela, je ne pus m'empêcher d'apercevoir que la fille que j'avais fuis continuait de me harceler par message...

*Fais chier.*

Je me laissai alors tomber dans l'herbe, l'avant-bras posé sur mes yeux pour me protéger du soleil.

"Tu as un bien drôle sens de l'humour... Je m'en souviendrai la prochaine fois qu'on essayera de m'égorger."

Et un contresens, un ! Mais je n’ai même pas eu le temps de le lui indiquer qu’il était déjà parti. Un peut embêtée, je regardai Shinzu s’éloigner. Tout à coup, j’entendis un gars balancer une remarque sur…

Non. Me fais pas faire ça. C’est dans ton caractère, j’ai pas top le choix.

D’un geste tellement rapide qu’il pouvait paraître invisible, je lançai le poignard que j’avais toujours à la main, droit vers le type qui venait de parler. L’arme lui effleura l’oreille dans un sifflement, le faisant taire immédiatement. Il y a des sujets qu’il ne fait pas bon aborder en ma présence… Et celui-là en faisait assurément partie.

"Le prochain te fera un tatouage rouge sur le bras si tu ne la boucles pas."

Au bout d’un moment, peut-être que quelqu’un se rendrait compte que le poignard avait disparu, puisqu’en me relevant je le renvoyai. J’avançai tranquillement, sans prêter attention aux regards des gens, jusqu’à Shinzu qui s’était allongé un peu plus loin. Je vins m’installer à côté de lui et lui enlevai doucement un de ses écouteurs pour qu’il m’entende.

"Désolée."

Ce seul mot avait été difficile à prononcer. Ça me coûtait vraiment de m’excuser envers quelqu’un, et ça devait s’entendre.

"Tu sais, j’étais sérieuse, mais je t’aurais pas tué. Je n’ai pas de raison de le faire. Et si je riais, c’est à cause de la tête que tu faisais."

Comme ça, j’avais mis les choses au clair. À lui de voir s’il voulait continuer de fuir ou s’il comprenait que ça ne servait à rien.

Heureusement que j'avais le dos tourné lorsqu'elle s'attaqua au type qui s'était foutu de moi. D'ailleurs, celui-ci pris immédiatement ses jambes à son cou.

Brusquement, la musique avait disparue d'une de mes oreilles. En ôtant mon bras, je failli sursauter en constatant que c'était encore Andizia. Venait-elle pour m'achever ?

"Désolée."

Je me redressai alors doucement sur l'herbe, pour pouvoir fixer la jeune fille. Là, maintenant, j'avais envie de laisser exploser ma colère et de lui dire que ce qu'elle avait fait était stupide et qu'elle aurait davantage sa place en prison ou en HP. Mais j'ignore pourquoi, - peut-être la peur de me retrouver à nouveau avec une lame sous le bout du nez, - je ne dis rien, hochant simplement la tête pour lui montrer que j'acceptais ses excuses. D'autant plus que ça avait l'air sincère et pas facile à dire, pour elle.

"Tu sais, j’étais sérieuse, mais je t’aurais pas tué. Je n’ai pas de raison de le faire. Et si je riais, c’est à cause de la tête que tu faisais."

*Bon bah ça va. Si elle cherchait pas à me tuer, après tout...* pensais-je ironiquement.

Je notais dans un coin de mon esprit qu'elle était quand même vachement susceptible...

"Bref, oublions..."

Ca se voyait quand même que ma fierté en avait pris un coup.

"Mais... Qu'est-ce que tu fous avec un truc pareil ? Le quartier est si dangereux que ça ?"