Les traumatismes, Sha était bien placée pour les connaître. Elle-même avait ses propres failles, ses faiblesses, résultant de l’époque où elle avait été bannie. Il y avait un trou dans ses souvenirs, des failles qu’elle ne parvenait pas à s’expliquer, et qui continuaient à lui peser. Il fallait qu’elles affrontent leurs peurs, leurs échecs, et Sanguilia allait commencer maintenant, dans ce palais. C’était un rude combat qui s’annonçait, pas uniquement contre les Dieux olympiens, mais surtout contre elle-même. Voilà pourquoi Sha la laissa aller de l’avant. Elles étaient deux Déesses, deux femmes redoutables, mais elles allaient dans un endroit qui l’était tout autant. Le Palais d’Hadès était redouté des démons. Hadès disposait d’une solide garde, et son palais veillait aussi sur le Tartare. Aucun des Princes infernaux n’avait intérêt à ce que les portes du Tartare s’ouvrent et vomissent les horreurs et abominations se trouvant derrière. Sha et Sanguilia allaient devoir s’enfoncer dans les profondeurs du Palais pour rejoindre le Tartare… Mais, au-delà des gardes, des monstres, des abominations d’Hadès, il n’y avait qu’un seul ennemi dont elles allaient devoir véritablement se méfier.
Sanguilia fut rapidement abordée par des espèces de démons grimaçants blanchâtres. Des prisonniers désincarnés, qui avaient petit à petit sombré dans la démence, les transformant en goules blanchâtres. Elles rampaient le long du sol, sortant d’anfractuosités dans les parois, tombant misérablement pour se relever, avant de grogner. La salive coulait de leurs gueules. Sha resta en retrait, et laissa Sanguilia retrouver la foi en les massacrant. Ce fut particulièrement sanglant… Et tout aussi excitant. Sa belle était vraiment magnifique quand elle laissait parler son art guerrier. Elle égorgea un monstre, et en attaqua un autre, lui arrachant la main, pour en décapiter un troisième, avant de se heurter à un quatrième, envoyant son genou dans son ventre, puis le planta avec ses lames. Le sang se mit à affluer, décorant les parois de la grotte, mais aussi le corps de Sanguilia, ne faisant que la rendre encore plus belle.
Sa sensualité avait toujours été sauvage, et ce mélange était très grisant à voir, surtout avec l’ombre ambiante. Le sang semblait briller sur sa chevelure, magnifiant ses formes. Désespéré, un zombie se rua vers Sha en hurlant, les yeux exorbités par la démence. Sha n’eut qu’à le regarder, et envoya une onde de choc qui frappa la goule de plein fouet, lui arrachant les jambes et les bras, l’envoyant s’étaler sur le sol dans des gargouillements sanglants.
Entre-temps, Sanguilia termina son spectacle en enfonçant ses lames dans le ventre d’une goule, la soulevant. La créature se dressa au-dessus de la femme, transpercée par les lames, gémissant lentement, ses mains remuant faiblement, cherchant vainement à la griffer. Le corps retomba ensuite au sol, et Sanguilia se nimba de flammes, plus impressionnante que jamais.
«
Voilà… Je retrouve la femme que j’aime, Sanguilia. Ta combativité, ta violence, ta rage… Ne crois pas que l’amour ne soit que douceur. L’amour ne doit pas émousser ta rage, mais lui donner un but. »
Trop souvent, on associait le phénomène amoureux à la douceur, le calme, à des choses positives… C’était négliger le caractère ambivalent de l’amour, qui était une
passion. Et une passion, étymologiquement parlant, était une souffrance. L’amour était insaisissable en ce qu’il brassait des émotions contradictoires. Il était important que Sha et Sanguilia conservent cette notion dans un coin de leur tête.
Évitant les cadavres, Sha rejoignit sa femme, et l’embrassa à nouveau.
«
En d’autres circonstances, j’aurais léché ce sang sur ton corps… Mais il nous faut y aller. »
Sha s’aida de sa magie pour se diriger dans les grottes, et se chargea de tuer les quelques goules qui tentèrent en vain de les attaquer. Elles arrivèrent ainsi devant un mur. La main de Sha se posa dessus, et le mur, au fond d’une caverne, se mit à scintiller. Des runes magiques le protégeaient.
«
Je vais m’en occuper… »
Fermant les yeux, Sha se concentra, et murmura, pendant quelques secondes, une singulière mélopée. L’air se mit à vibrer autour d’elle, puis, au bout de quelques instants, le mur se fissura… Puis explosa violemment.
De l’autre côté, il y avait une sorte de grande pièce en dalle, avec des piliers dans les coins, et, tout le long, de petits canaux. S’ils servaient normalement à évacuer les eaux usées, ils étaient remplis de sang. De fait, une odeur vorace de mort s’attaqua aux narines de Sha, tandis que ses oreilles se mirent à résonner des gémissements et des sanglots des suppliciés.
«
C’est une salle de torture… »
Hadès n’était pas connu pour être le plus magnanime des Dieux. Gibets, piloris, crucifixions, tables d’écartèlement… De multiples démons étaient torturés ici. Sha s’avança un peu, en se demandant ce qu’Hadès pouvait bien vouloir à ces démons, ou s’il les torturait juste parce qu’ils avaient tenté de l’attaquer. Au fond de la grande pièce, il y avait un perron menant à d’épaisses portes. Un symbole représentant le serpent, l’animal favori d’Hadès, était gravé sur la devanture.
Soudain, la porte s’ouvrit, et révéla passage à plusieurs
satyres, accompagnés de deux
minotaures.
«
Une patrouille… »
Sha arma sa magie, son corps s’enveloppant d’un halo noirâtre.
Il allait falloir tous les massacrer, et éviter qu’un seul ne s’enfuie pour alerter le Palais…