Ce n'était un secret pour personne : Kåre détestait les rassemblements familiaux. Aussi, lorsque ses parents avaient décidé de rendre visite à la sœur de sa belle-mère, qui habitait à Tokyo, il avait été impossible à convaincre. Hors de question qu'il prenne le train pour aller voir cette vieille pie, et surtout, qu'il s'ennuie ensuite pendant plusieurs heures que ses parents mettraient à boire le thé avec elle. Il avait bien un faux-cousin avec qui il aurait pu jouer à la console, mais c'était un imbécile, un garçon, qui, de toute façon, le détestait aussi. En plus, tous ces gens n'étaient pas vraiment de sa famille. Exaspéré par ses protestations, son père avait donc décidé de le laisser seul pour le week-end. Le seul désavantage de cette situation, c'était qu'il devait se faire à manger lui-même. Mais, songeait-il, ça ne devait pas être bien compliqué, quand bien même il n'avait pas vraiment de don, ni même de compétence, pour la cuisine. En étant un peu malin, peut-être pourrait-il même s'en passer. Il restait, dans le pire des cas, toujours l'option de commander des pizzas.
Sur Terre, c'était l'aube. Il faisait presque jour, et Kåre était déjà levé. Il avait pris un petit déjeuner rapide. Il avait beaucoup d'idées sur la façon dont il allait remplir ses deux journées sans parents. Il avait déjà prévu d'appeler un petit groupe d'amis pour les inviter dans son immense maison. Ils pourraient faire la fête, profiter de la piscine couverte, sans être surveillés par quiconque. Le garçon voulait juste être prudent, éviter que cela dégénère, même si l'idée était tentante. Il n'ignorait pas le chaos total que pouvait provoquer ce genre de situation, amplement décrit par certains films populaires, qu'il n'avait vus que trop de fois. Il fallait juste attendre le passage de la femme de ménage, qui devait venir vers 10H, et tout pourrait ensuite commencer.
En attendant, il avait pas mal d'autres projets qu'on ne pouvait faire qu'en solitaire. En effet, l'adolescent était dès à présent dans le salon, avachi sur un canapé, complètement nu. Sa main, recouverte d'un gant de toilette humide, faisait des vas-et-viens appuyés entre ses deux jambes écartées. Sur l'énorme écran mural s'affichait en haute résolution un film pornographique, où trois hommes avaient ensemble du bon temps. Les enceintes laissaient entendre des cris de plaisir assez évocateurs, qui ressemblaient parfois à de la surprise. Se masturber dans un tel endroit, d'habitude réservé à la vie familiale, sans aucune gêne, et même s'il n'y avait aucun risque, était pour lui particulièrement excitante. Sans doute parce qu'il y avait quelque-chose d'indigne à cela.
Malheureusement, il était au milieu de cette agréable séance lorsqu'un bruit suspect dans la pièce voisine le fit sursauter. Kåre se contracta, et cessa ses caresses auto-stimulantes. Était-il possible que quelqu'un d'autre soit dans la maison ? Non, sans doute pas. Il devait avoir mal entendu. Il ne reprit pas pour autant, assez inquiet. Puis un nouveau fracas retentit, caractéristique d'abord d'une faïence, puis de verre, qu'on brisait. Le garçon se détendit un peu. La piste d'un intrus ou d'un cambrioleur s'éloignait : ils n'auraient jamais été aussi peu discret. Non, il savait très bien qui était la cause de tout cela. Je déteste ce chat. Est-ce que les voisins auraient vraiment de la peine si je le noyais ?
S'extrayant de son fauteuil, le suédois se précipita donc sans même interrompre son film. Il pénétra dans la pièce, près à chasser l'animal destructeur et à reprendre l'activité qui lui manquait déjà. Toutefois, il ne vit d'abord que des débris par terre. Où est passé ce sale con de chat ? s'interrogea-t-il avec une certaine frustration. S'il ne l'attrapait pas maintenant, il allait à coup sûr recommencer. Une petite voix plaintive, implorant le pardon, le fit se retourner. Le garçon sursauta à la vue de ce qui ressemblait, à première vue, à un jeune humain.
« Fan ! Tu m'as fait peur. » s'exclama-t-il en cachant instinctivement son sexe avec ses mains.
Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Plus il regardait, et moins il était certain d'avoir affaire à un homme. Il y avait d'abord ces étranges masses de chaque côté de son visage, et qui ressemblaient à des oreilles de lapin... et surtout ce corps, crasseux et presque nu, d'une blancheur peu naturelle. Son pouvoir le lui communiquait toutefois, l'être n'était pas agressif. Kåre savait repérer les individus agressifs à des kilomètres. En le regardant, il ne sentait que de la surprise et de la peur, de l'appréhension. Quelques années avant, il aurait paniqué lui aussi, mais il avait appris à dominer partiellement les émotions transmises par les autres. De plus, il fut soulagé en constatant que l'intrus ne le regardait pas en face ; cela rendait pour lui, toujours sans un seul vêtements et dans un certain état d'excitation visible malgré ses mains, la situation moins gênante.
« Qu'est-ce que t'es ? Une sorte de SDF ? Et qu'est-ce qui est arrivé à ta peau, et à tes oreilles ? Fan, t'étais à Fukushima ou quoi ? Et qu'est-ce que tu fous chez-moi ? »
L'adolescent osa faire un pas dans la direction de l'étrange jeune homme, ne détectant aucun danger. Il était absolument perplexe, cependant, sa curiosité était la plus forte.
« Hé, calme toi, je vais pas te cogner. » ajouta-t-il d'une voix un peu plus douce.