Le suédois écoutait attentivement, sans interrompre d'aucune manière le récit de Yoru. Même dans son esprit, les choses étaient linéaires. C'était reposant, d'entendre quelqu'un d'autre raconter, et c'était la première fois que l'albinos se montrait un peu bavard. Même s'il le forçait un peu à parler, ce n'était pas désagréable. La voix de celui qui se désignait par le terme de lapin bélier était douce à ses oreilles, sans qu'il puisse en saisir la raison. Il aurait presque pu fermer les yeux... cependant, cela aurait été renoncé à une vision qui ne cessait de le captiver. Lorsque le garçon eut terminé, il commenta en premier lieu, comme si cela était l'élément principal du récit :
« Ah, tu volais ? J'ai des amis qui sont aussi un peu louches, je te les présenterai peut-être ! Vous vous entendriez. »
Kåre laissa planer un silence de quelques secondes, ne voyant pas bien quoi ajouter. Il aurait bien grimacé, mais étrangement, le fait de ne pouvoir être perçu par son interlocuteur lui en coupa l'envie. Son visage resta alors assez neutre, même si ses iris verts, invisibles pour l'albinos, brillaient toujours ardemment, et continuaient à te contempler. En réalité, il était un peu décontenancé, non pas par la nature de ce qu'on venait de lui raconter, il s'était attendu à quelque-chose d'étrange, mais à sa tristesse et sa noirceur, que la candeur de Yoru ne parvenait pas à masquer.
« C'est, euh, pas une histoire très joyeuse. »
Le récit lui avait temporairement passé l'envie de jouer. Voyant que le lapin avait terminé extrêmement vite le peu qu'il lui avait apporté, alors que lui n'en était pas à la moitié, il se leva de nouveau, et alla lui chercher des gâteaux de riz. En bon européen, il ne s'était jamais vraiment fait au goût de ces en-cas que les japonais appellent onigiri, toutefois, il devait leur reconnaître une certaine capacité à couper les appétits. Comme pour le plat précédent, il laissa les trois boulettes blanches sur les jambes de l'albinos. Au contraire de la dernière fois, cependant, il s'assit à côté de lui.
« Bon, la théorie la plus probable... c'est que tu viennes d'une dimension parallèle, et qu'un genre d'événement cosmique t'ai transporté ici, peut-être avec une mission capitale pour la survie de nos deux univers. Non, enfin. La théorie la plus probable c'est que t'es timbré et bizarrement foutu. Mais j'aime quand même bien la première. Y'a des mogs, dans ton monde ? »
Les souvenirs de veilles parties de Final Fantasy revenaient à lui. Il avait joué à un jeu vidéo au scénario semblable, mais inverse : un humain se trouvait projeté dans une autre réalité, et devait lutter pour revenir chez lui. Cela l'inspirait un peu. Kåre se rapprocha de Yoru, et cala son bras derrière les épaules nues de ce dernier, l'attirant légèrement vers lui. Le geste était cordial plutôt qu'ambigu, néanmoins l'adolescent ne se privait pas d'en profiter un peu encore.
« On parle sérieusement juste deux minutes, euh : en admettant que tu viennes d'un univers différent. » C'est pas le meilleur préambule à une discussion sérieuse, ça. « Okay, alors je t'annonce que t'es sur la planète Terre, année 2013. Ça t'aide à te situer ? Donc, on a plus de diligences depuis un moment, on a des voitures, qui sont beaucoup plus dangereuses... et, aussi, bien... les terranides, a priori, ça n'existe pas, ni les renards, ni les lapins, ni rien. Je suis pas très sûr de la réaction des gens s'ils te voyaient dans la rue. J'pense qu'ils croiraient à une blague, et qu'après, éventuellement, ils flipperaient. »
Il frotta gentiment le bras de l'albinos, quelque-chose qui se voulait rassurant. Si c'est un peu bizarre pour moi, j'imagine même pas pour lui. C'est lui qui se retrouve projeté dans un monde étrange. Ça doit lui faire drôle. Surtout qu'il est pas aidé...
« Je t'ai pas entendu dire que t'avais une famille... sauf si un marchand d'esclaves est une famille ? En tout cas, y'a peu de chance qu'il te retrouve ici... Je me demandais du coup : t'as des projets pour l'avenir ? Je veux dire, tu comptes retourner dans ta dimension ? Quelqu'un t'attend là-bas ? Parce qu'ici, ça va être compliqué. On pourrait aller voir les flics, peut-être, mais je pense que ça serait une mauvaise idée. »
Cette fois, c'était E.T qui était invoqué par son imaginaire. Des hordes de scientifiques déterminées à disséquer son ami vivant, à l'enfermer dans un laboratoire au moins, pour découvrir quel gène particulier lui avait fait pousser d'aussi grandes oreilles. Ce n'était pas du tout ce qu'il voulait, pour sûr. Il lui fallait quand même cerner un peu mieux les aspirations de l'albinos.
« Tu sais pas où aller, après ? En tant que ''esclave'', tu savais faire quelque-chose ? Au moins tu sais lir... ? Non, rien. T'as bien un talent ? »
L'adolescent, de son propre avis, aurait fait un conseiller d'orientation pitoyable.