À bien y réfléchir, et bien que ce soit curieux à admettre, Mélinda, ou Maîtresse, comme il convenait de l’appeler, était sans doute la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis qu’elle avait eu le malheur de finir à Seikusu... Jinny se refusait à envisager cette perspective depuis un autre point de départ que Seikusu, dans la mesure où elle avait vu sa mutation comme une forte disgrâce. Cependant, si elle était restée à Tokyo, on ne lui aurait jamais enlevé sa myopie. Ne pas avoir besoin de lunettes était pour Jinny quelque chose de bien, de préférable, de meilleur. Dans une société élitiste comme pouvait l’être la société japonaise, des lunettes constitueraient toujours un désavantage. Elle n’avait aucun rendez-vous avec des parents ce soir, et fit donc un bref sauf à la salle des professeurs pour inspecter son casier. Il y a quelques jours, elle avait reçu un message d’amour anonyme à l’intérieur, qui l’avait fait rougir, sans qu’elle ne puisse s’expliquer si elle était fière de voir que son corps suffisait à plaire à de jeunes adolescents, ou honteuse à cette idée. Avec sa Maîtresse, Jinny avait couché avec la moitié de ses élèves, et avait même été sodomisée par eux. Elle préférait ne pas y penser, non seulement parce qu’elle en avait honte, mais aussi parce que ce souvenir la rendait délicieusement chaude. Jinny n’avait jamais été une perverse. Au contraire, elle avait passé toute son adolescence à fuir la compagnie des garçons, afin de se consacrer à ses études. Son apparence physique avait toujours été négligée, et elle avait conservé cette habitude quand elle était devenue prof’... Maintenant, elle arrivait à se trouver belle en se regardant dans le miroir. Sa situation d’esclave impliquait bien trop de questions pour qu’elle puisse concrètement y réfléchir.
Il n’y avait rien de bien intéressant dans son casier. Un mémo de rappel pour un après-midi pique-nique organisée dans un mois, sans intérêt. Elle retournait chez elle, et hésita à prendre le métro, ou à y aller à pied. Jinny n’avait pas encore de voiture, et économisait justement pour obtenir de la banque un prêt consommation, afin de l’acheter. Le métro était bondé à cette heure, et Jinny n’avait pas envie de tomber sur des pervers, ou sur des élèves. De plus, il faisait bon, avec un léger vent frais. Elle se mit donc à marcher, rentrant chez elle. La jeune prof’ vivait à la lisière de la Toussaint. Ce n’était pas un endroit dangereux, mais elle préférait tout de même ne pas sortir de la nuit. Elle s’avançait donc, son cartable à la main, le long des trottoirs, quittant les grands boulevards enjoués du centre-ville, qui lui faisaient parfois un peu penser à Tokyo. Elle suivait toujours le même chemin, qui l’amenait à longer le parc. Elle avait lu un article d’un journal local, indiquant que beaucoup d’agressions avaient lieu au parc, et que, malgré la recrudescence d’individus costumés dans la ville, les jeunes femmes devaient éviter de s’aventurer dans le parc seule. Jinny avait naturellement très peur d’être agressée, et c’était aussi en partie pour ça qu’elle était paradoxalement soulagée à l’idée d’avoir une Maîtresse aussi puissante. Mélinda pouvait la protéger... Mais Maîtresse n’était pas omnisciente, et cette constatations ‘empara d’elle quand, encore une fois, elle se rapprocha d’une ruelle.
Par habitude, Jinny ne les prenait jamais, car elle avait peur des endroits isolés, et avait vu trop de films pour savoir que les ruelles sinueuses n’étaient jamais un bon raccourci. Pour autant, cette fois-ci, elle s’arrêta. Maintenant qu’elle avait une excellente vision, elle discernait une forme féminine, avec une sorte de robe, de kimono, et crut, sur le coup, à l’un de ces fantômes japonais dont ses élèves adoraient parler ensemble. Le mythe d’Hanako-san était celui qui revenait le plus fréquemment chez les Japonaises : un fantôme habitant dans les chiottes. C’était parfaitement ridicule pour les Occidentaux, mais Jinny, elle, était originaire d’Asie, même si son grand-père était un soldat américain. Elle avait beaucoup hérité de sa branche occidentale, mais restait, dans l’âme, une Japonaise, soit une femme superstitieuse.
*Qu’est-ce que c’est... ?! Une apparition ?*
Quand elle avait été mutée à Seikusu, Jinny s’était renseignée sure Internet. Seikusu était la « Roswell du 21ème siècle », pour reprendre l’expression enjouée d’un internaute enflammé qui décrivait l’endroit comme un regroupement de monstres, prenant pour preuve l’existence d’une base américaine à proximité, alors que Seikusu, stratégiquement parlant, n’était rien de plus qu’un port de pêche avec une zone industrielle partiellement désaffectée. Jinny n’eut même pas le temps de songer à filer que la forme bondit élégamment dans les airs, arrivant dans son dos, entre elle et la rue. Jinny, surprise, recula de deux pas, et crut avoir la berlue en reconnaissant la voix et le visage de Yamano-san.
« Bonjour sensei, quelle plaisir de vous voir. Je vous attendais. »
Jinny cligna des yeux, indécise. Yamano-san était l’une des élèves les plus brillantes du lycée, mais elle était souvent absente. Aujourd’hui même, elle n’était pas là, et Jinny avait supposé qu’elle était malade. Elle ne s’attendait sûrement pas à la voir débarquer devant elle en tenue traditionnelle, avec le kimono, les zoris, et la ceinture finissant en nœud papillon dans le dos. Une vraie tenue de petite geisha.
« Miyu ?! s’exclama Jinny, oubliant, sous l’effet de la surprise, l’appellation traditionnelle japonaise, qui consistait à interpeller une connaissance par son nom. Tu m’as fichu une de ces trouilles ! Tu... Tu m’attendais ? Mais... Et comment tu as réussi un saut pareil ? J’ignorais que tu étais une gymnaste... »
Jinny essayait de se calmer. Sa peur était surtout liée à la surprise... Mais aussi à autre chose, une sorte de pressentiment. La tenue de Miyu n’était pas normale. Même dans les campagnes, on ne portait ce genre de vêtements que pour des occasions exceptionnelles, jamais pour sortir.
« Qu’est-ce que tu fais dans cette tenue ? Et pourquoi tu n’étais pas en cours aujourd’hui ?! » demanda alors la senseï.
Dans sa tête, Jinny notait aussi que Miyu était entre elle et la rue...