« Je te conseille de ne pas trop vouloir me blesser, car si tu me blesses, tu blesses la petite! Alors disparais de ma vue et laisse-moi régler ce que j’ai à faire. »
Grossière erreur de sous-estimer le pouvoir de l’Épée Royale du Roi de Meisa, mais si la vie de Kärnel était en danger, elle devait attendre de nouvelles directives de la part de son porteur avant de porter le moindre geste. Elle laissa donc l’homme passer, mais elle ne réduisit pas la distance entre eux. Elle regarda doucement Kärnel et lui adressa un sourire maternel, comme pour lui dire que quoi qu’il arrive, tout ira très bien, et qu’elle n’avait pas de souci à se faire. Cependant, dans sa main droite, elle tenait toujours son épée, ce qui impliquait qu’une fois donnée le signal, elle s’attaquerait à Këlden, qu’il soit ou non protégé par la magie, et cette fois, elle briserait toutes les barrières avant de s’enfoncer dans son cœur une bonne fois pour toute.
« Et si Kärnel mourrait devant tes yeux, Serenos? Que feras-tu? »
***
Le Roi avait déjà éliminé une bonne partie des forces ennemies grâce à la foudre, mais certains « sorciers », plus malins, s’étaient déjà protégé avec des sortilèges pour éviter d’être foudroyés sur place et recommençaient le carnage en progressant vers lui. La ville était déjà presque évacuée et les citoyens fuyaient vers les montagnes, guidés par une petite troupe de magiciens ashnardiens. Plus que de la fatigue, il se sentait très las, ennuyé. Tuer ces hommes était aussi laborieux qu’arracher un à un les herbes d’une pelouse, et du coup, il se sentait très démotivé. Il ne comprenait pas cette stratégie, et très honnêtement, il doutait qu’eux-mêmes comprenaient la notion de tactique; converger vers une cible beaucoup plus habile et puissante qu’eux sans avoir de plan était un gâchis de leurs pouvoirs magiques. Certes, ils étaient mal intentionnés et dénués d’un véritable don, mais quand même, même des mages de seconde classe pouvaient réaliser de grandes choses. Maintenant, il n’y en avait plus qu’une poignée, quelques sorciers qui essayaient encore de causer des dommages, mais leur moral avait été ruiné par leurs échecs.
Il entendit alors la voix de Këlden dans sa tête. Cet homme ne savait définitivement pas quand s’arrêter et se replier. Pour un Général, cette insistance était normale, car se replier signifiait un échec, mais l’amateur de magie noire ne semblait pas savoir à qui il avait véritablement affaire, et le Roi ne craignait pas cette personne le moins du monde, au contraire; il le sous-estimait, ce qui était en somme une très grave erreur. Mais Serenos, pour sa part, savait exactement à quel genre de personne il avait affaire; un sorcier imbu de ses propres pouvoirs, dont les quelques succès ont réussi à lui faire croire que ses pouvoirs étaient au-dessus de ceux des autres, un être particulièrement pervers et sadique. Il savait qu’il ne blesserait pas Kärnel, car s’il avait été plus malin, il l’aurait fait avant que le Roi ne puisse agir, mais il avait maintenant perdu beaucoup de temps à jouer avec sa proie.
« Il n’est pas trop tard pour renoncer, Këlden. Laisse Kärnel en paix et quitte ces terres, et je te promets de t’épargner. Tes assistants sont morts, il ne te reste qu’une poignée d’alliés, qui ne comptent pas sacrifier vainement leur vie pour toi. C’est ta dernière chance de revoir un jour se lever. »
Bien que la mort soit une expérience particulièrement crainte chez les humains, Serenos avait passé des années à l’étudier lorsqu’il s’intéressait à l’art de la nécromancie et de la manipulation des âmes. Grâce à ses expériences, que beaucoup traiteraient d’inhumaines, il avait l’aptitude unique en ce monde de pouvoir ramener à la vie une personne décédée depuis peu de temps, procédé qui nécessitait de coudre l’âme d’une personne à sa chair. Il n’était pas possible pour lui de glisser l’âme d’une personne à un autre corps, car il y avait d’énormes risques de rejet, ce qui pouvait endommager sérieusement l’âme d’une personne, et potentiellement même l’anéantir, et lorsqu’une âme était détruite, il n’y avait plus aucun moyen de la reconstituer; pas de vie après la mort pour ceux qui ne possédaient pas d’âme.
Serenos sut qu’il ne pouvait plus simplement s’occuper des gens d’Ashnard et abandonner sa compagne. Il se téléporta simplement hors de la ville, à peine fatigué par le massacre des camarades de son ennemi. Couvert de sang de part et d’autre, vêtu de son manteau blanc, il avait l’air d’être une bête sauvage après un tel massacre. Ses yeux rouge-orangés, comme des braises au creux d’une flamme, fixaient son opposant avec une passion d’un calme désarmant, comme s’il avait une parfaite maîtrise de ses propres pulsions sanguinaires, ce qui le rendait d’autant plus dangereux.
« Prends la bonne décision, Këlden. Tu es encore jeune, fort et ton pouvoir peut encore grandir. La magie noire t’accordera beaucoup de plaisir, je l’admets, mais une fois que tu seras vieux, fatigué et malade, traqué par tous, certains par vengeance et d’autres par l’appât du gain car ta tête sera mise à prix, ce n’est pas la magie noire qui te sauvera. »
Le Roi parlait d’expérience. Beaucoup de personnes faisaient le mal autour d’eux simplement parce qu’ils avaient besoin de cette excitation pour se motiver à vivre, et il savait qu’à l’âge de Këlden, revenir sur le chemin de la raison n’était pas impossible; cela nécessitait beaucoup d’efforts, et à cause du mal qu’il avait causé, il ne sera pas le bienvenu où qu’il aille, mais tout comme Serenos, il pouvait devenir quelque chose de plus. Këlden avait tout de l’enfant prodige réprimé; né avec un don supérieur. Mais dans un milieu hostile aux mages, où les enfants étaient rarement entrainés décemment, il s’était probablement reclus des autres et avait peut-être même volé son premier livre de magie dans une des rares bibliothèques ashnardiennes pour s’instruire seul aux arts noirs de la magie. Après quelques tentatives, il chercha à profiter de ses nouveaux talents pour améliorer sa propre condition de vie; au début des gestes qui ne risquaient pas de causer de mal à beaucoup de gens, comme le vol des bourses de certains voyageurs, ou même de la nourriture. Il n’avait probablement pas fait son premier meurtre avant l’âge de dix ans, et souvent, ce meurtre était involontaire.
« Laisse Kärnel partir, Këlden. Ne me force pas à te faire du mal. »