Cette neko était vraiment une forte tête... Alice avait de plus en plus peur de se faire griffer par elle, et resta donc prudemment derrière Mélinda, qui se dirigeait sans crainte vers l’estrade. Les badauds, qui n’avaient clairement pas les moyens de lutter contre elle, financièrement parlant, s’écartèrent. Le marchand était enthousiasmé, et on pouvait le comprendre. 10 000 pièces d’ors, c’était en effet une belle somme. Il y avait de quoi s’acheter une très belle maison avec tout ça, et Alice était persuadée que le prix de vente de cette neko était surévalué... Mais elle ignorait encore que cette neko n’était pas vraiment une neko. Mélinda allait la rejoindre, quand le marchand se mit à la gifler.
« Ferme-là, insolente, je ne tolèrerai pas que...
- De quel droit frappez-vous l’une de mes filles ?! » siffla alors la voix de Mélinda, nerveuse.
Ses yeux semblaient lancer des éclairs, fusillant du regard le marchand, qui se mit à pâlir. Le droit ashnardien sur l’esclavage était clair. En cas de vente aux enchères, ou, tout simplement, en cas de vente, le transfert de propriété s’opérait dès que les consentements étaient transmis. En l’espèce, dès que le marchand avait annoncé la dernière criée, et tapé dans ses mains, il avait consenti à l’achat, et le transfert avait eu lieu, même sans que Mélinda n’ait encore fourni sa contrepartie, à savoir l’or requis. En somme, cette neko était déjà son esclave, sauf à ce qu’elle n’ait pas de quoi payer le marchand. Dans ce cas, le contrat conclu serait annulé, entraînant toutes les conséquences juridiques qu’une nullité entraînait. Et, dans la mesure où le contrat était valablement conclu, toutes les lois en vigueur s’appliquaient. Or, ceux qui prétendaient que l’esclave n’avait aucun droit, et aucune protection, se fourvoyaient. Juridiquement parlant, un esclave était un incapable, une personne qui était placée sous l’autorité exclusive et totale de son maître. Il y avait fusion du patrimoine de l’esclave dans celui du maître, et tous les actes liés au patrimoine de l’esclave ne pouvaient être faits que par son maître, qu’il s’agisse d’actes de disposition, conservatoire, ou d’administration. En gros, et pour faire simple, Mélinda seule avait le droit de frapper son esclave.
Et ça, le marchand le savait bien. Il avait juste été excédé par le comportement de la neko, et se mit à blêmir. Mélinda était en droit de le poursuivre, d’autant plus qu’il y avait une flopée de témoins, dont une Princesse royale.
« Je... Je ne voulais pas, c’est juste que... bredouillait le marchand.
- C’est juste que votre main est partie toute seule, c’est ça ?
- Non, mais...
- Vous avez frappé ma fille ! C’est comme me frapper, moi !
- Écoutez, je... tenta de dire l’esclavagiste.
- Elle est à moi ! Ce que vous avez fait sur elle est une agression ! Une infraction, même !
- Je voulais juste la forcer à se taire, elle...
- Alors, vous prétendez agir à ma place, c’est ça ? Vous croyez que je ne sais pas comment calmer une neko effrayée, qui est traitée comme un sac de patates ? »
Alice n’osait rien dire. Une chose était sûre : elle n’aurait pas envie de se retrouver à la place du marchand, qui n’arrivait pas à en placer une, et regardait autour de lui, nerveux. Il y avait de quoi l’être, en effet. Mélinda pouvait être une teigne, parfois. Alice comprenait mieux pourquoi elle était l’une des rares personnes en ce monde à tenir tête à son père... Et elle ne partait pas favorite, avec son petit gabarit.
« Je suppose que vous travaillez pour quelqu’un, n’est-ce pas ? Vous êtes ce qu’on pourrait appeler... Un préposé, non ?
- Je... Oui, mais...
- Et, quand un préposé commet un dommage de nature à engager sa responsabilité, il engage celle de son commettant... Dites-moi, si je vous poursuis devant les tribunaux sylvandins pour avoir violenté l’une de mes esclaves, combien de temps pensez-vous garder votre emploi ? Peut-être même finirez-vous à la place de cette neko, hum ? Dans une cage ? »
L’argument sembla faire mouche. Le marchand connaissait suffisamment la loi, notamment la responsabilité du commettant pour les faits de son préposé, pour savoir comment ça fonctionnait. Si Mélinda portait plainte, le commettant serait condamné, car le préposé agissait en son nom, mais, ensuite, quand Mélinda recevrait une indemnisation, le commettant se retournerait contre son préposé, et, outre le licencier, pourrait éventuellement exercer à son encontre un recours récursoire.
« Et... Si je vous proposais une remise ? »
Mélinda se mit à sourire.
« Tu as fait tout ce cinéma pour dépenser moins d’argent ? demanda Alice dans le creux de l’oreille de Mélinda.
- C’est ce qu’on appelle le commerce, trésor » rétorqua Mélinda.
Elle versa bien les dix mille pièces d’ors, à l’aide d’un chèque, mais reçut en retour un chèque de 2 000 pièces d’ors. Tout le monde était content, et on ouvrit la cage de la neko. Mélinda se pencha vers elle, en fléchissant les genoux, et lui fit un petit sourire.
« Alors, ma belle, comment t’appelles-tu ? »