L'ombre du papillon n'était pas du genre sociable, il fallait l'avouer : rencontrer des inconnus n'était pas une partie de plaisir pour elle. C'est pour cela que ceux qui passaient par elle n'atteignaient Nô-hime que pour de bonnes raisons. C'était le cas de Nick Tucker, cet arriviste orgueilleux, prétentieux et plein de défauts. Mais il fallait lui reconnaître une qualité, il avait un certain goût pour les lames des temps anciens. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle il était venu voir le Papillon : elle recherchait, pour Kiyuri, les lames de l'école Nobukuni, lui permettant d'agrandir nettement sa collection. Autant dire que lorsqu'elle entendit que l'américain possédait une de ces lames, elle s'empressa d'en parler à la chef d'entreprise pour lui permettre de lui prendre l'objet tant désiré.
Il était ainsi venu au bureau avec un présentoir de plusieurs lames. Seule l'une d'entre elles était une lame Nobukuni, les autres étaient des répliques totalement grossières, sans aucune comparaison avec les originaux, loin de là même. À l'oeil nu, c'était visible, même sans voir la lame de ces katana. Aussi, lorsqu'elle entendit dans le bureau le bruit d'un fer brisé, Kiyuri ne bougea pas d'un pouce, comparé aux gardes qui sursautèrent. Elle en sourit même, en entendant la femme d'affaires critiquer et punir l'arrivisme de l'américain. Après quelques secondes suivant la fin de la morale, des pas se dirigèrent vers la sortie du bureau de Nô, les portes s'ouvrant en grand pour laisser sortir l'américain qui fulminait. Il tourna la tête vers la petite asiatique qui le fixait en retour, impassible. La demoiselle était habillée comme à l'ordinaire au bureau : un tailleur noir, les cheveux lâchés et une paire de lunettes sur le visage, uniquement esthétique. Maquillage sommaire, rouges à lèvres écarlates et du far à paupière.
L'homme resta quelques secondes à la regarder, avant de partir suivi par ses gardes. Quelques secondes après, Nô sortit, tenant en main le présentoir complet avec une arme brisée posée dessus. Elle donna ce présentoir à un des gardes et s'en alla vers la sortie. Kiyuri se tourna vers le garde et dit, tranquillement :
« Emmenez cela à mes appartements. Déposez-les sur le bureau et sortez immédiatement. »
Le garde s'inclina respectueusement et se dirigea vers les appartements, suivis par les autres qui semblaient tout aussi imperturbables que Kiyuri. Cette dernière se dépêcha de rejoindre sa supérieure, restant derrière elle, suivant son rythme de pas. Plusieurs personnes, en voyant les deux femmes arriver, s'écartèrent sur leur passage en s'inclinant. Kiyuri réajusta ses lunettes qui, avec le rythme des pas, tombaient de son nez fin d'Asiatique pure souche. Arrivée à l'extérieur du bâtiment, les deux vampires se placèrent proches du petit magasin à côté du siège de l'entreprise Papillon. Kiyrui surveillait les environs, cherchant un signe d'agression quelconque, surtout après ce qu'avait subi l'américain qui n'allait peut-être pas en rester là. La remarque de Nô au sujet de son confrère fit légèrement sourire sa seconde qui retira ses lunettes, étant hors du bureau et du cadre du travail.
« Soyons franc également, Nô-hime : s'il n'était justement l'un des meilleurs moyens d'obtenir toute sorte de trésors inaccessibles en temps normal, les relations entre vous et cet homme ne serait ce qu'ils seraient aujourd'hui. Et il doit certainement le savoir, la raison pour laquelle il ne s'inquiète pas tellement des répercussions de son attitude durant la négociation. »
Elle passa brièvement la main dans ses cheveux pour leur donner un air moins strict et professionnel, plus libéré. Elle soupira doucement, en regardant vers l'autre côté de la rue, toujours en surveillant les alentours.
« Cependant, je m'inquiète que ce cow-boy n'ait pas apprécié ce conflit et qu'il souhaite nous imposer une "politique" agressive. Les Américains comme lui ont cette fâcheuse tendance à l'oblitération constante de ce qui ne leur appartient pas forcément, et il déteste singulièrement se séparer de ces biens. »
Elle regarda la vampire. Une sorte de regard d'admiration traversa ses yeux quelques secondes à la vue de la belle vampire, sa chef, son amie et bien plus encore. Elle rougit un peu, réajustant son tailleur rapidement, avant de dire, doucement :
« Dois-je prévoir une équipe de nuit pour éviter tout incident, hime-sama ? »
Non loin, la fourgonnette arrivait depuis le croisement de la rue. Kiyrui se tourna vers celle-ci et l'observa quelques instants, avant de regarder à nouveau sa supérieure attendant sa réponse.