J'ai déjà eu l'occasion de visiter pas mal de dimensions. Certaines, comme les enfers, défient l'imagination, en matière de cruauté. Mais, au final, ça n'est pas réellement un problème : c'est la nature même de ces plans de constituer un infâme charnier. En revanche, Terra est différente... Ces dernières années, j'y ai passé autant de temps que sur ma planète d'origine. C'est un monde différent, que je considère d'un alignement aussi neutre que la Terre. Aussi, des choses plus ou moins condamnables, s'y passent. On pourrait croire que Nexus, cette ville marchande et libérale, s'opposant à la nation conquérante d'Ashnard, constituerait un lieu plutôt bénéfique. Il n'en est rien, loin de là. Bien sûr, il y a l'excuse du niveau technologique : les habitants de la cité n'ont guère, pour la plupart, l'éducation et les privilèges des populations terrienne occidentales. Reste que les commerçants de Nexus, pourtant classe assez aisée, figurent parmi les personnes les plus amorales que j'ai jamais rencontrées.
Je crois donc, qu'au final, je n'aime pas vraiment, Nexus... Malheureusement, il y a tant à faire, ici. La chose est simple. Si je veux être sûre d'aider quelqu'un, ou du moins de pouvoir essayer, il suffit pour cela d'errer dans une de ces rues délabrées où les malfaiteurs grouillent, surtout de nuit. Il y a toujours un individu blessé, ou en mauvaise posture, pour lequel je peux faire quelque-chose. Ça tombe bien, parce que j'ai actuellement un problème mineur, mais tout de même assez handicapant : le décalage horaire. C'est un désagrément que je rencontre souvent, lorsque je me téléporte. Je pars de la Terre, où il fait jour, et je me retrouve sur Terra, vers minuit, mais en pleine forme. Mieux vaut quand même ça, pour moi, que de me téléporter épuisée, évidemment, mais cela implique de trouver quelque-chose à faire. Comme à l'habitude, lorsque je me rends à Nexus, j'ai été chercher des habits chez un ami aubergiste, qui me fait le privilège de me mettre quelques vêtements de côté, depuis que j'ai soigné sa fille d'une maladie infectieuse. Puis je suis descendu dans une des rues sus-nommées.
L'odeur, c'est toujours ce qui me choque, d'abord. Les égouts fonctionnent mal, voire pas du tout. Les déchets sont souvent simplement abandonnés dans la rue. Je suis emmitouflée dans une épaisse tunique brune asexuée, qui cache totalement mes formes, déjà peu prononcées. Ma démarche n'est pas très féminine, je ressemble à un vagabond anonyme, qu'il ne vaut même pas la peine de dépouiller. C'est l'effet recherché. Je ne tiens pas à attirer l'attention de pervers, ou de bandits, sur moi. Il est beaucoup plus facile d'intervenir quand je ne suis pas directement agressée. Sur la route, j'ai ramassé un morceau de métal rouillé qui devait être jadis le bras d'une remorque, et je l'ai enfouie dans mes habits. J'espère que je n'en aurais pas besoin. En règle générale, je suis aussi efficace à main nue qu'avec ce genre d'arme improvisée. De toute façon, je ne suis pas une combattante.
Je connais quelques lieux chauds, la sortie de tavernes mal famées, où les bagarres sont nombreuses. Mon objectif n'est pas de les empêcher, mais de veiller à ce que tout le monde passe la nuit. J'observe avec préoccupation, à distance, quelques soûlards, qui la finiront sans doute sur le pavé, n'ayant plus les moyens de payer d'autres consommations. Ils ont l'air assez calmes. Puis, un cri déchire le silence. Voilà, je n'aurais sans doute pas perdu ma soirée. Je me hâte dans la direction d'où semblait provenir la plainte. Elle était plutôt aiguë. Une femme ; battue, violée ? Je ne tarderai pas à le savoir. Mes pas me mènent à une ruelle isolée. Ça n'est pas vraiment surprenant, qu'on se fasse agresser, dans ce genre d'endroit...
Mes yeux se posent sur un dos, couvert par une tunique crasseuse. Le bas, en revanche, n'est pas couvert, et le pantalon tombe au niveau des genoux. Derrière, je distingue une autre paire de jambes, qui paraissent appartenir à la victime. Les deux individus sont plus grands que moi. Ça n'a pas d'importance, après quelques secondes passées à analyser la situation, pour être sûre de ne pas mal l’interpréter, je crois savoir ce qu'il me reste à faire. Je m'approche, sans vraiment miser sur la discrétion. L'agresseur semble de toute façon trop occupé par son affaire pour m'entendre.
J'ai eu ma période arts martiaux, il y a quelques années, et j'en ai étudié de tous les genres. Je me souviens de quelques entraînements d'Aïkido. C'est une école, basée sur une technique d'esquive, lIrimi et dont la mentalité va assez bien avec la mienne. Comme bon nombre d'entre-eux, il cherche à utiliser la rage de l'adversaire contre lui, mais, dans un optique beaucoup moins agressive que le jujitsu, ou même le judo. En général, on s'en sert plutôt en réponse à une attaque, mais il y a quelques prises qui se recyclent bien lorsqu'il s'agit d'immobiliser quelqu'un.
Mon bras se referme horizontalement sur ses épaules, enserrant son cou : kata kiri. Puis ma deuxième main va chercher son propre bras, le tire violemment vers le haut, et le rabats finalement dans son dos : ude jodan. Aussitôt, je le tire vers l'arrière, lui faisant perdre l'équilibre : ushiro otoshi. Son odeur de mauvais alcool remonte jusqu'à mes narines. Mais même ivre, il reste costaud et assez lourd. Il se débat, dans sa chute, attrape un pan de mon habit, qu'il déchire sur toute sa longueur. Je n'arrive pas à assurer ma prise au sol. Je panique un peu, et je finis par le frapper au visage : jodan tsuki. Il continue à bouger... Mon pied part droit dans son entrejambe découverte : je ne suis pas sûre que ça, ça porte un nom précis. Il grogne de douleur. Ça n'est pas très réglo.
-Désolée, je lui lance d'une voix effacée.
J'en profite pour le retourner sur le dos, et tordre ses deux bras, avant de l'aplatir un peu plus. Je remarque qu'il a une sorte d'aiguille plantée dans la chair. Je m'occuperai de refermer la plaie avant de partir, pour être certaine qu'elle ne s'infecte pas. Je le frappe encore une dernière fois à l'arrière de la tête. Son corps se relâche, je crois qu'il a eu sa dose. Je garde ma chaussure sur son cou, au cas où. Je porte mon attention sur la jeune femme qu'il était en train d'agresser. Je la détaille brièvement, en prenant bien soin de ne pas descendre trop longtemps mon regard sous sa ceinture. Comme je l'avais d'abord perçu, elle est beaucoup plus grande que moi, étonnamment fine et élégante. Elle ne ressemble pas vraiment aux filles de mauvaise vie qui traînent dans ce genre de quartier.
Je comprends très bien qu'elle se montre un peu effrayée après avoir assisté à un tel pugilat, même s'il n'a duré qu'une dizaine de secondes, au final. J'essaie de lui adresser un signe sympathique, un léger sourire, pour lui faire comprendre que ma violence n'est pas dirigée vers elle.
-Tu vas bien ? Comment tu te sens ?
Évidemment, je me doute que tout ne ne va pas merveilleusement bien : elle vient quand même de subir un viol. Je ne peux qu'espérer qu'elle n'est pas trop traumatisé, et que si elle est blessée, elle me le fera savoir. Je ne m'approche pas plus d'elle, pour ne pas l'intimider. Un courant d'air froid pénètre dans mes habits et me fait frisonner. Je ne sais même plus exactement à quoi je ressemble, maintenant. L'ivrogne a défait la majeure partie des tissus qui recouvraient mon bras droit, et laissé un large espace de peau nue sur mon côté. Heureusement, le reste du vêtement a bien tenu. J’esquisse très prudemment un pas vers elle.
-De l'aide ?