Le droit ashnardien, contrairement au droit nexusien, avait une vision très contractuelle du mariage. Là où, à Nexus, l’Ordre Immaculé avait sacralisé cette union, rendant sa rupture plus difficile, à Ashnard, le droit connaissait beaucoup de cas de divorce, ce qui, pendant un certain temps, avait même entraîné, dans la capitale, une impressionnante valse de divorces, de mariages et de remariages. Cette pratique avait été un peu plus encadrée, mais les cas de divorce étaient encore assez souples. Ainsi, outre le cas classique du divorce pour faute, le droit reconnaissait aussi le divorce par consentement mutuel, ou encore le divorce pour acceptation du principe du divorce, mais aussi le divorce pour altération définitive du lien conjugal. C’était, en l’occurrence, ce quatrième cas de rupture qui avait retenu l’attention d’Alice. Un cas de rupture qui avait fait débat, car il était fréquent que des militaires partent en campagne pendant des mois. Ce faisant, et dans les faits, ce cas de rupture avait en réalité été conçu pour protéger les soldats. Avant ça, le divorce accepté, qui consistait à déposer une requête auprès d’un juge ashnardien, en indiquant qu’on souhaitait divorcer, mais sans forcément être d’accord sur tout, suffisait à mettre en marche la procédure, alors même que le mari, ou la mariée, pouvait être sur le front. En conséquence, la législation avait modifié le divorce accepté, en l’assujettissant à une requête conjointe, comme le divorce par consentement mutuel, et avait créé ce quatrième cas.
La seule condition était de démontrer qu’on ne vivait plus avec son mari depuis une durée consécutive d’au moins un an. Or, cette condition, Alice venait de la remplir il y a quelques jours. Un bien funeste anniversaire. Ça faisait maintenant trois ans que Sakura était partie rejoindre les Formiens, et qu’Alice n’avait plus aucune nouvelle d’elle. Elle avait pris attache avec les Tekhanes, elle s’était même rendue jusqu’au
Containment Point, mais tout cela en pure perte. Elle avait vu l’énorme dôme de la Fourmilière, si proche, et pourtant si éloignée.
Une telle situation ne pouvait plus durer éternellement, et son père, Tywill, la relançait régulièrement. Elle avait l’âge d’être enceinte, et, pour assurer la succession, il fallait un bébé.
«
Ton mariage ? Bah ! Un vulgaire bout de papier à la con ! Je lui chie dessus, moi, à tes trois petites lignes écrites par un scribouillard ! Nous parlons d’héritage royal ! » tempêtait-il, avec sa véhémence habituelle.
Son père avait raison, bien entendu. Alice se sentait prête à être enceinte, et elle avait même envie de l’être… Une envie qui l’amenait fréquemment à songer à quelqu’un, au «
bellâtre », ainsi que, dédaigneusement, certains soldats l’avaient mené quand il était venu.
Melendil.
Il était arrivé voilà un semestre à Sylvandell, et s’était vite avéré être une bonne recrue. Melendil n’avait pas reçu de formation militaire, mais était très désireux d’apprendre, et avait un corps bien bâti. Il avait rapidement fait une très bonne recrue, et avait été officiellement nommé Garde royal. Même si cette nomination avait été faite dans les règles, le fait qu’il soit proche d’Alice, et beau à en damner les Dieux, faisait que l’homme était vu comme le «
gigolo » de la Princesse, et, à ce titre, il ne cessait de s’entraîner dur, pour montrer que sa position n’était pas du népotisme, et qu’il s’en sortait très bien
Mais, au-delà de ses capacités, Alice appréciait beaucoup sa présence. Depuis ces quelques mois, depuis leur première fois à Kalkeïn, elle n’avait toujours pas oublié Melendil.
«
Tu penses encore à lui, n’est-ce pas ? -
Hm… ? À qui ça ? »
Le sourire moqueur de Mélinda n’échappa guère à Alice, qui se sentit rougir. Elles étaient dans les appartements privés d’Alice, et Mélinda était venue lui rendre visite, afin de discuter d’un sujet on ne peut plus sérieux… Le fait que le ventre d’Alice allait devoir grossir.
«
Alors, voyons les candidats potentiels. Theorem… -
C’est un esclave ! Enfin… Je veux dire qu’il appartient à Ishtar, et que Père ne voudra sûrement pas qu’Ishtar s’immisce dans nos affaires, surtout que les dragons dorés n’aiment pas les dragons noirs, et que, de toute manière, il est homosexuel, maintenant. -
Mmmhmm… Tinuviel… -
Je l’aime beaucoup, mais elle n’acceptera jamais de renoncer à son indépendance. »
Alice savait très bien où Mélinda voulait en venir. La vampire était sa meilleure amie, sa confidente, celle à qui Alice confiait tout ce qu’elle ressentait. C’était Mélinda qui s’était renseignée, juridiquement, pour savoir comment divorcer, dans le cas où la Princesse voudrait effectivement le faire. Et, en éludant la liste des amants potentiels, la vampire ovulait surtout en arriver à celui qui comptait vraiment.
«
Et quid de Melendil ? »
Aucune réponse, mais un délicat rougissement des joues, et un mordillement des lèvres, sans parler du regard fuyant et hésitant.
«
Je… Hum… Je ne sais pas… -
Je sais que tu l’aimes beaucoup, lui aussi… Tu adores le regarder s’entraîner, et, chaque fois que Cirillia vient, s’entraîne avec lui, et fait mine de flirter, je sais que ça t’émeut. -
Mais… Mais… Pas du tout ! Melendil est libre de voir d’autres filles, on ne s’est pas jurés fidélité ! -
Hin-hin… Mais ce n’est pas soin infidélité sexuelle que tu redoutes. Je vis en compagnie de centaines d’adolescentes, alors laisse-moi te dire que les troubles hormonaux et les passions amoureuses, je les repère à la ronde quand ils me tombent sous le nez ! »
Alice rougit encore, lèvres closes. Diable de Mélinda, elle lisait en elle comme dans un livre ouvert ! Pendant ces six mois, Ciri’, la sorceleuse, était souvent revenue à Sylvandell, et s’était entraînée avec Melendil. L’elfe n’avait bien sûr pas réussi à la vaincre, mais elle lui avait dit qu’il s’en sortait bien. Généralement, la sorceleuse revenait pour doucement se moquer d’Alice, fustigeant son manque d’exercice à l’épée, tirant un malin plaisir à la faire suer, avant de la plaquer sur le sol, et de lui faire ensuite l’amour.
Melendil était bien différent de Ciri’…
…Et, parlant de la louve, alors que Melendil s’entraînait dans l’une des cours d’entraînement de Sylvandell, des bruits de pas se firent entendre dans son dos.
Cirillia venait d’arriver, et esquissa un léger sourire.
«
Tu t’entraînes toujours autant, Melendil ? Si seulement notre chère tête blonde pouvait avoir une aussi belle assiduité que la tienne… »