Kalkeïn «
Il est dangereux de sortir en ce moment, Majesté, rappela l’homme, nerveux.
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C’est la fête dehors, et je m’ennuie ! répliqua Alice, n’ayant nullement envie de s’avouer vaincue.
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Nos services de renseignement sont convaincus que les rebelles ont des informateurs dans le palais, et qu’il existe une cellule dans la ville. Sortir ne serait pas très prudent. -
La peur n’a jamais dicté Sylvandell, Osmann. Le sang du Dragon coule dans nos veines, et rien n’effraie les dragons. Votre peuple organise une fête, et je veux y aller. -
C’est risqué ! répéta Osmann, n’ayant visiblement pas envie que son supérieur le réprimande pour avoir laissé partir une invitée de marque.
Ces sales Lames-Grises ont occis un juge il y a une semaine ! »
Alice soupira, agacée par cet homme. Elle regarda à nouveau par la fenêtre. On entendait les sons accrocheurs de la musique au loin, les bruits de la fête. Kalkeïn était une ville portuaire assez éloignée de Sylvandell, mais rattachée à l’Empire, et qui avait récemment demandé de l’aide. La paix impériale était menacée par des terroristes, une organisation se faisant surnommer les
Lames-Grises. L’enquête réalisée par les autorités avait permis de réaliser que les Lames-Grises étaient financées par les Nexusiens, et cherchaient à déstabiliser l’autorité d’Ashnard sur ce port, en créant une révolte. Ce port étant important pour le trafic maritime de l’Empire, il avait une importance stratégique majeure. L’arsenal de Kalkeïn comprenait une importante flotte maritime. Ashnard avait donc envoyé des troupes, et Sylvandell avait été appelée pour aider les autorités. Le commandement supposait que les Lames-Grises se faisaient fournir par des navires marchands, et avaient une cache secrète, un port, dans la région. Quoi de mieux que des dragons pour pulvériser des bateaux ? Alice avait été sommée par son père de faire partie de la délégation. Kalkeïn représentait également une certaine importance pour Sylvandell, car la plupart des ressources que le royaume importait transitaient par ce port.
Cependant, la Princesse s’ennuyait. Kalkeïn était une très belle ville, grande, avec des minarets, des musées, une bonne ambiance, mais les Lames-Grises inquiétaient au plus haut point les gouvernants de la ville. Ils craignaient que ces derniers ne cherchent à assassiner les diplomates. Alice était donc cloîtrée dans le château, ne pouvant sortir qu’avec une trentaine de gardes, ce qui n’était pas très discret. Pour elle, qui avait l’habitude de se promener dans son royaume sans crainte, cette restriction était lourde. Elle avait la chance de ne pas avoir son père sur le dos, celui-ci étant dans l’arsenal, à discuter stratégie contre les Lames-Grises. Et, pour ne rien arranger, elle avait appris qu’une importante fête locale avait lieu aujourd’hui à Kalkeïn : il y avait des danseurs, des défilés, des concerts, des animations de rues... Et il était impossible qu’elle sorte. Pour éviter des débordements, toute la garnison de la ville avait été déployée à la fête. Elle bataillait donc avec Osmann pour sortir.
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De toute manière, avança cette dernière,
Hodor m’accompagnera ! -
Je ne pourrais pas assurer votre sécurité, rétorqua Osmann,
c’est bien trop... -
Oh, vous me fatiguez ! s’impatientait Alice.
J’ai décidé de sortir, alors je sortirais ! -
Je... Vous... -
Comptez-vous me retenir de force ? -
Non... Non, bien sûr, mais... De grâce... -
Il ne m’arrivera rien ! Et, de toute manière, il y a tellement de patrouilles dehors que rien ne risque de m’arriver. »
Osmann soupira. Il cherchait probablement quoi répliquer, mais il suffisait de voir son regard pour constater qu’il avait capitulé. Un sourire sur les lèvres, Alice s’en alla donc, allant chercher Hodor. Ce demi-géant était, par excellence, le garde du corps de la Princesse. Il parlait peu, se contentant généralement de répéter son nom, et sa taille massive suffisait généralement à dissuader n’importe qui. Hodor était une vraie montagne, qui faisait plus de deux mètres de haut. Il avait la robustesse légendaire des géants. Elle le trouva dans les jardins du château, à observer des oiseaux. Il avait toujours été très proche de la nature. La seule fois qu’on avait essayé de le mettre dans un lit, ce dernier avait craqué sous son poids massif.
«
Hodor ? Hodor ! s’exclama-t-elle, afin d’obtenir son attention.
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Ho... Hodor ?! Hodor ! -
Tu viens ? Je sors ! »
C’était une question purement rhétorique ; Hodor la suivrait, quoiqu’elle fasse. Elle sortit ainsi du château, et ne fut pas surprise de voir que trois gardes avaient quand même été dépêchés pour la suivre. C’était probablement tout ce qu’Osmann avait réussi à déployer.
*
* *
La fête battait son plein, et Alice ne regrettait clairement pas d’y être. Il y avait des stands, où elle voyait des enfants rigoler devant des spectacles de marionnettistes, des bouffons qui faisaient des pirouettes, trébuchaient sur le sol, tentaient de marcher sur de gros ballons, avant de tomber sur le sol, provoquant l’hilarité des gens. On buvait, on mangeait du poulet grillé, des lanceurs de feu répandaient de longues traînées de flammes, on pariait sur le talent des jongleurs. L’ambiance était très festive, et, naturellement, il y avait beaucoup de chants. Ville cosmopolite, Kalkeïn mélangeait les traditions, et elles s’exprimaient toutes en cette soirée.
Le soleil commençait à se coucher, et Alice était à l’une des grandes places de la ville. Le soleil déclinait, éclairant les maisons, et un chant commençait. C’était un groupe de saltimbanques ambulant, et elle était subjuguée. La chanson était quelque chose dont on manquait cruellement à Sylvandell, et, à chaque fois qu’elle avait l’occasion d’en entendre, elle ne se faisait pas prier. En l’occurrence, les musiciens se tenant au milieu de la place interprétaient un
air très enjoué et festif. Ils se mélangeaient à la foule, dansant tout en jouant des instruments. La foule, quant à elle, claquait des mains, donnant le rythme.
Un sourire sur les lèvres, Alice se laissait aller. La petite Princesse était perdue au milieu des gens. Hodor observait la scène avec incrédulité, et les gardes restaient prudents, dans les coins, tout en ayant toutefois bien du mal à se laisser aller Personne ne pensait sérieusement que les Lames-grises allaient attaquer. C’était un jour de tradition, de bonté. Mais peut-on vraiment exiger de la part de terroristes de savoir faire preuve de bonté ? Dès que la Princesse de Sylvandell était sortie du château, les Lames-Grises l’avaient pisté, attendant le bon moment pour frapper. Et ce moment approchait. Ils se tapissaient dans l’ombre, observant les gardes à proximité. Ils étaient une bonne quinzaine, mais il y avait tellement de monde que personne ne viendrait la sauver. Ils se méfiaient surtout du gros monstre accompagnant Alice. Hodor était probablement le seul à être insensible à la fête, et observait Alice, grognant quand on s’approchait trop d’elle. Et une simple flèche ne suffirait pas à le tuer. On disait que la peau des géants étaient une véritable carapace, et il suffisait de voir ce colosse pour s’en convaincre.
Les Lames-Grises attendaient donc, prenant part à la fête. Ils étaient les lanceurs de feu, les danseurs, et l’un d’eux était même l’un des musiciens. Et, alors que le soleil déclinait, la solution leur vint. A l’annonce du crépuscule, une chanson coutumière était lancée. Une chanson d’amour, qui avait pour nom
Sunrise, et aux termes de laquelle l’un des musiciens se rapprochait, au choix, d’une femme présente dans l’assemblée. Les gardes ne se méfieraient pas, et, en étant suffisamment rapide, l’homme réussirait à l’occire. Il suffirait ensuite de profiter de la cohue pour s’enfuir. Plusieurs Lames-Grises se rapprochaient lentement des gardes, afin de réussir leur forfait.
Alice, quant à elle, écoutait avec passion cette nouvelle chanson. Cet air était magique ! Elle se laissait subjuguer, et, lorsque la musique vint à décliner, elle rougit en voyant l’un des artistes, avec une longue flûte, s’approcher lentement d’elle, sur les dernières notes. Tout le monde souriait et était heureux, et elle voyait la longue flûte se rapprocher. Cette arme avait déjà prouvé son efficacité lors de quelques banquets. On se méfiait trop peu des saltimbanques, et la particularité de cette flûte était qu’elle comprenait, dans un coin, une fléchette avec un puissant poison, fait à partir de venin de basilic. L’homme se rapprochait, jouant habilement de ses doigts... Et la fléchette partit alors. Alice poussa un petit cri, et plusieurs soldats poussèrent alors des hurlements de douleur, les badauds à côté d’eux tombant au sol.
«
Attentat ! hurla l’un des gardes.
Protégez la Princesse ! »
Ce fut la panique, le bonheur laissant place à la terreur. Alice sentit sa vue se brouiller. Ses doigts gantés attrapèrent la fléchette, et elle la regarda, en fronçant les sourcils. Elle vit l’homme en face de lui sortir une épée, pour l’achever, et entendit un rugissement terrifiant. L’homme ne sembla pas surpris. Hodor s’était reçu également une flèche dans le cou, et un terroriste tentait de l’attaquer avec une épée. Le demi-géant était néanmoins bien plus résistant, et l’épée frappa son ventre, ouvrant ses vêtements, laissant une entaille rouge. Le poing massif d’Hodor frappa la tête du terroriste, le tuant sur le coup. Il se précipita ensuite vers la Princesse, fauchant les passants. La Princesse, de son côté, vit la lame de l’homme se redresser, alors qu’elle tombait au sol, ayant extrêmement froid. Cette dernière risquait à tout moment de s’abattre sur elle pour la tuer.