Rectification; Kah'mui est un être à part. Ni démon, ni humain, ni rien du tout. Il s'agit en fait d'une créature que l'on ne peut que nommer Immortel. C'est sa seule particularité. Il ne peut mourir. Plus le fait qu'il soit un Roi ayant les capacités physiques et mentales d'un guerrier et magicien vétéran, ainsi qu'une intelligence vive. En Meisa, il avait songé à créer un monde utopique sans guerre et sans politique ou hypocrisie. Malheureusement, il n'était pas à l'abri des tensions extérieures à son royaume, et il devait régulièrement faire affaire avec des hommes moins scrupuleux que permis. Comme quoi le monde ne veut pas que ses habitants vivent d'allégresse et de paix. Encore un mois plus tôt, il avait été harcelé par un certain homme d'Ashnard. Plus que les armes de Gaïerite, il réclamait que Kah'mui lui cède ses mines, ce qui, bien sûr, était hors de question. Les Mines de Meisa recelaient beaucoup de matière toxique que seuls les Nains pouvaient résister en raison de leur habitude aux gaz nocifs, et Kah'mui savait que les Nains étaient les seuls qui pouvaient extraire le métal sans l'abimer, et il n'allait pas les priver de leur passion juste pour qu'un autre profite.
Mais ce soir, il avait quelque chose de plus intéressant sur son agenda. Une bande de jeunes femmes venaient d'envahir une des auberges et elles démontraient d'étonnantes capacités.
-Mon Roi, commença Alessa, se penchant sur son seigneur. Je sais que vous cherchez de nouvelles employées, mais... est-ce que cela ne serait pas prématuré de les engager? Ce sont des étrangères!
-Alessa...
Le Roi leva les yeux vers la Matriarche des Meisaennes et il leva une main. Paniquée et s'attendant à une gifle, elle se mit à genoux et baissa la tête, mais le Roi n'eut qu'un soupir, et il lui caressa la joue.
-Je ne t'ai jamais frappée auparavant, et je ne changerai pas ma façon d'être. Seulement, nous sommes en Meisa. Nous sommes une terre d'asile, et nous ne rejetons personne. Mais je ne suis pas stupide. J'aimerais que tu les accompagne ici et que tu me les présente.
-Mais... votre Altesse...!
-Alessa, je ne risque rien. Je n'ai jamais rien risqué de toute ma vie.
-Et lorsque vous avez confronté Hadès, alors...?
-... J'étais très jeune, ça ne compte pas.
-Vous n'avez jamais changé, mon Roi. Vous prenez des risques, et vous mettez délibérément votre bien être en danger pour votre seule distraction.
Cette fois, Kah'mui dût faire un énorme effort pour ne pas gifler l'impudente, mais cela aurait été injuste; elle avait parfaitement raison, et c'était pour cela qu'il s'énervait. Il prit une grande inspiration et leva un regard légèrement amer vers Alessa.
-Qu'est-ce qui me reste d'autre, Alessa? Je suis Immortel. Ma vie ne s'achèvera pas tant qu'une certaine condition ne sera pas rempli. J'ai besoin de me distraire pour me changer les idées. Et si cela inclut un peu de danger, un peu d'adrénaline et de danger imminent ne peut que me faire du bien, non?
La Matriarche le savait mieux que quiconque. Depuis deux siècles, depuis que Melisende a quitté Meisa à jamais pour épouser un Démon de haut rang, elle avait veillé sur Kah'mui, un homme abattu par la malchance et le désespoir. Meisa était paisible et ne convenait pas à la psyché d'un tel être, mais les intentions du Roi étaient tout ce qu'il y a de plus honorables; il voulait une terre de paix. Ses fils et filles avaient déjà vu leurs derniers jours, et ses descendants parcouraient maintenant le monde. Même Phèdre avait disparu dans des circonstances assez troublantes pour partir à la recherche de sa Mère et apprendre son art. Kah'mui était seul, et il le savait. Pour combattre l'ennui de la solitude, ce complexe que l'on nomme le complexe du sommet, lorsqu'il n'y a plus rien à atteindre, plus rien au dessus, il était prêt à presque tout.
-Très bien. Vous êtes trop têtu pour que je vous raisonne de toute façon. Mettez votre intégrité physique en danger, si cela vous amuse, je m'en lave les mains!
Sur ces mots, Alessa quitta le Roi, les poings serrés, et se dirigea vers l'auberge où elle s'attendait à trouver les jeunes demoiselles. Le Roi la suivit du regard, et alla même jusqu'à se lever pour aller regarder au dehors au travers des pilliers soutenant le palais royal. Beaucoup diraient que cet endroit était difficilement défendable, mais le vrai palais était une véritable fourmilière qui parcourait la montagne, pratiquement imprenable et très bien ravitaillée. Le regard de l'Immortel parcourut alors les constellations des feux de la nuit. De là où il était, il pouvait voir la garde se déplacer sur les toits et sur les remparts, comme de petites étoiles qui se déplaçaient tranquillement dans des rondes régulières. Il relâcha alors un soupir de nostalgie.
Autrefois, avant Mélisende, Kah'mui descendait régulièrement des montagnes où était établi son palais royal pour se mêler à la populace et se joindre à leurs activités, mais depuis la guerre contre Arthas et son armée d'engeances ashnardiennes, il n'éprouvait plus le même plaisir à chanter, danser et se saouler en bonne compagnie. Pas après avoir vu la mort d'aussi près. Chaque fois qu'il se mêlait à la population, il revoyait sans cesse les guerres, les meurtres, et le sang, dans toute son atrocité. Pour lui, un homme qui a tué encore plus d'être vivants que dix guerriers ayant combattu une vie entière, il ne se sentait pas en droit de célébrer, de fêter et de boire, préférant laisser cela à ceux qui n'ont pas le sang sur les mains. "Plus tu feras couler de sang et plus la vie te laissera un goût de fiel dans la bouche, fiston", disait souvent son père, Darimon.
-Ish ever thorerh oÿst, Shiha... (Tu as toujours raison, vieil homme), prononca le Roi de Meisa dans sa langue maternelle, attristé.
***
Alessa descendit avec trois de ses Meisaennes vers l'auberge où se trouvaient les Coquines. Bien qu'Alessa ne se débarrasse quasiment jamais de son armure, ses camarades étaient encore habillées de leurs vêtements quotidiens; des pantalons bouffants et un soutien gorge couvrant au moins tout. Leurs peaux basanés et leurs cheveux platines les différenciaient cependant du reste de la population, et lorsqu'elles s'installèrent dans l'auberge, beaucoup tournèrent un moment la tête vers elles, puis levèrent leur verre en les saluant énergiquement, leur arrachant malgré elles des sourires embarrassés.
-Qui c'est? demanda un marin à un autre.
-Ce sont les Meisaennes, poisson d'eau douce! Ce sont les servantes directes de Sa Majesté et ses protectrices. En plus d'être de sacrés bouts de femmes, le capitaine prétend qu'il ne réussirait pas à désarmer même la plus jeune de leurs bretteuses. Elles sont très rares, et on n'en voit que très rarement en dehors de la capitale, à moins d'une expédition! je me demande quand même ce qu'elles font ici...!