Quand on parle de malédictions, on imagine généralement des misères assez horribles, cruelles, et qui interfèrent désagréablement avec votre vie de tous les jours. Par exemple, moi je pense immédiatement à quelque chose avec des momies se relevant d'entre les morts et qui vous trottent après, ou encore à ce pauvre Atlas condamné à porter la voute céleste sur ses épaules pour l'éternité. On a aussi la démonstration du rocher de Sisyphe: un type malheureux qui pousse un caillou en forme de boule au sommet d'une colline pour le voir dégringoler tout en bas dès qu'il y arrive, et ce bien sûr, toujours pour l'éternité. Tout ça pour dire que la vie est injuste et que je compatis totalement avec tous ceux qui n'ont pas de bol.
Pourquoi je vous raconte ça? Et bien parce que depuis deux ans, Atlas, Sisyphe et moi, on pourrait se voir toutes les semaines dans le local d'une association pour paumés afin de pouvoir nous exprimer sur nos conditions de victimes frappées par une malédiction. Pourtant rien ne nous lie ... enfin, si ... mais c'est pas glorieux à raconter; j'en parlerai un peu après.
Moi, je suis innocente, j'ai rien fait! Si quelqu'un m'entend là-haut, vous avez dû vous tromper de personne! Depuis le temps que je le braille, ça doit bien faire rigoler toute la smala divine. J'en souffre, ça m'obsède, je ne veux pas mourir, ni d'épuisement, ni terrassée par une MST!
Je suis maudite, vous l'aurez compris.
Alors, je suis loin, très loin, d'avoir à douiller comme mes deux potes mentionnés au début de la présentation. Eux, c'est de la bonne grosse malédiction, bien divine, bien définie, ancrée dans l'éternité avec un objectif aussi inutile que simple et précis: t'as déconné? Tu payes! Ils savent pourquoi ils en sont là.
Moi, ma toute petite personne insignifiante qui n'a jamais fait de mal à une mouche ni commis une infraction au code de la route, mon problème est tout autre. Je ne sais pas qui m'en veut, ni pourquoi il ou elle m'a choisi, et encore moins pour combien de temps. Je vois bien que mon corps évolue normalement, pas de signes d'immortalité ni rien de ce genre là, aussi j'espère ne pas à avoir à attendre ma mort pour retrouver ma liberté.
Arrête de tourner autour du pot et lâche le morceau! C'est ce que vous pensez hein! Aaargh c'est super gênant ...
Pour faire le lien avec Atlas et Sisyphe, je vous renvoie sur
cette photo. Quel est le point commun? Que tiennent-ils entre leurs mains? Des grosses boules ... *soupir* Toute ma vie ça... Ma malédiction se résume ainsi à ça. Fatalement, je me retrouve chaque semaine à devoir m'acquitter de ma tâche ----> les boules, et bien entendu tout ce qui va avec. Ça reste flou je sais mais j'imagine que vous voyez peut être où je veux en venir. Vous allez vous dire: bon ben c'est pas la mort non plus; y'a pire. C'est ce que je pensais aussi au début et croyez moi, c'est loin d'être marrant. Je me dis même maintenant que pousser un caillou pour le restant de mes jours, ça pourrait être mieux. Seulement, je suis aussi épaisse qu'un brin d'herbe et je suis sûre que je me ferai mal ...
JE DEVAIS VIVRE UNE SUPER VIE !
Mon histoire est d'une banalité affligeante: pas d'extravagance, le calme plat, une évolution constante, une super famille (jusqu'au divorce des parents), pleins d'amis, les études, et l'envie de voyager.
J'ai eu un peu de chance au début car j'aurai pu être à moitié suisse. Mon père (français) sortait avec une fille de Genève mais s'est marié au final avec la copine de celle-ci. Cette copine, Ayame, pur produit japonais, c'est ma mère. Je suis donc franco-japonaise plutôt que nippo-franconne.
Petite je voulais être cavalière, ensuite vétérinaire, après, commissaire ... et là je suis intérimaire et accessoirement célibataire (malédiction oblige).
J'ai vécu à Paris toute ma jeunesse et je passais mes grandes vacances au Japon, à Seikusu chez mes grands-parents. Et comme mon père s'est ensuite installé avec la copine de ma mère sans nous demandé notre avis, j'ai passé la suite de ma vie au Japon pour ne rentrer en France qu'aux grandes vacances...
Aujourd'hui, je ne ressens plus le besoin de retourner en Europe, pourtant j'y suis née. Je n'ai plus envie, c'est tout. J'y ai grandi jusqu'à l'âge de 18 ans, ayant toujours vécu à Paris, à trainer entre les bars du marais et ceux de la Butte aux Cailles. J'y ai obtenu mon bac pro "Métiers de la coiffure" (je suis une artiste avec un ciseau et un peigne à la main...) et je cumule un certain nombre de qualifications dans ce domaine-là.
Et donc à 18 ans, papa décide de vivre SA vie; maman se fâche; elle et moi déménageons au Japon et je me retrouve sur un marché du travail surchargé et surtout sous-payé. Heureusement, j'ai pour moi une certaine touche artistique qui me démarque de mes concurrentes professionnelles. Là où d'autres voient une tête à coiffer, moi je vois l'occasion de créer une part de personnalité que l'on n'oubliera pas. Je ne suis pas une simple coiffeuse, je suis une artiste et c'est ce que mes client(es) disent. Dans le milieu de la coiffure à Seikusu, on connait mon nom. J'ai choisi de ne pas accepter les offres de recrutement d'ateliers huppés pour conserver ma liberté et imposer mes tarifs. Je travaille par-ci par-là, changeant de studios au gré de mes envies et me déplaçant aussi à domicile.
Ma mère vit chez mes grands-parents, en périphérie de Seikusu mais moi, j'arrive à louer un tout petit appartement assez proche du centre ville, ce qui facilite mes allées et venues en transports en commun.
Mais ça, c'était ma vie jusqu'à l'âge de 20 ans.
Pour mon vingtième anniversaire, je suis partie avec des amies faire un trek dans les montagnes environnant Seikusu, à l'intérieur des terres. On avait prévu trois jours de marche avec des arrêts programmés dans des gîtes bien définis. Et c'est là que ça a dérapé. Le premier jour, fin de journée, un déluge d'eau tombant d'un ciel bien énervé nous a forcé à ... à nous perdre. Enfin ... moi en tout cas, je me suis perdue.C'est à dire qu'à un moment, avec mes cheveux collés aux yeux, je me suis arrêtée pour essayer de m'arranger et le groupe à continué... J'ai bien essayé de rattraper les filles mais j'ai quitté le sentier qui ressemblait plus d'ailleurs à une rivière de boue qu'à un vrai chemin Trempée, glacée, en pleurs, j'ai marché jusqu'à l'épuisement, un peu comme on voit les héros dans ces films ... Ils ont une volonté de fer et n'abandonnent jamais. Sauf que moi, j'ai craqué, j'ai paniqué, j'avais mal aux pieds, j'avais super froid. J'allais mourir ... si si!
Et puis je l'ai vu, l'entrée de cette grotte. Je n'ai pas réfléchi, j'ai foncé. Il n'y a pas d'ours au japon et de toute manière, dans mon état de stress, je l'aurai foutu dehors s'il y en avait eu un. Curieusement, il y faisait bon, il y avait une chaleur ambiante réconfortante et les parois de la grotte était couverte d'une mousse luminescente. Au moins, j'étais sauvée pour la nuit d'autant plus que dehors, c'était l'horreur. Mon pote Atlas avait dû glisser ... Je me suis assise sur mon sac à dos et j'ai attendu, et je me suis endormie. Je pense avoir rêver mais ce n'est pas très clair ... Donc, dans mon rêve, ou en réalité, j'ouvre les yeux. Face à moi, la paroi de la grotte est lisse et noire comme du verre poli. Je m'en approche et la surface renvoie mon reflet, celui d'une fille de 20 ans, mince à la peau claire, avec des traits plutôt européens qu'asiatiques, même si j'ai un peu les yeux en forme d'amande. On dirait une poupée de porcelaine d'1m60 ... pas frêle mais délicate avec des courbes à deviner plutôt que dessinées, de face comme de profil d'ailleurs. Ma poitrine va de paire avec ma personnalité d'alors, discrète avec l'option exploration pour les curieux. Je passe ma main dans mes courts cheveux bruns que j'ai porté longs à une époque. Je ne suis pas androgyne mais adorablement féminine, seulement il est arrivé plus d'une fois qu'on me prenne pour un garçon efféminé. Seulement, de près, on ne peut pas se tromper, je suis craquante, c'est comme ça.
Donc, je me vois sur cette surface lisse et puis l'image se brouille, et une créature apparait à la place de mon reflet. Je hurle de terreur en me palpant frénétiquement. J'ai l'apparence d'un horrible monstre nain, humanoïde, qui ressemble à une tortue qui se tient debout, mais avec un air vraiment pas sympa. Et elle se marre. Ce n'est pas moi que je vois mais bien cette créature qui heureusement, ne sort pas du mur. Je me calme (un peu), et le truc semble me parler. Je ne comprends pas ce qu'il dit mais je précise qu'en plus, à ce moment-là, je remarque l'appendice qui durcit entre ses cuisses. Si si je l'ai déjà dit, c'est gênant! Et moi, comme une conne, je tends la main et je le touche ... enfin, je pose ma main sur la pierre ... Avec du recul, il est évident que je devais être envoûtée ou alors super épuisée parce que ce n'est pas dans mes habitudes de palper le sexe d'une tortue bipède qui parle ... Gros flash! Douleur de malade! J'ai l'impression que mon cerveau fond et je m'évanouis.
La suite est simple: réveil, la tempête est passée, plus de bestiole, je quitte la grotte en courant, coup de téléphone, on me répond, je suis sauvée.
Les premiers symptômes sont apparus deux semaines plus tard. Je coiffais un client et je me suis sentie bizarre. Ça a commencé avec des fourmillements entre les cuisses, des bouffées de chaleur, et mon client qui était banal m'est apparu soudainement mignon. A croquer! J'ai résisté, me suis sentie mal, ai préféré rentrer chez moi mais c'était l'horreur. Hum ... j'avais une irrépressible envie
de baiser de faire l'amour! Dès que je croisais un homme, mon bas-ventre s'enflammait et ... et je pensais à des trucs vraiment pas propres ... J'ai failli en crever à rester prostrée chez moi deux jours, recroquevillée comme une petite bête dans son coin. Et puis j'ai craqué. Je suis sortie de mon trou pour aller attraper le premier type que j'ai croisé. Je ne lui ai pas laissé le choix et il ne s'est pas plaint d'ailleurs; coup de chance! On a fait ça dans un coin, une ruelle si je me souviens bien et ... tout est rentré dans l'ordre pour moi.
Une semaine après, idem. J'ai essayé de résister plus encore. Sueurs froides, fièvre carabinée, vomissements ... J'ai craqué et fait le bonheur d'un autre homme.
La troisième fois, c'est là que j'ai compris que j'étais victime d'une malédiction et que la tortue devait y être pour quelque chose. J'ai préféré éviter à ce moment-là les symptômes, bien plus sournois que ceux du cycle menstruel. Et puis ça s'est répété semaines après semaines. Maintenant, j'anticipe ... pas par plaisir hein, par nécessité. J'ai bien essayé de retrouver cette foutue grotte mais sans succès; et personne ne sait de quoi je parle, même les gens du coin. J'ai aussi découvert qu'il faut que mon partenaire soit différent à chaque fois, qu'avec les femmes ça ne marche pas, qu'il faut ... hum ... que j'avale, et pleins d'autres trucs honteux encore.
Voilà où j'en suis aujourd'hui. Je traine ça depuis deux ans. Ne faites pas le compte s'il vous plait ... je suis mortifiée rien qu'à le raconter. J'ai essayé de m'isoler dans un couvent mais le docteur qu'on a appelé pour me soigner a eu besoin d'être hospitalisé après que je lui eu mis la main dessus ... Si vous vivez dans mon quartier, fuyez si vous me voyez débouler les yeux exorbités et la bave aux lèvres ... J'élargis néanmoins mon terrain de chasse là où on pourrait éviter de me reconnaitre.
J'en profite pour passer une petite annonce: si l'un de vous a le même problème que moi, ou a vécu la même expérience, j'aimerai bien en parler et partager ... et trouver une solution ou un remède.
Je précise que l'exorcisme de fonctionne pas; les prières non plus.Les décoctions à base d'orties et d'escargots, c'est une arnaque. Les pilules et calmants en tout genre me rendent juste hargneuse et je hais plus que tout April O'Neil et les tortues ninjas.