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[Jack Marston & Thanasia ] Meeting In Transit

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Thanasia

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[Jack Marston & Thanasia ] Meeting In Transit

mercredi 06 novembre 2024, 17:55:43

Pour tout le Rien, le silence et le froid que recelait l'espace sidéral, la Base Spatiale compensait  par l'agitation bouillonnante qu'accumulait son enceinte métallique.

Sanctuary.

Une super-forteresse autonome, un oursin d'antennes avec ses plates-formes de canons superposées en rizières, prêtes à déchirer l'espace de milliers de tonnes d'acier explosif contre le premier Formien qui oserait en franchir les senseurs.

Depuis un cockpit en phase d'approche, tout semblait bien calme. La lumière blanche de l'espace irradiait la carcasse de la cité flottante, celle de l'éternel trafic des engins spatiaux suivant des routes invisibles autour d'elle.

Mais en connectant son casque, l'espace s'allumait soudain d'un flux saturé d'annonces automatiques, d'instructions de navigation, d'échanges entre pilotes et contrôleurs de vol, du timbre monotones des traducteurs automatiques ou du cliquetis mystérieux de langues jamais entendues auparavant.

L'opérateur aguerri basculait alors sur son canal vocal désigné à l'aide de sa console et s'enregistrait auprès de l'Autospace Traffic Controler. Big Mama, Overlord, NMEMNYS de son vrai nom : l'intelligence artificielle contrôlant tout sur Sanctuary.

Quelque part dans l'espace, à moins d'un millier de kilomètres, une fissure violacée déchire le vide et recrache la carapace d'un vaisseau, toutes turbines lancées à fond.
Un orage de foudre retient la cuirasse et tente de l'accrocher depuis les entrailles de la fracture. Elle tente à tout prix d'avaler ce qu'elle vient de perdre, quitte à briser l'objet de ses convoitises. Mais d'un coup de gouvernail expert,  l'engin s'arrache à cette fissure magnétique qui, vaincue, se referme aussi brutalement.
Héritant de la poussée maximale des moteurs, le vaisseau dérive en diagonale. Puis son nez pivote et bascule pour s'aligner vers Sanctuary. Il envoie une première transmission dans la voix composée de sa pilote.

« VKT-99-911 pour ATC – Victor Kilo Tango – Surgissement sans calcul dans votre second anneau de détection. Confirme allié. A vous. »

La tonalité artificielle du Trafic Controler grésille un instant avant de répondre.

« VKT-99-911, bien reçu – Confirme allié - "Moniteur", appareil enregistré - Veuillez confirmer votre approche. A vous.»

« Approche confirmée. Requête de plate forme intermédiaire - Durée intermédiaire – 11ème secteur de maintenance civile. A vous. »

Nouveau bruit d'interférence d'une seconde environ, comme un simulacre de réflexion.

« Accordé/Accordé/Accordé. Maintenez vitesse de croisière jusqu'aux marqueurs de décélération.
Puis, intégrez voie IL-21 depuis les balises de trafic autorisées. Puis, suivez voie IL-21 jusqu'à jonction APP30. Puis, suivez JL-63 jusqu'au niveau -13. Puis, quittez JL-63 depuis les balises de trafic autorisées. Puis...
»

«  Ouais, ouais, ouais, ouais... » Abrège la pilote en ignorant la suite du laïus automatisé qui s’égrène toujours dans ses oreilles, rétablissant la poussée en direction de Sanctuary.
Le Moniteur, car c'était son nom, accélère de manière formidable, sans même corriger la dérive de trajectoire initiée à la fermeture du portail et la masse blanche de la Base s'agrandit en silence derrière l'affichage projeté du poste de pilotage.

Le Moniteur, surchargé par son saut dans le multivers, libère des éclairs violets qui arquent à la surface du fuselage, faisant trembler l'habitacle et disparaître brièvement les informations de vol.
 
De nombreux voyants s'allument à un rythme alarmiste dans l'espoir d'attirer l'attention sur les diverses saturations du système.
Leurs efforts sont ignorés ; Inclinée dans son fauteuil suspendu, Thanasia garde le bras tendu vers un boîtier fixé au plafond, le regard vissé sans passion sur l'indicateur de distance avec Sanctuary, accélérant vers le zéro à mesure que grimpe la vélocité.

La station prend bientôt des proportions dramatiques dans le hublot. Le calculateur cesse de proposer des trajectoires d'esquives, n'affiche plus qu'un message BREAK sur son écran.

« Survitesse, surv...* » Ses doigts gantés poussent l'interrupteur, éteignant au passage la plupart des voyants d'alarme. Thanasia pose ses pieds à plat sur le palonnier, juste avant d'enclencher une brutale inversion de poussée.

Son siège de pilote avance d'un mètre pour amortir le freinage.
Illuminée par l'échappement des tuyères de recul, la carlingue gémit avant de gronder comme le tambour d'une machine à laver.
Puis la vitesse chute enfin.
A quelques distances de la voie IL-21, le Moniteur amorce un très grand virage pour s'aligner en parallèle du trafic.

Entre les balises, la circulation spatiale est dense mais fluide.

Le train des vaisseaux défile sans hâte en ordre serré, dévoilant des engins parfois très simples et d'une beauté fonctionnelle, parfois d'une forme étrange et éclatante de couleurs, témoignant d'une culture ou d'une fonction spécifique.
Les modèles de série qui se suivent portent des logotypes de compagnies tributaires de Sanctuary . Mais l'absence flagrante de standardisation prouve que beaucoup viennent des quatre coins de l'univers et souvent d'autres plans du réel. Certains vaisseaux ont des optiques ou des pattes organiques. Des poils, parfois.
Tous suivent les antennes lumineuse qui tracent leur voie dans le vide spatial.

La navigation autour de Sanctuary s'organisait grâce à ce réseau de voies ceinturant la station, reliant la Capsule, Sanctuary et ses milliers de portes entre elles afin d'éviter blocages et collisions.

Mais plutôt que de s'intégrer au trafic, le Moniteur accélère.
Et à peine dépasse-t-il les balises d'insertion qu'un petit drone de circulation le prend en chasse. Les systèmes du vaisseau-espion spoofent sans effort la signature radar de leur poursuivant et la copient. Le petit drone, plus apte à distribuer des amendes qu'à la guerre électronique, abandonne la chasse, pensant soudain qu'il se poursuit lui-même.

Le Moniteur navigue sans obstacle le long de la IL-21, un arc électrique zappant une antenne lumineuse lorsqu'il passe à proximité.
Parvenu à une jonction, sorte de portique flottant, le vaisseau plonge pour rejoindre une autre route, plusieurs niveaux plus bas. Quelques robots autonomes s'arrêtent pour observer la course de l'engin mais aucune poursuite n'est lancée.

Enfin, le Moniteur parvient devant une des multiples portes menant au onzième secteur de maintenance civile.
C'est une zone réputée mal desservie et mal fréquentée, où la qualité des services et des pièces varie du pire au médiocre ...A moins de connaître les bonnes personnes ou d'y avoir vécu ; alors un monde de raretés à des prix abordables et à la provenance douteuse s'ouvrait à vous pour peu que vous sachiez où chercher.

Le Moniteur abandonne son déguisement radar et s'immobilise, toujours secoué d'éclairs violacés, dans l'axe de l'entrée rectangulaire.

« VKT-99-911 pour Porte 317 – Appareil enregistré demande accès à onzième secteur de maintenance civile pour atterissage. » réclame la pilote.

Deux tourelles orientent leurs vénérables canons quadruples – braqués comme des pieds de table – en direction du vaisseau. Le temps d'un scan, puis la première répond d'une voix aussi accueillante qu'un compacteur industriel.

 « VKT-99-991, accès refusé. Surcharge énergétique excédant les niveaux autorisés, réduisez votre... »

Un éclair sauvage arque sur la coque et frappe la première tourelle de plein fouet, l'envoyant valser sur plusieurs tours.

« … Surcharge énergétique descendue à un niveau réglementaire. Accès autorisé. » décrète la seconde boule de canons avant de retourner dans son axe.

Aucune agression détectée.
Diagnostic : survoltage spontané.
Sans système d'armement, le Moniteurest innocenté par le portail et immédiatement, une nuée de petits automécanos pullulent sur la tourelle hors-service.
Insensible, le Moniteur pénètre au pas dans l'enceinte pressurisée de Sanctuary, illuminé par les gyrophares de la porte. Ses réacteurs atmosphériques prennent le relais.

Le onzième secteur de maintenance civile s'accrochait au dessus du vide dans toute la disparité de ses structures métalliques. En dessous, les neuf autres secteurs. Au dessus, les dix autres.
Il s'agissait d'une sorte d'anneau périphérique, de puits extérieur logé dans un espace entre le corps de la station et son blindage externe.

Solidement boulonnées aux parois verticales s'alignaient des unités d'habitations huileuses, des plates-formes de ravitaillement, des hangars d'assemblage, des cales sèches, des commerces bas de gamme, des réservoirs de gaz, des monte-charges, des pipelines...
Et à ces premières structures s'en accrochaient d'autres, et le tout s'étalait sur des kilomètres de haut, bercé par le trafic interne qui le montait, le descendait ou en faisait le tour.

Tout ce bruit résonnait sourdement contre l'arrondi du blindage externe, contre lequel il était interdit de construire. Un chiffre Onze gigantesque y était inscrit, dominant les plates-formes de transit qui lui faisaient face, l'endroit choisi pour faire halte par le Masterclass et son équipage.

Ses trains sortis, le Moniteur traverse plusieurs voies de circulation et, épargnant les véhicules des surcharges qui le parcourent encore, descend avec pesanteur vers le carré d’atterrissage voisin. L'air vibre et chasse sous ses spots lumineux et ses propulseurs atmosphériques.

Le vaisseau-espion touche le sol avec la délicatesse d'une ballerine ivre, malgré ses systèmes défaillants. Puis il endort ses turbines dans un sifflement de plus en plus lent et grave.




Le murmure se poursuit alors que chuinte la porte latérale. L'escalier d'accès se déplie et la silhouette noire de la pilote apparaît dans l'encadrement.

Une sensation de malaise exhale alors du sol. Elle démange la voûte plantaire, remonte dans les jambes et bloque le souffle dans la poitrine.
L'instinct de survie, qui s'éveille face au danger, se met en marche à la vue de cette petite femme, sans armes dans sa combinaison simple et serrée.

Elle rappelle une peur latente, irrationnelle, comparable à une fuite de carburant dans un arsenal. Et chaque faux mouvement pourrait provoquer l'étincelle.

La moindre interaction avec cette femme pourrait mener au pire. Mais pourquoi cette impression ?
Légère comme une plume, la demoiselle emprunte seule les marches qui l'amènent sur le tarmac. Elle n'est pas armée mais le danger vient d'elle, de derrière ses yeux glacier reflétant un éclat surnaturel. Ils épellent un désastre futur, imminent mais qui peut être évité.

La demoiselle remonte la longueur de son vaisseau vers le cockpit.

Pour ceux qui gardent leur sang-froid, ils peuvent saisir que le malaise est artificiel. Il vient par vagues ; des pulsations d'autorité émises par l'inconnue auxquels l'instinct réagit. Elles semblent à peine volontaires de sa part, spontanées.
Même lorsque son regard croise celui de Marston, l'espace d'une demi seconde, il peut sentir un poids tomber sur sa nuque athlétique, comme si une main fluette, presque indépendante, l'incitait à baisser la tête.
Thanasia ne s'arrête pour quiconque et cela ne dure qu'un instant, mais Marston sait qu'il fait désormais partie d'un tableau de valeurs dans cette petite tête mystérieuse.
Les moins résolues parmi l'équipage du Masterclass n'y résistent pas d'ailleurs. Marston en surprend à détourner le regard et chercher nerveusement une occupation.

L'officier reconnaît cette attitude de vieux mercenaire, masquant sa vivacité derrière une négligence feinte.  Une vie passée à fuir ou à traquer, selon ses circonstances personnelles. Ceux qui savent que chaque être comporte une menace qui peut être évaluée.

Courante chez les gunslingers bourrus, il la trouve plus rare chez les demoiselles fluettes aux allures d'assassin pour une technocabale occulte, du genre à hanter les conduits de ventilation d'un hôtel pour étrangler un dignitaire avec une corde de piano. Du genre à piloter seule un vaisseau de guerre électronique déclassé et à se balader en combi moulante de type « je peux devenir invisible, grimper aux murs et survivre dans le vide spatial avant de sauter dans une petite robe cocktail.».
Tout simplement parce que ce genre de  gens évitaient d'attirer l’œil.
Cela dit, toutes choses considérées, atterrir dans cet étage délabré de la station pouvait constituer une forme de discrétion.
Les choses que la demoiselle semblaient être paraissaient trop évidentes pour qu'elle le soient vraiment.  Pourtant elle n'inspirait aucun air de tromperie apparente.

Elle longe son vaisseau jusqu'à hauteur du cockpit et au delà, constatant avec dépit les travaux de maintenance invisibles qu'elle allait devoir pratiquer. Deux petites créatures trapues en combinaison de mécano accourent sur le tarmac, portant au dessus de leur tête une large buse de carburant. Mais dès que la pilote se tourne vers eux, ils changent brutalement de direction et retracent en sens inverse le chemin laissé par le tuyau qu'ils traînaient dans leur sillage, boa paresseux dont la queue aboutissait à un réservoir rempli - à n'en pas douter - du fuel le plus goudroneux qu'on pouvait se procurer. A un prix d'ami, bien entendu.
L'aura réprobatrice de l'inconnue avait suffit pour réponse. Mais si les deux escrocs persistaient dans leur contestable commerce, c'est qu'il existait assez de naïfs pour les payer.

Soudain, de la voie d'accès au tarmac – celle qui menait aux droit aux portes vers l'intérieur de la station – plusieurs véhicules produisent une embardées et filent à vive allure vers les vaisseaux.

Mauvaise nouvelle. Les deux chariots de tête sont remplis de cyborgs anti-émeute.
Quand aux troisième, c'est un châssis d'un canon rotatif de 30mm qui se stabilise sur Thanasia en vrillant.

« Contrevenante ! Vôtre vaisseau correspond à plusieurs registres d'interdiction prioritaire ! Déclinez votre activité et préparez vous au processus de privation de liberté ! » aboie le haut-parleur du chariot renforcé, de la voix nodulaire du cyborg responsable.

Le voilà, le désastre épelé par la présence de l'inconnue ! Cet étalage de puissance de feu ne semble pas émouvoir la demoiselle, mais le Masterclass et son équipage sont droits dans la ligne de tir de l'énorme canon rotatif. Au moindre geste brusque, l'équipement peut cracher plusieurs dizaines de munitions perforantes de la taille d'un pied de table, transformant Thanasia – et tout organisme au delà - en nuage de poussière rose et tout équipement en râpe à fromage.

Les cyborgs avaient amené un foutu système anti-vaisseau pour confronter la pilote. Ils ressemblaient à un groupe privé, mais pourtant, ils utilisaient du matériel d'assaut conçu par les forces automatisées de la Station. Et toutes leurs armes utilisaient des lasers d'acquisition, même le canon avait un équipage. Alors pourquoi MNEMNYS utilisait-elle un proxy pour régler ce problème et pas directement ses systèmes robotiques ?

Thanasia fait un pas en avant.

Les projecteurs des chariots tournent au rouge. « Arrière ! »

« Ecoutez moi, pantins sans cervelle ! » Répond Thanasia, laissant entendre sa voix couroucée.

Elle active le datapad sur son poignet, pianote un peu puis projette un document holographique qui s'affiche sans doute dans les casque de l'équipe d'assaut. Son geste de main avait bien failli les faire tirer.
Un silence, quelques brèves délibérations, puis avec la même rapidité qu'ils étaient apparus, le contingent se rassemble et rebrousse chemin à vive allure.

La demoiselle se retourne avec la grimace d'une sang-bleu contrariée par les serviteurs d'une maison étrangère qui ne l'ont pas de suite reconnue.

L'affaire résolue, elle revient à grand pas et entreprend d'ouvrir un panneau de maintenance sur le ventre de son vaisseau. Pour ce faire, elle doit pousser et grimper sur un caisse car, à l'exception de la poupe, le corps du Moniteur disposait d'une importante garde au sol qui permettait de circuler sans peine en dessous.

Une accumulation de fumées dues à un incendie électrique s'échappe dans les airs lorsque s'ouvre la bouche d'acier. Les flammes sont éteintes mais les dommages sont là.
Alors la vampire se met au travail. Elle rentre chercher une caisse à outils flottante et grimpe sous la carlingue. Elle semble soudain bien seule, agrippée au dessus du vide, entreprenant les travaux de maintenance d'une équipe entière de mécanos. Elle n'a clairement pas l'équipement adéquat et la tâche semble retorse, mais pourtant ses gestes sont sûrs. La pilote sait ce qu'elle fait.
Après avoir tiré trop fort sur un câble, tout un boîtier s'arrache avec et s'éclate sur le tarmac en dessous.

Pendue façon chauve-souris, la vampire passe un appel :

« Brdl'k, je suis sur Station. Secteur de maintenance. Oui, on discutera plus tard j'ai besoin de pièces. »

Elle raccroche et continue de compulser les sites de surplus, la tête en bas sur son datapad, une moue absente sur le visage alors que défilent les images sous ses yeux.
« Modifié: mercredi 06 novembre 2024, 18:15:24 par Thanasia »

Jack Marston

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    Description
    Jack est un ancien militaire et le premier officier du Masterclass, un vaisseau de chasseurs de primes. Il sert sous les ordres du capitaine Spike Masters, avec qui il a déjà servi dans l'armée.
    C'est le bout-en-train de l'équipage, mais aussi son arbitre.

Re : [Jack Marston & Thanasia ] Meeting In Transit

Réponse 1 jeudi 14 novembre 2024, 00:30:47

« Alors… A quoi tu penses, mon grand ? »

Zoe avait pris son temps avant d’aborder le sujet épineux, tirant profit du temps que lui prenait l’enregistrement de la cargaison débarquée avant de valider son envoi pour vente à un intermédiaire de confiance. Elle avait insisté pour que Jack soit présent afin de les protéger, elle et les caisses, mais la vérité était qu’elle voulait tirer les choses au clair.

Depuis des mois, le second et le capitaine, Spike, s’éloignaient doucement mais sûrement. Les opérations du Masterclass ne rencontraient que peu de succès. Il faut dire qu’ils avaient passé plus de temps à accumuler les frais d’ancrage qu’à chasser des primes, ce que Jack avait fait à tour de bras, embarquant avec sa Lina, son vaisseau personnel, dans des aventures en solitaire parfois très dangereuses, mais profitables, tenant le navire à flots sans pour autant voir le moindre changement positif ; au contraire.

Le Masterclass se désagrégeait, et ce n’était pas que le fait de leur discorde. Spike refusait de bouger en dépit des harangues de son frère d’armes et on ignorait pourquoi. Zoe ne pouvait pas naviguer et elle voyait bien les comptes flirter avec le rouge de plus en plus sûrement. Quant à Lana, elle avait laissé tomber ses opérations et avait elle aussi commencé à travailler de son côté, comme collectrice et vendeuse d’informations. Elle commençait à se faire de l’argent et il était de plus en plus improbable de la retrouver à bord en cas de départ. Jessica, elle, ne quitterait pas le rafiot tant qu’il tournerait, mais même elle s’ennuyait comme un rat mort sans rien d’autre que des contrôles et de l’entretien de routine. Allegra, elle, était encore un cas à part : elle mettait ses compétences à profit dans une clinique à chaque arrêt. Pour elle aussi, pourtant, cet arrêt interminable ouvrait de plus en plus la voie à un engagement plus officiel.

Le Masterclass perdait son âme et Jack le sentait. Cette fois, Spike et lui avaient eu une dispute vraiment compliquée. Il avait appris ses aventures avec une créature intangible, une autre Jessica, d’ailleurs, et avait voulu savoir de quoi il s’agissait. Il n’avait pas aimé son ton et il lui avait demandé ce que ça pouvait bien lui foutre. Tout était sorti, d’un côté comme de l’autre, mais, au final, ça n’avait rien donné : Spike refusait de s’expliquer ou de donner un cap à son équipage. Même Jack ne pouvait pas tenir un équipage absent et las. Il songeait clairement à sortir Lina pour de bon et à acter son départ.

« C’est une sale affaire, » lâcha-t-il avec lassitude avant de tirer les dernières lattes de sa cigarette et de la jeter hors du ponton. « On n’en sortira pas indemnes. Je n’aimerais pas devoir être celui qui prononcera les mots fatidiques. »

Avec un pincement ému, la navigatrice vint poser une main sur son bras, avant de l’entourer du sien et de s’y coller à la manière d’une chatte.

« Personne ne t’en voudrait. On t’aime parce que tu es ce que tu es, Jack. »

Il inspira profondément avant de soupirer doucement, puis il se tourna vers elle et l’enlaça tendrement un instant. Se reculant, il hocha la tête avec émotion en détournant les yeux et la remercia du bout des lèvres. En temps normal, ce geste aurait initié un petit jeu qui aurait conduit à des galipettes réconfortantes à bord une fois leur travail terminé, mais le sort en voulut autrement.

Lorsque le Moniteur était arrivé, tout le monde avait senti, instinctivement, que quelque chose était sur le point de se passer. C’était comme une tension qui s’était abattue sur le quai et avait frappé chaque personne subitement, causant l’arrêt des activités et un suivi hypnotique des événements. Mais Jack avait surmonté la tétanie comme il avait surmonté tant de fois celle précédant l’assaut des tranchées ennemies pendant des années.

« Zoe, finis de… Zoe ! Finis le compte et envoie ! »

La navigatrice, secouée, hocha la tête. Elle avait fait traîner les choses. Elle avait déjà fini de toute façon, et elle signa électroniquement le bon d’expédition avant que les chariots portant les chargements se mettent en chemin automatiquement vers la réserve de son contact. D’un signe de tête, il la renvoya à bord d’un air sévère, et il revint avec attention au cas du sinistre vaisseau. Il semblait endommagé ; assez sérieusement endommagé. Et, une fois posé, il révéla son personnel navigant, ou, en tout cas, une personne du bord.

Le tremblement flottant dans l’air s’accrut et le chasseur de primes sentit un frisson descendre son échine en suivant des yeux celle qui était descendue. A première vue, elle n’était pas impressionnante : petite, fine, souple, l’humanoïde aux cheveux roses laissait cependant planer un sentiment viscéral. Malgré les apparences, elle était un prédateur. Elle ne transpirait pas qu’une assurance martiale évidente que reconnut immédiatement le vétéran sur elle, mais aussi cette tranquillité mortelle que pouvaient transpirer certains prédateurs incontestés dans leurs milieux, comme le lion sur Terre. Il ne savait pas ce qu’elle était, mais elle était dangereuse, et tous le savaient à un niveau instinctif.

Quand il croisa son regard, Jack sentit la sensation l’écraser subitement. Il faillit bien trembler et glapir, mais il parvint à se contenir et, lorsqu’elle passa à autre chose, il sentit l’impression se dissiper, puis revenir, moins forte, puis se dissiper encore, puis… Il cilla. S’agissait-il d’un mécanisme naturel ou artificiel ? Avait-elle des phéromones particulières ? Des pouvoirs psychiques ? Ou un émetteur d’ondes particulier ? Sa curiosité, piquée au vif, l’aida à sortir de sa torpeur et à suivre les choses de façon plus analytique. Quand elle congédia les petits attrape-touristes et géra l’intervention musclée des forces de sécurité de NMEMNYS, l’intelligence artificielle, sans doute générale, qui contrôlait cette station pléthorique, il fut complètement captivé.

Il ne savait pas qui était cette femme, pour peu qu’elle soit sexuée, mais il devait la connaître ! Et puisque les robots avaient dit qu’elle était recherchée à plus d’un endroit… Jack sortit soudain une tablette de sa poche et entra dans un registre libre de recensement des primes en vigueur, ici, ailleurs, partout. Il entra les spécificités du Moniteur et de l’inconnue et en sortit un dossier qui lui tira un sifflement. Il reconnaissait un dossier gonflé et bancal quand il en voyait un, mais tout de même, il était sacrément touffu, et ça, c’était impressionnant.

Son regard revint sur elle qui, une fois la sécurité partie, avait ouvert une trappe et disparu temporairement dans un nuage de fumées froides toxiques. Qu’est-ce qui était vrai dans son dossier, comme dans son aura ? Le chasseur de primes las et fatigué savait reconnaître une opportunité en la voyant, et il se sentait stimulé à l’idée de sonder l’objet de ses interrogations. Sur la base, il ne pouvait rien faire, mais elle non plus à priori. Ainsi, il pouvait toujours tenter de l’approcher, et il avait une idée de la manière dont il pouvait le faire. Il avait déjà attrapé un sac d’outils pour s’avancer vers le Moniteur quand un composant entier tomba de la trappe ouverte et s’écrasa sur le ponton. Il marqua un arrêt surpris avant de continuer d’un pas prudent, puis s’avança en entendant qu’elle passait un appel.

Il passa sa tête par la trappe pour voir la tête rose suspendue en train d’inspecter une tablette, manifestement en train de chercher des pièces détachées. Il l’observa quelques secondes avant de la déranger enfin :

« Vous savez ce que vous cherchez ? Trouver son bonheur au bon prix est presque impossible sans les bons tuyaux. »

Leurs regards se croisèrent et Jack combattit la soudaine sensation de vulnérabilité et de peur le prenant. Manifestement anxieux et incertain, il déglutit avant de se redresser avec un sourire goguenard.

« Je m’appelle Jack. Et si tu as besoin d’aide, je veux bien te donner un coup de main. »
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