Lyana n'était pas ici depuis très longtemps. Son arrivée au Japon s'était faite sur un simple coup de tête, une opportunité à saisir. Elle ne parlait que moyennement la langue, mais pour une future ambassadrice, s'ouvrir au monde et à d'autres cultures paraissait comme une évidence. Quitter son université, ses amis, ses habitudes, en France était une autre paire de manches. Elle avait bien hésité quelques jours, passant alors le plus clair de son temps assise en tailleur sur son lit, la feuille de stage tenue délicatement entre ses doigts, comme un trophée qu'elle ne souhaitait surtout pas abimer ou froisser. Puis l'envie lui était venue soudain, l'irrépressible désir de changer d'air.
C'était la première fois finalement qu'elle quittait le cocon familial. Elle n'avait aucune idée de sa propre réaction. Au bout d'un mois là-bas, à l'autre bout du monde, elle pouvait enfin en déduire que son acclimatation s'était relativement bien passée. Elle pourrait retenter l'aventure, à l'avenir. Elle se sentait libre, sans vraiment d'attache matérielle. Sa mère lui manquait, bien entendu, mais d'un autre côté elle se rapprochait des pas de son père, qui avait servi dans ce pays. Elle respirait en cet instant le même air que lui ne l'avait fait. Elle se créait petit à petit en quelque sorte des souvenirs communs. C'est en cela qu'elle trouva dans le Japon une sorte de seconde maison...
De son petit appartement situé au 15è étage d'une immense tour ancienne, à l'aspect quelque peu détonnant dans le reste du paysage, elle surplombait des quartiers de la ville, mais surtout la plage, là-bas, à quelques centaines de mètres seulement. Un lieu qu'elle connaissait dorénavant par cœur. Chaque matin, juste après le réveil, la jeune étudiante partait y faire son footing: l'aller-retour de cette immense plage. Elle y croisait des habitués, qui lui renvoyaient la plupart du temps son sourire et son petit signe de tête amical. Elle avait tout de suite été sous le charme de la simplicité et de la chaleur des gens d'ici.
Une plage qu'elle côtoyait aussi de manière régulière en pleine journée, ou en fin d'après-midi, juste après son travail. Sans même passer par chez-elle, elle se glissait là, retirant aussitôt ses talons de ville afin de fouler le sable fin et chaud , le sentir se mouvoir entre ses orteils, et demeurer un temps indéterminé, allongée ou assise au bord de l'eau, à écouter le doux mouvement des vagues venant s'échouer à quelques mètres à peine.
Les journées étaient longues. Stagiaire signifiait bel et bien être l'esclave moderne de son employeur. Cette dernière, une femme énergique à la trentaine passée, passait son temps à lui intimer des ordres plus farfelus les uns que les autres. Au moins s'améliorait-elle dans les langues, mais en ce qui concernait les ressources humaines, elle se disait qu'elle n'en saurait guère plus à son départ.
Alors, ce jour-là, jour de repos bien mérité, elle le passa une fois de plus dans ce petit coin de paradis, cette bulle que personne ne pouvait venir éclater. Très sportive, Lyana avait déjà testé beaucoup d'activités: que ce soit le surf, la voile, le jet ski,... Là, c'était au tour du Wake surf, une activité à la mode consistant à se laisser entrainer par les mouvements et les remous d'un bateau pour surfer sur les vagues et remous provoqués par ce dernier. Une séance intense, dans laquelle la jeune femme libéra toute son angoisse. Elle était indéniablement dans son élément.
A son retour sur la plage, trempée de la tête au pied, elle se sentait libérée, heureuse, pleine de vie. Sa combinaison de sport la moulait peut-être un peu trop, marquant ses formes plus que de raison, et elle du la réajuster sur elle afin que le bas arrête de lui rentrer dans les fesses, mais elle se moquait bien de ce léger désagrément. En cet instant, les journées de travail étaient bien loin. Si elle avait pu se le permettre financièrement parlant, elle serait bien repartie pour un tour. Au lieu de ça, elle allait passer le reste de la journée à somnoler sur la plage, à se laisser bercer par les doux rayons du soleil.
C'est avec cette délicieuse pensée en tête qu'elle percuta doucement quelqu'un. Maladroite qu'elle était, encore dans ses nuages, elle avait continué d'avancer sans même regarder où elle mettait ses pieds. Son premier réflexe fut de s'excuser platement. Son regard croisa enfin celui de sa pauvre victime: une ravissante femme à la chevelure de feu, rayonnante au soleil:
"Pa... pardon... je suis vraiment navrée... j'espère que je ne vous ai pas fait mal... pardon..."