« Vous êtes un fin observateur, Monsieur, cela est une qualité rare de nos jours… Je ne sais point si l’on peut parler de dons en l’occurrence, car je n’ai fait que partager mon savoir en l’art de m’occuper des végétations et les êtres des bois qui vivent autour de nous, veillant à m’occuper d’eux avec respect mais également en répondant à leurs besoins, en restant à l’écoute de leurs moindres joies ou douleurs, aussi en m’assurant qu’ils ne manquent de rien et que nul mal ne leur soit fait. »
Offrir de bonté et recevoir comme une vertu. C'était là exactement ce qu'elle lui présentait, un échange tout naturel, délicat et attentionné, la source même de la tendresse la plus évidente, celle que l'on offre dans le plus grand désintérêt, n'espérant découvrir que le bonheur d'autrui. Certains en étaient capable, c'était un fait, envers leurs proches ou leurs familles directes tout du moins, l'être humain ayant bien du mal à agir avec pour seul but de propager grandeurs et soins envers autrui, mais ce que défendait cette belle dame allait bien au-delà : Elle lui offrait par ses dires l'image d'un milieu paradisiaque où les vertus candides raillées dans le reste du monde trouvaient racines, sous une forme que nombreux considèreraient comme tout à fait illusoire. Faire preuve de bonté envers le monde qui l'entourait, envers la moindre forme de vie, qu'elle soit animale ou végétale, afin de créer une osmose naturelle entre l'ensemble des espèces qu'abritaient ce milieu forestier voilé du reste du pays. Le vampiroïde leva ses yeux sur la forme délicate qui venait de lui prodiguer cet aveu d'une mine fuyante, comme craignant qu'elle exprime là un fait pour le moins trop idyllique pour être crût, mais tandis qu'elle se tourna en direction de la porte de son logis, qu'elle en fit jouer la poignée afin d'en emporter le loquet, l'homme gravit la distance qui les séparait de deux pas, lui offrant une digne réponse alors qu'elle se permettait de lui présenter l'accès à sa retraite dans la plus grande des amabilités.
« Je suis navrée si ma réponse peut décevoir, car nulle magie n’est derrière tout ça, hormis celle de la vie et du vivre-ensemble…
- Si l'on ne peut pas parler de don, je ne sais quel autre nom donner à cette pensée. Abnégation en tiendrait un sens du sacrifice que je ne perçois pas, et innocence me paraît connoter une inconscience qui dénote avec les résultats que j'ai pût observer. Permettez moi donc de vous rassurez, nulle déception de ma part et bien sûrement beaucoup de respect de constater que vous êtes parvenue à créer, en si peu de temps, un tel Eden à la simple mesure de la vertu. »
Le propos était élogieux, il n'en pensait pas moins. Ce monde, il l'avait déjà pensé lors de ses pérégrinations, possédaient en son sein bien des êtres, et tous avaient une science particulièrement bien étudiée et appliquée : Celle de se haïr et se défier par tout les moyens. Les guerres se devaient de fleurir comme le chiendent au milieu d'un pré, le malheur comme miel d'un pollen que de merveilleuses petites abeilles appelées soldats s'adonnaient à accumuler avec grande vigueur. Trouver un havre de paix était déjà une affaire quasiment impossible, invraisemblable en Terra, tandis que la Terre, cette autre dimension, développait l'horreur sociale sous de biens différents traits, mais avec tout autant de sadisme et d'assurance dans leurs choix dégoulinants de malfaisance. Alors, outre le fait qu'il était arrivé en ces lieux en paix, prêt à simplement livrer les dernières volonté d'un vieillard endetté d'une conscience trop lourde, découvrir ainsi un milieu dont l'ensemble des apparences et des propos témoignaient de bonté et de tendresse était vraiment déstabilisant. Bienvenue, mais déstabilisant. Est-ce que cela se percevait sur son visage ? Peut-être. Peut-être qu'un court instant, à cette pensée, de nombreuses années de voyages éprouvants, marqués par le besoin de se défendre et survivre en tout instant, laissèrent passer sur le faciès de Darthestar un air tendre et apaisé, de ceux qu'un homme qui en a déjà trop vu en trop peu de temps. Des traits légèrement tirés, des yeux légèrement plissés, mais un sourire nostalgique, comme pour rappeler un court instant les bons espoirs qui animaient autrefois un cœur qui avait confiance en l'humanité. Elle l'invita à entrer dans sa demeure, il opina respectueusement avant d'y répondre positivement sous la forme de quelques pas solennels, empreints de respect.
Naturellement ses yeux s'égarèrent. Il n'était pas homme à se montrer impoli, mais la curiosité prenait de plus en plus le pas sur le reste de ses bons comportements, nourrit par le besoin de comprendre celle qui l'avait ainsi invité en son village, en sa pacifique retraite. Elle lui fit mine de s'installer en un endroit, et l'homme acquiesça certes, mais pour l'instant se contenta de poser son chapeau sur la table qui se présentait à lui, puis d'enlever le manteau qui le couvrait en permanence tout en captant les divers détails de la maisonnée. Enlevant une manche, il pointa son menton vers les bibliothèques de cette dame, captant quelques-uns des titres qui semblaient avoir envahis les rangées inférieures de ceux-ci, révélant ses études de botaniques. Se libérant du bord opposé, il tourna naturellement son regard vers le reste de la maisonnée, un petit étage se dévoilant certes, mais avec discrétion, les différents chemins de la petite bâtisse se tamisant de la pudeur de longs rideaux de perles et de verroteries, délicates structures révélant l'existence sans dévoiler les secrets. Enfin, alors même qu'il laissait lui-même percevoir ce qu'il cachait généralement, son corps vampirique où les cicatrices les plus anciennes s'étendaient encore en de nombreux points de sa chair, de l'épaule au cœur ou de la nuque au coude gauche, il pût contempler la forme délicate de son hôte se glisser par une petite ouverture de clochettes tintinnabulantes pour alors atteindre ses cuisines, forme délicate et monochrome dans cet abri pourtant chaleureux. Comme la neige près d'un feu de cheminée, elle semblait à son place mais fragile, éphémère, comme si la douceur de la maisonnée compensait encore quelques anciennes cicatrices qui ne voulaient s'apaiser.
« Souhaiteriez-vous de l’eau comme vous l’avez mentionné tout à l’heure ? Ou préférez-vous une boisson chaude comme une tisane ou un thé ? Ou bien encore une infusion fraîche ou un jus de plantes ou fruits ? »
Elle le prit au dépourvu. Perdu dans ses observations, ses spéculations aussi par ailleurs, l'homme n'avait plus en tête l'objectif premier de cette invitation. Comme quoi, il en fallut peu pour le déstabiliser, entre l'étrangeté de ce village, l'aveu de bonté de son hôte, ainsi que son abri, mélange élégant de confort et de respect de la nature environnante. Il apposa délicatement son manteau sur le dossier d'une chaise, tout en faisant mine de réfléchir. Il était de fait qu'il avait, à l'origine, eut la volonté d'accepter poliment l'invitation pour ne pas imposer un refus froid à cette dame de bien plaisante compagnie, jugeant qu'elle méritait les explications qu'elle désirait, mais désormais son propre besoin de réponse enrayait la machine. Avait-il besoin de quitter si hâtivement les lieux ? Rien ne l'empêchait de perdre un peu de temps, de poursuivre la discussion tant que celle-ci ne provoquait pas de réelles difficultés à son hôte. Le reste du village dormait paisiblement, qu'est-ce qui les empêchait, voyageurs nocturnes solitaires, de s'octroyer le droit d'un échange sincère, loin de tout les regards ? Rien, aussi c'est pour cela qu'il tira doucement la chaise où il avait installé son épais manteau, soulevant les pieds pour ne point faire gratter le bois contre le bois, tout en se permettant une réponse accompagnant un sourire sincère :
« Eh bien si vous me posez la question et m'offrez le droit de changer d'avis, je crois que je pourrais me laisser tenter à autre chose que de l'eau. Un thé ou une tisane me conviendrait parfaitement, à la mesure de ce que vous comptez vous-même vous préparer. »
Il l'aiguillait mais la laissait maîtresse du choix. En soi, il ne connaissait guère ce que le village avait à proposer, ce qu'elle-même avait à lui offrir, alors autant se laisser porter par une honnête découverte ? Par chance, il pouvait consommer autre chose que du sang, ses premières années en tant que créature ayant été tant marquée par sa première métamorphose en vampiroïde qu'il avait longtemps été incapable d'ingérer la moindre forme de sustention hormis le précieux liquide sanguin. Son corps de maintenant parvenait à gérer ces autres apports, même s'ils étaient souvent bien moins nourrissant que le liquide vermeil, aussi il bénissait sa nouvelle condition qui lui offrait enfin le droit de se permettre d'autres plaisirs. Bien entendu, il ne comptait pas rester en ces lieux suffisamment longtemps pour que son hôte découvre les limites de son régime alimentaire, aussi ne se voyait-il pas en faire la mention, s'apprêtant donc juste à se laisser surprendre par ce qu'elle allait lui présenter pour entamer leurs discussions. Tout logiquement d'ailleurs, l'homme s'installa promptement à la chaise qu'il venait de se tirer, se positionnant droit contre l'assise pour alors observer la dame lunaire opérer au charme de la préparation de leur boisson nocturne, sans dire mot. L'attente ne serait guère un problème, il se contenta d'ouïr le bruit de l'eau qui chauffe doucement pendant un temps, profiter de la chaleur délicate de l'endroit tout en contemplant les délicates intentions de celle qui l'accueillait. Il finit toutefois par briser le silence non pas par gêne, mais simplement pour lui offrir potentiellement l'ouverture nécessaire pour qu'elle puisse poser ses questions, afin d'entamer la discussion :
« Si vous le souhaitez, vous pouvez commencer à poser vos questions. Je doute que l'eau ne se fâche de ne pas posséder votre pleine attention et j'imagine que vous bouillez vous-même du désir d'en savoir plus ? »
Il marqua une pause, enveloppant son menton de ses doigts gantés, dans une position de réflexion personnelle. Puis, du même ton délicat, relança ses termes avec un petit ajout supplémentaire, moyen pour lui de porter une attention nouvelle à leurs futurs échanges.
« J'y pense, mais je peux même vous inviter à expliciter en premier lieu l'ensemble de vos questionnements. Je les couvrirai ainsi les unes après les autres, afin de brosser l'ensemble du tableau. Cela ne vous empêchera guère de demander plus amples détails, mais au moins pourrais-je couvrir le tout de vos curiosités ? »