- Desco, jour de chance, Phil t’appelle dans son bureau.
Parfait. Le lundi matin est déjà suffisamment éprouvant pour s’ajouter le stress d’un entretien avec le Chef des Ventes. La petite voix moqueuse de Baku s’était transformée en rire de vautour, comme à son habitude, quand il pouvait prendre plaisir à la détresse des autres… Tocard. Elle leva bien haut son majeur à son attention en se levant de son siège, laissant sa tasse de café qui serait surement froide à son retour.
Phil sirotait le sien, lui, quand elle entra dans son bureau, où Ichika, sa secrétaire, déposait des parafeurs et des dossiers à signer en lui lançant un sourire discret.
« Hé, salut Phil. » Paraître décontractée, même si être convoquée n’était pas souvent bon signe. Rapidement, Kara tentait de se souvenir de ses chiffres du mois-dernier, pour estimer le niveau de soufflante qu’elle aurait à essuyer, et s’indigna un peu : ils n’étaient pas si mauvais que cela !
- Desco, pose-toi. Ichika, apportez un café à Kara, s’il vous plait.
Oh, merde. Il l’avait appelé par son prénom. La petite assistante avait capté aussi cette note anormale, et échangea un regard avec elle, levant un sourcil avec un œil brillant. La Commerciale le savait : Ichika était friande de potins divers et cette familiarité que le Directeur se permettait serait colportée rapidement dans tout l’étage, puis la Tour entière.
Elle resta une heure dans son bureau, et lorsqu’elle reparut devant Baku, dont le visage était à la limite de l’expression extatique d’un homme sur le point de jouir tant il s’attendait à ce qu’elle lui annonce son départ, Kara lui offrit un sourire qui lui coupa tout orgasme.
« Dans ton cul, Baku, jsuis assignée au Pôle Entreprises, bye bye les petites vieilles sourdes et les immeubles miteux, tu reprends mon secteur, moi je vais croiser que des mecs en costards-cravates ultra sexy avec un max de blé, et toi, tu vas démarcher des adolescents boutonneux à scooter. »
BOOM. Elle se permettait de fanfaronner autour des collègues qui s’étaient agglutinés autour d’elle pour la féliciter, non sans bouder son plaisir de la mine rageuse de Baku qui regrettait sans doute d’avoir vendu la peau de l’ours un peu vite.
En réalité, ce n’était pas si rose comme évolution, et pratiquement pas une promotion. Elle avait deux mois pour faire ses preuves au Pôle Entreprises, trouver de nouveaux partenaires au long terme, et notamment démarcher un maximum de nouveaux entrepreneurs en ville. Miser sur la méconnaissance des nouveaux arrivants avait toujours été une stratégie payante, quoi qu’on vende, après tout… Elle n’en tirait aucun avantage salarial, bien entendu, mais Phil avait évoqué une augmentation si elle faisait évoluer le chiffre d’affaires. C’était surtout la marque de confiance qu’il lui témoignait qui la touchait, à vrai dire. Il était impossible de le décevoir !
Ne voulant surtout pas montrer qu’elle se reposerait sur ses lauriers, la jeune femme avait immédiatement embarqué son ordinateur portable et sa plante verte dans son nouveau bureau, et ne souhaitait pas s’attarder. Dès l’après-midi, elle serait sur le terrain, il fallait qu’elle frappe fort, dès le départ ! Elle rêvait déjà de cette augmentation, du casque qu’elle pourrait s’acheter, peut-être même un nouvel écran ?
Boostée au maximum, ravie du soleil qui tapait comme il fallait sur sa tête, elle avait un listing précis des nouveaux entrepreneurs installés dernièrement sur la Zone Industrielle, et avait tout naturellement commencé… au hasard. Trop facile de prendre le premier nom de la liste ! Kara aimait laisser parler son instinct, après tout… Et la petite tête de linotte partait donc bille en tête, sa petite valise à roulette trainée derrière ses talons, tailleur plutôt repassé mais pas trop -c’était LUNDI, pas le temps de réfléchir, le réveil avait été compliqué- devant ce qui avait l’air d’un bâtiment identique aux autres.
Un coup d’œil à la plaque lui garantit qu’elle était au bon endroit. La jeune femme prit une profonde inspiration, avant d’entrer. Toute personne ici présente repartirait avec un bon de commande signé. L’enthousiasme de la jeune femme fut légèrement cogné lorsqu’elle constata qu’elle était horriblement seule dans ce qui était le petit hall d’accueil de la clientèle. C’était abominablement peu chargé cet endroit… D’un œil critique, elle leva un sourcil pour se concentrer sur la clochette. Sa vue la fit rire, seule, admirant le petit marteau comme une gamine intriguée.
DING.
Elle pinça les lèvres pour éviter de rire à sa bêtise. Qui n’en était pas une, c’était noté de sonner hein. Docilement, tirant sur sa veste pour espérer faire disparaître les plis, elle recoiffa rapidement sa frange irrégulière comme taillée au couteau à beurre. Son œil fut attiré de l’autre côté du comptoir sur la vision du fameux occupant des lieux. Ca existait encore, ça, les « forgerons » ? Elle le considéra de loin, voyant assez mal à cette distance, mais cillant en découvrant sans mal qu’il n’avait pas de t-shirt. Ah, parfait. C’était réglementaire ça ? Oh, évidemment, c’était loin de lui déplaire, mais elle s’en amusa intérieurement.
« S’il vous plait ? »
Kara se risqua à sonner une seconde fois, estimant qu’il n’avait pas entendu, essayant de ne pas paraître trop impatiente. Allons, allons, plus vite.
La patience n’étant pas son fort, la Commerciale eut une petite moue, avant de contourner le comptoir sans gêne, et vint toquer à la vitre, collant son front et son nez à la paroi.
« Hé hoooooooooo »