«
Je n’aime pas ça... soupira Tyraël.
-
Ce livre est une arme ! s’énerva Imperius.
Il faut l’utiliser ne tant que tel ! Vous avez vu la rage de Nyarlathotep, non ? C’est ce livre qu’il voulait ! C’est donc bien la preuve que nous disposons d’une arme qui nous permettra enfin de rendre des coups ! -
J’ai toujours considéré que le savoir était une bonne chose, et que rien ne devait le réfréner, psalmodia Malthael.
Ma position a toujours été d’encenser la connaissance, en estimant qu’elle était neutre, et que, finalement, c’était l’Homme, au sens général du terme, qui lui donnait une valeur morale. Mais, en voyant ce livre, j’en viens à douter de mes propres concepts. »
Le Conseil des Angiris venait de se réunir. Ils étaient cinq, assis autour d’une table. Au centre de cette dernière, il y avait une sphère magique, qui vibrait et tourbillonnait sur place, retenant les effets du livre infernal situé à l’intérieur. Le
Necronomicon, récupéré par Lucifer. Un livre infernal, et qui, selon les Anges, était la seule raison expliquant pourquoi Nyarlathotep s’était ainsi acharné sur eux. Les Archanges avaient immédiatement récupéré l’ouvrage, et avaient pu constater combien ce dernier était nocif.
Malthaël, Archange de la Sagesse, avait toujours vu la connaissance comme une chose à protéger. Ni bonne, ni mauvaise, mais
nécessaire. Il avait admis que la connaissance était corrélative au niveau de développement de la population, et qu’on ne pouvait pas, par exemple, enseigner les secrets de l’atome à des civilisations ayant à peine atteint le stade féodal, mais, en soi, Malthaël avait toujours considéré que la connaissance était à encenser, et qu’aucune forme de savoir ne devait être proscrit. Mais ce livre... Il était impossible de s’y méprendre. Ce livre était
par nature maléfique, et tout sons avoir n’était autre que corruption et démence.
Les cinq Archanges étaient les cinq piliers des Anges, chacun représentant les vertus cardinales des Anges :
- Imperius, Archange de la Vaillance, était le plus guerrier et le plus combatif des Anges. Pour lui, ce livre était maléfique, mais pouvait se dompter, pour peu qu’on ait suffisamment de foi. Il aurait été au demeurant totalement idiot de ne pas utiliser ce livre pour en savoir davantage sur leurs ennemis, et ainsi les vaincre ;
- Tyraël, Archange de la Justice. À ce titre, Tyraël était partagé à l’égard du traitement à réserver au Necronomicon. De manière générale, il était navré de voir les Anges partir sur la voie de la guerre, lui qui avait toujours professé les vertus de l’éducation et de la rédemption, la punition n’étant, à ses yeux, qu’un outil en faveur de la rédemption d’individus ayant déchu. Mais pouvait-on vraiment parler de rédemption avec les Tyrans ? Ils ne semblaient être faits que de malice et de démence, de sorte que Tyraël était autant heurté dans ses convictions profondes que Malthaël, en devant admettre l’impensable, à savoir que certaines personnes ne pouvaient pas être sauvées ;
- Malthaël, Archange de la Sagesse. Malthaël était autant heurté que Tyraël, ne sachant pas comment interpréter ce qu’il voyait du Necronomicon. Se pouvait-il donc que ce livre ne soit que purement maléfique ? La censure et les autodafés étaient des choses qui l’avaient toujours effrayé, car voulant réduire le savoir, la connaissance. Or, pour Malthaël, c’était la connaissance qui séparait l’Homme de l’Animal, qui permettait de l’élever, de le faire grandir. Il se devait maintenant de prendre en considération le fait que toute connaissance ne visait pas forcément à l’élévation, mais aussi à la corruption, et donc à devoir envisager de censurer certains savoirs ;
- Auriel, Archange de l’Espoir. Pour elle, les Grands Tyrans étaient la négation de tout espoir, ce qui l’amenait à se rapprocher de la voie dure professée par Imperius. Elle avait vu de ses yeux les âmes corrompues par les Grands Tyrans, que les Anges avaient réussi à capturer. Elle avait vainement tenté de les soigner, de leur redonner l’espoir, mais commençait, elle aussi, à se dire qu’il y avait des situations où l’espoir n’était plus permis. Dans ce cas, que fallait-il faire ? Quand une personne n’avait plus aucun espoir, ne fallait-il pas se contenter de la tuer ? Mais les Anges avaient toujours été contre la peine de mort...
- Itheraël, Archange du Destin. Cette Archange avait un rôle très particulier au sein du Conseil, capable d’avoir des raisonnements de grande envergure. En ce moment, il était le plus inquiet des Archanges, car le sort de la Création était en jeu. Il n’arrivait pas à saisir l’étendue du pouvoir des Grands Tyrans, leurs objectifs, et leurs origines. Tout ça ne pouvait que le troubler, lui qui avait toujours vu loin, au-delà des limites communes, permettant ainsi de déterminer ce qu’il convenait de prodiguer à telle ou telle civilisation.
Le Conseil se réunissait donc de manière extraordinaire pour décider des suites à donner. Nul doute que cette session serait longue, tant les Archanges étaient heurtés dans leurs concepts. De plus, pour qu’une décision soit rendue par le Conseil, il était impératif d’obtenir l’unanimité des membres, car aucune décision en pouvait émaner du Conseil sans qu’elle ne respecte les vertus cardinales des Anges.
Loin de là, les Anges avaient installé de multiples camps de fortune sur terre, pour regrouper les réfugiés, et plusieurs des cités angéliques servaient d’hôpitaux pour soigner les Anges blessés. Lucifer se trouvait dans l’une de ces forteresses, mais, étant de nature particulièrement robuste, il se réveilla rapidement. Ses plumes allaient repousser, et il se rapprocha d’une terrasse, observant les vallées en contrebas. Cette cité céleste flottait très bas, de sorte qu’on pouvait voir les forêts, les arbres, et les forteresses créées, non seulement pour soigner les réfugiés, mais aussi pour s’assurer qu’il n’y avait aucun ennemi à l’intérieur.
Plongé dans ses pensées, Lucifer se retourna soudain en entendant des bruits de pas. Yennesä venait de le rejoindre. La terrasse était assez grande, avec un perron la séparant en deux. Le Porteur de Lumière lui sourit.
«
Tu as été exceptionnelle, Yennesä. Tu seras une Ange très puissante. Sache que tu bénéficies de ma gratitude. Sans toi, j’aurais été tué là-bas. »
Pour Lucifer, ceci ne faisait absolument aucun doute. Il avait été mis en grande difficulté contre Nyarlathotep. Sans Yennesä, les choses auraient été bien différentes. Malgré son inexpérience, elle avait su sortir son épingle du jeu, et faire les bonnes décisions au bon moment.
«
Je crois bien que nous sommes appelés à travailler de nouveau ensemble, Yennesä. »