ÉLISE
L’intervention des goules surprit Brahmin et ses hommes. Une horde de monstres nécrophages s’abattirent sur eux, tandis que Shad profita de l’absence de l’obsidienne pour se transformer en louve, repoussant les gardes. Surpris, ces derniers réagirent rapidement, en balançant leurs carreaux, leurs flèches, et en déployant leurs armes, affrontant les monstres, les décapitant, les entaillant profondément. Élise vit un homme fondre sur elle en hurlant, brandissant sa hache. Ses toiles le saisirent au ventre, le repoussant avec force. Il s’écrasa sur le sol, englué dans sa toile, battant des bras et des jambes, avant que plusieurs monstres ne tombent sur lui. L’homme se mit inutilement à les supplier, et ils se mirent à le dévorer. Élise se désintéressa de lui, et vit Shad revenir rapidement vers elle.
Elle reprit une forme plus normale que celle de louve, et la Reine jeta un bref regard sur son corps nu, sans toutefois y accorder guère plus d’intérêt. Ce n’était pas vraiment le moment. La situation était encore loin d’être gagnée, et, à bien y réfléchir, la survie d’Élise et de sa forêt paraissait être le scénario le plus improbable. Shad l’informa que Brahmin était un guerrier contrôlant la magie noire, ce qui était assez préoccupant. Cette créature avait ses secrets, et la magie était quelque chose qui effrayait Élise, car elle était incompréhensible, et elle ne la maîtrisait pas. De quoi ce Brahmin était-il donc capable ? C’en était presque effrayant. Shad désigna alors les autres troupes de Brahmin, stationnées à l’entrée de sa forêt.
«
Une idée contre ça ? Ils vont incendier ta forêt si nous ne faisons rien ! »
Avec les cris qui résonnaient, il était probable qu’ils allaient les entendre, et en conclure qu’il était temps pour eux de passer à l’action.
«
Je suis tombée dans cette grotte... lâcha alors Élise, sans répondre, a priori, aux inquiétudes de la Terranide.
Cependant, si j’ai traîné à venir à ce camp, ce n’est pas uniquement pour ça. Je te l’ai dit, Shad : quiconque attaque ma forêt doit en payer les conséquences. Je ne pouvais pas déployer mes araignées sur deux fronts à la fois, mais, comme tu peux le voir, les goules se chargent de l’un des deux fronts... »
Le reste était assez facile à deviner.
LELAUND
Lelaund n’avait jamais été un homme très ambitieux. Cependant, il avait toujours été loyal, et ce au plus offrant. Un principe de vie, pourrait-on dire. Ce brave fils de fermier avait toujours été un garçon difficile, une forte tête, qui embêtait les filles en fourrant sa main sous leurs jupes, et qui travaillait dur à la tâche. Il n’avait jamais connu sa mère, morte peu de temps après sa naissance, et son père était un fermier ivre, un alcoolique notoire qui le battait fréquemment, généralement quand il était pompette, ce qui était fréquent. Lelaund savait obéir, mais son obéissance ne l’avait pas rendu sain d’esprit. Tout le monde savait qu’il avait une case en moins, et était tout simplement sadique. La rumeur disait que sa mère n’était pas morte de maladie, mais s’était suicidée, car il aurait été le résultat d’un viol incestueux. La consanguinité produisait parfois des résultats troublants chez la progéniture, et il suffisait de voir Lelaund pour s’en rendre compte.
Il était un pyromane, quelqu’un qui adorait brûler les gens. Sa passion était de brûler ses esclaves en les violant. C’était chaud, bouillonnant, délicieux. D’aucuns pensaient que cette passion venait du jour où il avait failli, par accident, incendier la ferme familiale. Furieux, son père lui aurait foutu sa tête dans le feu, ce qui expliquait pourquoi Lelaund était chauve, et pourquoi son visage était déformé, fait de croutes énormes, de cicatrices, et de boursouflures, et pourquoi ses lèvres avaient brûlé, dessinant sur son visage un éternel sourire inquiétant. En somme, Lelaund n’était pas très beau, et encore moins généreux de cœur et d’esprit.
Naturellement, lui et ses hommes entendirent les hurlements. Ils étaient alors embusqués devant le village, sur la route, avec des arbres à proximité. Le village était à un virage devant, et des éclaireurs avaient vu les bouseux et les pécores installer une palissade ridicule cette nuit. Ils tremblaient comme des pucelles prêtes à se faire baiser, et cette comparaison avait grassement fait rire Lelaund. Cette nuit, dans son armure, il était un peu moins laid que d’habitude, car il portait un heaume, permettant de dissimuler son visage horrible. Cependant, par question de galanterie, quand ils ‘agissait d’honorer ces dames en leur pétant la rondelle, il découvrait son heaume.
«
Nôt’chef se fait attaquer ! ‘Faut l’aider ! -
On a reçu des ordres précis, on obéit ! -
Les balistes, ça s’déplace pas comme qu’ça soulève la jupe d’une nonne, hey, t’sais ! »
Les hommes se chamaillaient entre eux, et Lelaund cracha sur le sol, puis sortit son arbalète, et tira un coup sec. Le carreau transperça la tête de l’homme qui avait suggéré de s’enfuir, coupant court à la discussion. Son corps s’affala lourdement sur le sol, traversé de brefs spasmes musculaires.
«
On a reçu des ordres, tas de merde en paillasse ! grogna Lelaund en crachant sur le sol.
Cramons cette maudite forêt ! »
Les hommes saluèrent son initiative, et on avança les balistes, qui roulèrent lentement sur le sol. Il fallait être au moins trois par baliste. Il y avait certes des roues, mais l’arme de siège était lourde à déplacer, ainsi qu’à manœuvrer. Les balistes étaient au milieu de la formation, Lelaund en tête. Le jour se levait. Quoi de mieux que l’odeur des cendres au petit matin ? Il adorait ça.
Tandis que les hommes avançaient, et voyaient la palissade se rapprocher, avec les torchères, et de ridicules pécores, qui devaient être en train de pleurer leurs mères, les mercenaires ne voyaient pas les formes qui s’avançaient lentement dans l’ombre. La marche était fermée par un homme qui avait une phénoménale envie d’uriner, et se détendait auprès d’un arbre, sur le bord de la route. Il avait défait les nœuds de son pantalon, et avait bataillé contre son plastron et ses jambières pour faire sortir sa queue, puis se soulageait contre l’écorce de l’arbre. Dans son dos, lentement, une forme sombre se déployait, glissant lentement de l’arbre.
«
Oh putain, ouais, aaaahh... Oh la vache, une heure que j’avais la vessie pleine comme le cul d’une none après une tournante, nom d’un bordel… »
La forme sombre tombait lentement, tandis que l’homme terminait. Il remua son sexe, faisant jaillir quelques gouttes supplémentaires, puis la remit, et replaça ses jambières, resserra le nœud. Il porta sa main vers sa hache, à proximité de lui, se retourna... Et vit une multitude d’yeux l’observant silencieusement. Il ouvrit la bouche pour hurler, mais cette dernière accueillit la queue la plus dure qu’il eut jamais senti : le dard de l’araignée, qui le transperça, découpant sa gorge, avant de se planter dans l’arbre. L’araignée retira ensuite son dard, couvert de sang, puis attrapa le corps entre ses pattes, le soulevant.
Ayant entendu du bruit, deux hommes fermant le groupe se retournèrent, mais ne virent rien.
«
Qu’est-ce qui vous arrive ? -
Rien... J’ai cru entendre du bruit. -
Les araignées doivent sûrement être en train d’attaquer notre général. Y’a rien d’autre que des pécores ici, y a pas à s’en faire. »
Les hommes n’étaient pas en train de réaliser que les araignées étaient lentement en train de les encercler, se dissimulant dans les arbres. Il n’y avait pas beaucoup de toiles d’araignées dans cette partie de la forêt, mais ce n’était pas nécessaire. Lelaund et ses hommes étaient attirés par les lumières des torchères.
L’ombre était toujours produite par la lumière, et, parfois, il arrivait que la lumière, loin de guider les hommes, ne les aveugle, en les amenant à se fixer sur un point, et en négligeant un autre. Lelaund et ses tueurs tombaient dans un piège mortel. Mais, après tout, ce n’était pas comme si plein de monde allait les plaindre.