Brahmin Brahmin était réputé pour bien des choses, et sûrement pas pour sa gentillesse. Sa naissance faisait l’objet de multiples légendes variables, ayant toutes pour point commun de considérer qu’aucune n’avait été tendre. Humain ou démoniaque, on disait qu’il était né sur un champ de bataille, baignant dans le sang de sa mère, ou que ses parents l’avaient abandonné, ou battu. Brahmin n’était nullement son vrai nom, mais celui qu’il avait pris, ou qu’on lui avait donné, et qu’il avait fini par adopter. C’était un individu particulièrement cruel, renfermé, isolé. Il ne s’ouvrait guère, même avec ses compagnons, ou avec les femmes qui avaient la chance de partager sa couche. Il fut jadis un guerrier redoutable, participant aux pogroms, un mercenaire n’ayant jamais rejoint une quelconque armée. La légende affirmait qu’il avait tué une Amazone, et que l’une de ses épées appartenait d’ailleurs à l’une de ses rudes guerrières. Que la légende soit vraie ou non, ceux qui s’étaient amusés à la contester devant Brahmin n’étaient plus là pour développer leurs points de vues.
Notre homme était donc le chef d’une bande de mercenaires, dont la mission était de récupérer des esclaves s’étant échappés d’un enclos, à quelques lieues d’ici. Des Terranides sauvages qui, d’après ce que les hommes de Brahmin savaient, pour en avoir torturé (et violé) plusieurs, cherchaient à se rendre vers une sorte de forêt obscure, où les esclavagistes n’osaient pas les poursuivre : la «
Forêt des Toiles ». Brahmin s’était renseigné auprès des autorités locales, et le bailli en personne lui avait formellement interdit de s’en approcher, parlant de «
créatures abominables » sommeillant à l’intérieur. Les esclaves pensaient y voir une sorte de Terre Promise, mais ceux qui rentraient à l’intérieur n’en ressortaient plus.
«
Comment donc une rumeur sur un endroit peut-elle naître, si nul ne sort de cet endroit ? » avait relevé, sarcastique, Romuald ‘‘
Dents-de-Pie’’, le second de Brahmin.
Néanmoins, Brahmin ne tenait pas à se fâcher avec les pouvoirs publics. L’État payait bien, et les seigneurs locaux avaient toujours besoin d’experts comme lui et sa troupe lorsque les guerres privées éclataient. Magiciens, elfes renégats, Drow, guerriers, Barbares... La troupe de Brahmin était une bande hétéroclite et bien entraînée, uniquement motivée par l’or, la promesse de quelques bières, de femmes chaudes désireuses d’ouvrir leurs cuisses à de vrais hommes, et, surtout, la perspective de faire couler le sang, et de violer des nobles en assiégeant les villages des ennemis. Des gens qui ne croyaient en rien, à part la double loi du sang et de l’or.
Ils avaient capturé la plupart des esclaves en fuite, quand l’un des hommes de Romuald en avait repéré une autre, une espèce de créature qui se mit à se carapater à toute allure. Romuald avait éperonné Sang-Noir, un vigoureux cheval, un redoutable pur sang qui était un destrier de guerre. Ils auraient pu tuer la Terranide avec leurs flèches, mais ils auraient eu moins d’argent. Tout en se rapprochant de la créature, Romuald, qui avait l’impression d’être dans la peau d’un seigneur partant vigoureusement à la chasse, avait sorti une petite fiole abritant un puissant somnifère, afin de la lancer sur la femme. Sang-Noir s’ébrouait rapidement, fonçant à vive allure, et, alors que Romuald allait lancer la fiole, la créature avait mordu, assez violemment, dans la cheville de Sang-Noir. Perturbé, le cheval s’était cambré, avant de s’écrouler sur le sol, renversant Romuald.
«
Tuez-là, bordel ! Tuez cette salope ! »
Les flèches avaient jailli, mais les hommes de Romuald étaient bien trop éloignés pour l’atteindre, et, impuissants, ils avaient vu cette dernière s’enfoncer dans la Forêt des Toiles. Se relevant misérablement, Romuald avait épongé son front, en serrant le poing.
«
La morsure est profonde, chef... »
Romuald serra le poing. Sang-Noir était l’un des chevaux préférés de Brahmin.
Il ne risquait sans doute pas d’apprécier qu’il ne soit blessé. Il regarda cette énigmatique forêt.
Monstre ou pas monstre, cette petite pute allait payer.
L’agitation qui régnait à l’extérieur se traduisait, depuis plusieurs jours, par la venue de Terranides effrayées dans la forêt d’une femme qui, pour qu’on daigne la trouver moins effrayante que les individus vivant hors de la forêt, devaient vraiment être au bout du rouleau. Élise avait été un peu surprise, surtout quand elles venaient demander asile. La Reine de la Forêt n’aimait guère que le monde extérieur se mêle à ses affaires, mais pouvait-elle refuser le droit d’asile à des réfugiées ? Ces jeunes femmes avaient vécu des choses insoutenables, particulièrement cruels, et Élise ne se sentait pas en droit de les repousser. Elle les acceptait donc joyeusement.
En ce jour, Élise se reposait silencieusement, méditant, lorsque ses toiles vibrèrent. Il fallait voir la Forêt des Toiles comme ce qu’elle était : une immense toile d’araignée, à hauteur de toute la forêt, dont les toiles étaient toutes reliées entre elles, constituant un impénétrable réseau. S’infiltrer dans la Toile sans se faire repérer relevait de l’impossible, car le simple fait de heurter plusieurs toiles provoquait une vibration qui remontait jusqu’au nid, et, donc, jusqu’à la Reine. Elle avait des yeux et des oreilles partout, et perçut donc une nouvelle présence.
Naturellement, ce ne fut pas Élise qui rejoignit la jeune Terranide la première. Elle était tombée dans un petit piège dressé à l’extérieur de la forêt, des pièges dans lesquels tous les Terranides étaient tombés. Il était possible de les éviter, en étant très attentif, mais, en courant à brides abattues, ou en manquant de vigilance, on finissait naturellement par trébucher. Et, une fois qu’on était englué dans une toile, en sortir était très difficile. Les toiles pouvaient être particulièrement collantes. Ce fut la tisseuse de la toile qui se rapprocha la première, une énorme araignée, dont les huit pattes faisaient trembler le sol, en se rapprochant lentement, d’un pas lourd, qui se répercutait. Des cliquètements de mandibules, alors que d’autres araignées, plus petites, jaillissaient des profondeurs du trou au-dessus duquel était suspendu la jeune étrangère. Le piège était particulièrement insidieux, car, si la personne piégée arrivait à se libérer, elle tomberait dans un enfer d’araignées.
L’énorme araignée posa ses pattes sur le rebord de la toile, dans le dos de la Terranide, et s’approcha lentement, ses multiples yeux roues fixés sur l’étrangère. Toutes les araignées étaient création de la Reine, et étaient soumises à sa volonté... Autant que, en réalité, des Formiens pouvaient l’être à leur Annexien. L’araignée attendait, sagement.
«
Tiens, tiens... Qu’avons-nous là ? »
La voix semblait émaner des hauteurs, depuis les arbres, et, peu à peu, dans l’obscurité, les rayons de soleil éclairèrent une silhouette féminine, qui se laissa tomber de sa branche. Elle atterrit pile au-dessus de la Terranide, plantant son regard dans le sien, des yeux rouges qui semblaient alors brûler de malice, alors que sa main, surmontée de griffes rouges, légèrement froide, et recouverte de chitine, se posa sur le cou de la femme, le pressant lentement.
«
Ta vie ne tient désormais plus qu’à un fil, jeune femme. Décline ton identité, et ce que tu fais ici, si tu ne veux pas que je t’offre à mes bébés. »