BRAHMIN
Brahmin était assis dans son bureau, et observait devant lui l’orbe rouge. En la voyant, il revoyait les souvenirs affluer. Avant d’être le redoutable chef d’une bande de tueurs sanguinaires, Brahmin avait été un seigneur ashnardien. Il avait servi comme exécuteur sous les ordres de l’Aballah, mais, quand l’Empereur avait chuté, et que les rebelles avaient pris le pouvoir, lui avait été condamné à mort. Brahmin avait du fuir dans les terres de l’Aballah, renommées Malterres de la Discorde, avec les fidèles de l’Empereur. Il se souvenait encore de cette bataille. Les Ashnardiens rebelles avaient poursuivi les loyalistes, espérant achever l’Empereur. La bataille était terrible, et Brahmin avait bien cru en mourir. Il pensait d’ailleurs bien que, pendant un bref moment, il avait été tué. Il avait tué énormément d’Ashnardiens ce jour-là, mais avait fini criblé de flèches, avant de se recevoir un coup de hache qui avait ouvert son ventre en deux.
Il s’était réveillé au Château Daclusia, le cœur des Malterres, un immense château, si vaste qu’il abritait même un second fort. L’Empire avait échoué à venir à bout de l’Empereur, et ce dernier s’était réfugié chez lui, dans le Casse-Roi Russe. Brahmin avait survécu, et était, depuis lors, devenu un mercenaire. Pour autant, on n’oubliait jamais d’où l’on venait, pas plus qu’on oubliait les dettes qu’on devait. Brahmin avait survécu, mais il était maintenant endetté auprès du Roi, de l’Œil, comme on l’appelait. Et, quand l’orbe devenait rouge, il fallait écouter.
Seul dans sa tente, il avait expressément signifié que
personne ne devait le déranger. Il tuerait personnellement quiconque se risquerait à entrer. La tente était plongée dans l’obscurité, mais une vive lueur rouge brûlait dans l’orbe, éclairant la salle.
«
La Femme-Araignée, glissa la voix.
-
La désirez-vous ? -
Capturez-là, et votre dette sera acquittée. »
Brahmin considéra silencieusement l’information. Capturer cette femme pour payer la Dette... L’occasion était trop bonne. Il pourrait enfin se débarrasser de ses anciennes allégeances, sans devoir craindre la venue d’un des séides du Roi, si jamais il venait à manquer à ses obligations. Pour ça, il lui fallait juste capturer cette femme.
Il se jura de le faire.
Pendant ce temps, une petite araignée venait de pénétrer dans la tente. L’occasion était trop belle : il n’y avait aucune sentinelle à proximité, sous ordre exprès de Brahmin. Elle avançait le long des plis de la tente, filant vers le plafond, car elle savait que personne ne songerait à regarder par là, et continua sa destination.
ÉLISE
Un tendre baiser scella le départ entre Médonée et Élise. Médonée dut sans doute sentir, vu la manière dont Élise la tenait, que sa Reine avait envie de plus, mais les deux femmes savaient que le temps pressait.
«
Tu as compris ce que j’attends de toi, Médonée ? -
Oui, ma Reine... Mais, je vous en conjure, revenez à moi. »
Les lèvres sombres d’Élise se fendirent d’un léger sourire devant cette remarque, et elle embrassa à nouveau sa partenaire, la serrant contre elle. Élise sentit aussi combien Médonée avait envie d’elle, combien le corps de la jeune femme tremblait. Cependant, leurs obligations respectives les obligeaient à devoir se séparer, et à réserver ce câlin quand les ennemis seraient vaincus. Médonée avait pour tâche de superviser la défense du village. Les balistes incendiaires de l’ennemi n’allaient pas être déployées tout de suite. Il fallait installer une palissade, mais également préparer des pièges. À défaut d’utiliser des armes, Élise comptait utiliser la stratégie militaire pour essayer de retarder les ennemis.
Médonée comptait employer les Terranides pour dresser des pièges dans la forêt menant au Village. Des fosses piégées, des cordes qui, rompues, permettraient de larguer des arbres. Les hommes dresseront dans la nuit une palissade. En une nuit, ce serait un vulgaire muret, mais qui serait assez résistant pour retarder les envahisseurs. Tout n’était pas encore perdu, mais Médonée savait que la bataille principale ne viendrait pas du village, mais de la forêt. L’ennemi concentrerait tous ses efforts là-bas, afin de réussir à passer.
Les deux femmes s’embrassèrent à nouveau, et Élise sortit. Shad l’attendait dehors, et avait visiblement essayé de motiver les Terranides et les humains pour qu’ils travaillent ensemble. Difficile de croire que cette femme avait librement choisi la servitude. Elle semblait trop libre, trop indépendante, pour être vraiment une esclave. De plus, Élise n’avait vu aucun collier autour de son cou. C’était un esclavage très particulier, clairement différent de celui que les Terranides qu’elle avait hébergé étaient habitués.
«
J’imagine que tu as les fameuses runes ? Autant y aller alors. »
Élise hocha la tête, confirmant cette question, et la marche commença. Le duo, à la tombée de la nuit, traversa la plaine. Au loin, on pouvait voir les torchères du camp de Brahmin. Les éclaireurs éviteraient de trop s’en éloigner, de peur de ne jamais revenir. Les deux femmes s’avancèrent le long de la paroi, jusqu’à rejoindre la faille. Elle était étroite, et il n’y avait aucun sentier, rien d’autre que des récifs pointus. L’escalader semblait difficile pour Shad, car il n’y avait aucune prise. La légende disait que cette faille menait en Enfer, et que les ancêtres avaient mis des rochers pointus et escarpés devant pour empêcher les mauvais esprits d’en sortir. Élise, elle, pensait que cette faille sismique avait jadis du être à l’origine de la présence des goules, et que, quand Hamleigh avait laissé les cadavres pourrir sur la plaine, l’odeur de la chair était venue jusqu’aux goules par cette faille.
«
Et maintenant ? Comment allons-nous faire pour passer ? » s’enquit Shad.
Élise esquissa un léger sourire amusé.
«
Tu ne devines pas ? »
Elle allait préciser le fond de sa pensée, quand son cœur se mit soudain à faire un bond dans sa poitrine. Un rictus de douleur déforma alors le beau visage de la Reine, qui se mit à chanceler, et manqua tomber sur le sol. Elle dut brièvement s’appuyer contre la paroi, et ferma les yeux, de grosses gouttes de sueur glissant le long de sa peau. Le malaise dura quelques secondes, avant qu’elle ne lâche la sentence redoutable :
«
Mon araignée est morte. »
BRAHMIN
Brahmin reçut la visite de Lelaund, l’avertissant que ce dernier allait prendre six à sept balistes incendiaires, avec une vingtaine d’hommes, et marcherait le long du chemin principal, menant vers le Village. Le chemin filait à travers un bout de la forêt, mais cette dernière était encore sauvage. Il était probable que les péquenauds et les culs-terreux du village tendraient des pièges, mais Lelaund n’était pas inquiet. C’était un ancien Nexusien, un renégat, qui avait été jugé pour avoir violé des fermières. Il avait été condamné à la prison à perpétuité, non pas à Eternum, mais à Ravengard, un phare-pénitentiaire isolé des routes commerciales. La chance avait voulu que ce navire soit attaqué par des pirates. Les pirates s’étaient fait massacrer, mais Lelaund avait profité du chaos pour s’enfuir, sautant à la mer. Les mauvaises herbes ont la vie dure, et Lelaund en était un parfait exemple. Il avait même la réputation de défier la Mort. Il avait erré dans l’océan, avant d’être sauvé par des chalutiers qui pêchaient dans le coin. Cadavérique, il avait bien failli mourir. La faim, la fièvre, le faisaient délirer, et, dans son délire, les pêcheurs avaient appris qu’il était un criminel.
Une histoire assez incroyable. Si cet abruti de Richter avait échoué, Lelaund était bien capable de réussir. L’homme partit, mais alluma une torche.
Brahmin se pencha alors sur son bureau, et commença à écrire des notes, des lettres. L’araignée en avait donc profité pour se rapprocher, décidé à frapper par en-haut. Brahmin écrivait, lorsqu’il vit l’ombre. L’araignée descendait le long de son fil, et le lâcha, fondant vers la nuque de Brahmin... Même en l’ayant vu, il s’écoula moins de cinq secondes entre le moment où Brahmin vit l’ombre de l’araignée, et le moment où elle aurait du atterrir sur sa nuque pour planter son dard.
Ce fut amplement suffisant. D’un bond, Brahmin se redressa, et sa main gantée attrapa l’araignée en plein vol, l’écrabouillant contre son gant de fer. Il y eut un petit *
SPLOUITCH* quand l’araignée fut écrabouillée, tandis que la chaise de Brahmin tomba sur le sol. Quand l’homme rouvrit les doigts, il vit une purée verdâtre d’araignée, avec des pattes pliées, et utilisa un mouchoir pour essuyer son gant.
«
Pute de Reine... » maugréa-t-il.